Quatre théories morales
Publié le 20/05/2024
Extrait du document
«
1/ Le relativisme culturel
Texte 1 : Lévi-Strauss sur la notion d’ethnocentrisme …
[Au sens faible] : « [Tout membre d’une culture en est aussi étroitement solidaire [qu’un
voyageur] l’est de son train.
Car, dès notre naissance, l’entourage fait pénétrer en nous, par
mille démarches conscientes et inconscientes, un système complexe de références consistant
en jugements de valeur, motivations, centres d’intérêt […].
Nous nous déplaçons réellement
avec ce système de références, et les réalités culturelles du dehors ne sont observables qu’à
travers les déformations qu’il leur impose, quand il ne va pas jusqu’à nous mettre dans
l’impossibilité d’en apercevoir quoi que ce soit.
» (Race et histoire)
[Au sens fort] : « L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements
psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous
sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les
formes culturelles, morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de
celles auxquelles nous nous identifions.
« Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez
nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent
ce même frisson, cette même répulsion en présence de manières de vivre, de croire ou de
penser qui nous sont étrangères.
[…] [O]n refuse d'admettre le fait même de la diversité
culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme
pas à la norme sous laquelle on vit.
» (Race et histoire)
Texte 2 : Montaigne à propos des Amérindiens
« [J]e trouve qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage dans ce peuple [les indigènes des Antilles
et de l'Amérique du Sud découverts par les européens], sinon que chacun appelle barbarie ce
qui ne fait pas partie de ses usages.
Car il est vrai que nous n’avons pas d’autres critères pour
la vérité et la raison que les exemples que nous observons et les idées et les usages qui ont
cours dans le pays où nous vivons.
C’est là que se trouve, pensons-nous, la religion parfaite,
le gouvernement parfait, l’usage parfait et incomparable pour toutes choses.
» (Essais, I 30)
2/ Une morale de la sensibilité : l'empathie au cœur de l'éthique
Texte 3 : Rousseau sur la pitié
« [L]a pitié, disposition convenable à des êtres aussi faibles, et sujets à autant de maux que
nous le sommes [est une] vertu d’autant plus universelle et d’autant plus utile à l’homme
qu’elle précède en lui l’usage de toute réflexion, et si naturelle que les bêtes mêmes en
donnent quelquefois des signes sensibles.
[…]
Tel est le pur mouvement de la nature, antérieur à toute réflexion : telle est la force de la pitié
naturelle, que les mœurs les plus dépravées ont encore peine à détruire […].
Mandeville a bien
senti qu’avec toute leur morale les hommes n’eussent jamais été que des monstres, si la
nature ne leur eût donné la pitié à l’appui de la raison mais il n'a pas vu que de cette seule
qualité découlent toutes les vertus sociales […] la générosité, la clémence, l'humanité […].
[L]a commisération sera d’autant plus énergique que l’animal spectateur s’identifiera plus
intimement avec l’animal souffrant.
[…] C’est la raison qui engendre l’amour-propre, et c’est la
réflexion qui le fortifie ; c’est elle qui replie l’homme sur lui-même; c’est elle qui le sépare de
tout ce qui le gêne et l’afflige : c’est la philosophie qui l’isole; c’est par elle qu’il dit en secret, à
l’aspect d’un homme souffrant : péris si tu veux, je suis en sûreté.
Il n’y a plus que les dangers
de la société entière qui troublent le sommeil tranquille du philosophe, et qui l’arrachent de
son lit.
On peut impunément égorger son semblable sous sa fenêtre; il n’a qu’à mettre ses
mains sur ses oreilles et s’argumenter un peu pour empêcher la nature qui se révolte en lui de
l’identifier avec celui qu’on assassine.
L’homme sauvage n’a point cet admirable talent, et
faute de sagesse et de raison, on le voit toujours se livrer étourdiment au premier sentiment
de l’humanité.
[…]
Il est donc certain que la pitié est un sentiment naturel, qui, modérant dans chaque individu
l’activité de l’amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce.
C’est
elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir : c’est elle qui,
dans l’état de nature, tient lieu de lois, de mœurs, et de vertu, avec cet avantage que nul n’est
tenté de désobéir à sa douce voix.
» (Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité
parmi les hommes)
Texte 4 : Les éthiques contemporaines du care
« Le mot care, très courant en anglais, est à la fois un verbe qui signifie « s’occuper de »,
« faire attention », « prendre soin », « se soucier de », et un substantif qui pourrait selon les
contextes être rendu en français par « soins », « attention », « sollicitude », « concernement ».
Sous la forme négative – I don’t care –, il indique une indifférence, un refus de
responsabilité : je m’en fiche, ça ne me concerne pas ! Mais aucune de ces traductions prises
isolément n’est en mesure de prendre en charge de façon adéquate cette idée de care.
[…] Les
éthiques du care affirment l’importance des soins et de l’attention portés aux autres […]
Prendre la mesure de l’importance du care pour la vie humaine suppose de reconnaître que la
dépendance et la vulnérabilité sont des traits de la condition de tout un chacun, même si les
mieux lotis ont la capacité d’en estomper ou d’en nier l’acuité.
Cette sorte de réalisme
« ordinaire » est généralement absente des théories sociales et morales majoritaires […] La
vraie nouveauté du care est de nous apprendre à voir la sensibilité comme condition
nécessaire de la justice.
» (Patricia Paperman et Sandra Laugier, « L'éthique de la sollicitude »,
Sciences Humaines, déc.
2006, n°177)
3/ Une morale des conséquences : l'utilitarisme
Texte 5 : Bentham sur la manière d'aborder les questions morales
« [I]l est malheureux que les hommes abordent la discussion de questions importantes,
déterminés d'avance sur la solution qu'ils leur donneront.
On dirait qu'ils se sont
préalablement engagés envers eux-mêmes à trouver bons certains actes, certains autres
mauvais.
Mais le principe de l'utilité n'admet point ces décisions péremptoires.
Avant de
condamner un acte, il exige que son incompatibilité avec le bonheur des hommes soit
démontrée.
De telles investigations ne conviennent point à l'instructeur dogmatique.
Il ne
saurait donc s'accommoder du principe de l'utilité.
Il aura pour son usage un principe à lui.
Pour soutenir son opinion, il fera de cette opinion un principe.
« Je proclame que ces choses
ne sont pas bien, dit-il avec une dose suffisante d'assurance, donc elles ne sont pas bien.
» […]
Que devient alors la tâche du moraliste ? Il peut mettre sous les yeux de celui qui l'interroge
un aperçu des probabilités de l'avenir, plus exact et plus complet qu'il ne se serait offert à ses
regards au milieu des influences du moment.
[…] [P]our être véritablement utile, il faut qu'il
aille à la découverte des conséquences qui doivent résulter d'une action donnée ; il faut qu'il
les recueille le mieux qu'il le pourra, et qu'il les présente ensuite à l'usage de ceux qui peuvent
être disposés à profiter de ses services.
» (Déontologie, ou Science de la morale.
t.
I, ch.
I et II)
Texte 6 : Bentham sur le calcul des conséquences
« Additionnez toutes les valeurs de l'ensemble des plaisirs d'un côté, et celles de l'ensemble
des peines de l'autre.
Si la balance penche du côté du plaisir, elle indiquera la bonne tendance
générale de l'acte, du point de vue des intérêts de telle personne individuelle ; si elle penche
du côté....
»
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