Quand nous percevons, ne faisons-nous qu'enregistrer des données sensibles ou bien jugeons-nous en même temps ?
Publié le 23/03/2004
Extrait du document
La sensation est définie comme une donnée élémentaire des sens. La perception désigne, quant à elle, l'acte par lequel nous organisons nos sensations en une unité. Lorsque je me penche à ma fenêtre pour regarder le spectacle de la rue, je dis que je vois passer des hommes. Or, « que vois-je sinon des chapeaux et des vêtements, sous lesquels pourraient se cacher des automates ? «, écrit Descartes dans sa seconde méditation (Méditations métaphysiques). Nous voyons des chapeaux et jugeons cependant que ce sont des hommes, et ainsi, ce que nous croyons voir par l'œil, c'est par la seule faculté de juger que nous le comprenons. Si la perception est une construction faite à partir de données originaires, c'est parce qu'elle constitue déjà un jugement, au-delà de la stricte sensation.
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§ 3.
La perception et la psychologie de la Forme.
Sous sa forme classique, il semble que l'empirisme n'ait guère de défenseurs, car il ne paraît pas rendre compte de lacomplexité de cette fonction essentielle de la connaissance.
Ce sont même ses notions de base que la psychologiede la Forme met en question.
Hume considère la suite de nos perceptions comme autant d'états de conscience séparés.
Or la perception n'est pas un ensemble de sensations, touteperception est d'emblée la perception d'un ensemble.
Autrement dit, lesdonnées sensibles ne sont pas des éléments préexistants dont la perceptionopèrerait ensuite la synthèse, elles forment des structures, et ces«structures, dit Köhler, sont des caractères immédiats du donné au mêmetitre que leur contenu».
Dans une mélodie, ce qu'on perçoit, ce n'est pas unesuite de sons dont on fait ensuite un tout, c'est le tout qui s'offreprimordialement.
De même, parmi toutes les apparences sensibles souslesquelles se présente un dessin dont l'interprétation est ambiguë, parexemple, la figure d'un cube dessin de biais avec toutes ses arêtes visibles, ledessin est perçu comme un tout, mais une forme entre les autres estprégnante, c'est-à-dire dominante, et s'impose de préférence au spectateur.La forme prégnante est celle qui obéit à la loi de la bonne forme, celle qui a leplus d'unité, de simplicité, de régularité.Ce n'en est pas moins une théorie empiriste et on peut se demander, pour neconsidérer que le cas du cube, si le fait que la forme prégnante soit celle ducube vu de biais et posé à plat ne correspond pas à sa position la plus stableet la plus fréquente, c'est-à-dire qu'elle s'expliquerait par l'habitude.
Demême, si dans une figure représentant deux rectangles accolés par leur grandcôté et formant un angle de 45 degrés, si les uns y voient un livre à demi-ouvert, sur sa tranche, et les autres une tente, n'est-ce pas parce que lespremiers sont plus familiers avec la lecture, les autres avec le camping? Il semble donc qu'on puisse admettre que, par l'expérience, se montent des schèmes perceptifs qui interviennentspontanément dans l'interprétation perceptive.
Personne ne conteste la valeur psychologique de ces travaux, maisla théorie, qui expliquerait les lois de la forme par des lois physiologiques, lesquelles se réduiraient elles-mêmes à deslois d'équilibre physique paraît beaucoup trop spéculative pour qu'elle permette de trancher la question de fond surla nature de la perception.
§ 4.
Le jugement dans la perception et la position de Lagneau et d'Alain
Qu'apporte le célèbre Cours sur la perception de Lagneau ? D'abord cette idée, aujourd'hui généralement admise,que la sensation ne saurait être saisie en elle-même, qu'elle est conçue, et non pas sentie, mais que si elle n'estqu'une pure abstraction de l'esprit et si nous n'avons que des perceptions, elle en est du moins la condition et leuren fournit la matière.
En second lieu, reprenant de Malebranche la notion du jugement naturel, qui se fait «en noussans nous et même malgré nous», cette autre idée que la perception est un jugement spontané, que provoquent ennous nos sensations sur la nature et la réalité de l'objet auquel nous les rapportons, jugement apparemment intuitif,mais, chez l'adulte, toujours plus ou moins conditionné par l'habitude.
Lagneau distingue expressément cetteconnaissance spontanée de celle qui souvent la suit, à savoir la connaissance réfléchie de l'entendement, dont ledernier terme est la science.
De plus, ce que saisit la perception, ce n'est pas seulement l'unité des différentesespèces de sensations, mais le rapport de l'objet à nous, c'est-à-dire le fait qu'il se trouve dans certaines conditionsdéterminées, qui, lorsqu'elles varient, modifient l'impression qu'il fait sur nous.
Enfin, si ce jugement immédiat estfondé sur l'habitude et sur des interférences naturelles, la sensibilité et la volonté peuvent aussi y intervenir.Les analyses d'Alain s'accordent essentiellement à celles de Lagneau, qui fut son maître.
C'est chez Alain que l'ontrouve l'analyse familière aux élèves de Lagneau du dé cubique que l'on appréhende toujours sous un aspectparticulier, et dont aucun ne présente ni ne peut présenter le cube en sa vérité, l'idée géométrique du cube donttous les angles sont droits, cependant que je juge que c'est toujours le même cube.
Bien plus, ce cube, que medonnent d'innombrables images visuelles, est le même que celui que je touche de toutes sortes de manières.L'originalité d'Alain, c'est qu'il met davantage l'accent sur le fait que tout est anticipation dans la perception deschoses.
D'où le caractère vivant, parfois émouvant, de la perception, qui est préparation à l'action.
C'est cetteaction prochaine ou possible que représente pour nous l'étendue ou espace.
Cet escalier, je vais le monter, cecouloir, je vais le parcourir.
Cette montagne, je pourrais la gravir, cette rivière, je pourrais en suivre le cours.
C'estdire que le mouvement perceptif s'accompagne d'un mouvement corporel, qui déjà dessine l'action.
Percevoir engagetout l'être, ce n'est pas seulement juger, c'est agir..
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