Puisque nous sentons que nous voyons et entendons: Aristote
Publié le 22/03/2015
Extrait du document

Puisque nous sentons que nous voyons et entendons, il faut nécessairement sentir que l'on voit, ou bien par la vue, ou bien par un autre sens. Mais alors, le même sens percevra la vue et la couleur de l'objet [vu] ; de sorte que, ou bien deux sens auront le même objet, ou bien le même sens [i. e.: la vue] le sera de lui-même. En outre, si un autre sens l'était de la vue, ou bien on irait ainsi à l'infini, ou bien il faudrait [à un certain moment] un sens qui le serait de lui-même. Aussi faut-il poser [que] la première sensation [se sent elle-même]. Mais on reste dans l'apode : en effet, si sentir par la vue, c'est voir, et [si] ce que l'on voit, c'est la couleur ou ce qui est coloré, alors, dans l'hypothèse où l'on voit une vision [elle-même], cette première vision sera elle aussi colorée ! Cependant, il est manifeste que sentir par la vue n'est pas [un processus] unitaire, car, lorsque nous n'y voyons rien, c'est [encore] par la vue que nous distinguons l'obscurité de la lumière, mais pas de la même façon [que lorsque nous distinguons entre deux couleurs]. De plus, la vision elle-même est comme colorée, puisque l'organe sensoriel reçoit, dans chaque cas, le sensible sans la matière ; c'est la raison pour laquelle les sensations et les images demeurent dans les organes sensoriels après que les sensibles aient disparu.
Par ailleurs, l'acte du sensible et celui du sentant est même et unique, bien que leur essence ne soit pas identique. Je prends l'exemple du son en acte et de l'ouïe en acte : celui qui possède l'ouïe peut ne pas entendre [présentement], et l'objet sonore n'émet pas toujours un son ; mais, lorsque celui qui peut entendre actualise [cette possibilité], et que l'objet sonore émet un son, alors, l'ouïe en acte et le son en acte adviennent en même temps : on pourrait nommer l'une « audition «, et l'autre « résonance « [...]. L'acte de l'objet sonore est donc [nommé] son ou résonance, et celui du sens auditif, ouïe ou audition, car l'ouïe est [un processus] duel, et le son l'est aussi.
(Traité de l'âme III, 2, 425 b 12 — 426 a 8)

«
Textes commentés 57
Le
regard ne se réduit pas à une fonction instrumentale de réception de
qualités sensibles, car, si
l' œil « pâtit » sous l'action du visible, cette
passion est aussi
« un progrès vers lui-même et vers son entéléchie » (Il,
5, 417 b 6-7).
L'œil s'actualise, il accomplit ses possibilités d'être dans
la vision : pour autant qu'il est un
organe vivant, la vision constitue sa
praxis propre, l'exercice fini de son acuité.
Cet auto-achèvement du voir
en lui-même implique donc que voir,
c'est se voir voyant (et de même
pour les autres sensations).
Aristote nomme cette faculté la
«sensation
commune» (aisthèsis koinè, III, 1, 425 a 27), terme qui ne désigne aucun
"sixième sens", mais la réflexivité du sentir par laquelle la sensation
ressortit de la
vie en tant que praxis.
Ici surgit une« aporie»: si voir, c'est se voir voyant, l'être-voyant ou
« la première vision » (to horôn prôton) n'est pourtant pas coloré,
puisque ce
n'est pas une qualité sensible, mais un mode d'être.
Aristote
lève l'aporie en faisant appel
à l'expérience de la vision dans le noir:
lorsqu'on n'y voit rien, on voit encore, on se voit voyant, ouvert à la
dimension ontologique de la vision.
Cette dimension
"invisible" révèle la
visibilité même et, conjointement, l'être-voyant lui-même.
Une telle
expérience rend donc manifeste que
nous« distinguons» (krinomen) non
seulement des qualités sensibles, mais aussi les dimensions du sensible
(le Visible,
l' Audible, etc.).
C'est pourquoi l'on peut dire que« la vue a
pour objets, en quelque sorte,
le visible et l'invisible» (II, 11,
424 a
10-11).
Par ailleurs, l'actualisation de l'organe et de son objet est simultanée.
À strictement parler, il
n'y a pas, d'un côté, le son et, de l'autre, l'ouïe: il
faudrait dire qu'il
n'y a de son-en-acte, ou« résonance», que conjointe
ment à l'ouïe-en-acte, ou
«audition».
En conséquence, parler indiffé
remment de son ou de résonance, d'ouïe ou d'audition,
c'est parler selon
l'homonymie usuelle de l'acte et de la puissance; or, cette homonymie
contribue
à masquer ce fait ontologique que sentir, c'est accomplir
positivement un mode d'être
(l'être-sentant) et actualiser une dimension
du monde sensible..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Cette table même, que nous voyons blanche et que nous sentons dure, nous croyons qu'elle existe indépendamment de notre perception, nous croyons qu'elle est quelque chose d'extérieur à notre esprit qui la perçoit.
- « Qui peut le plus peut le moins » ARISTOTE
- « L’amitié est une âme en deux corps » ATTRIBUÉ À ARISTOTE
- « Il n’y a point de génie sans un grain de folie » ATTRIBUÉ À ARISTOTE
- Méthode expérimentale; CHAPITRE 2 ARISTOTE : LOGIQUE ET RHÉTORIQUE