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« Prenons-y garde, écrit le critique L. Moland. Dans le « Dom Juan » de Molière, il ne reste pas grand-chose des éléments mélodramatiques si complaisamment développés par ses devanciers. En dépit de certaines apparences, il s'est plu à y peindre son époque, à nuancer et à approfondir les caractères. » Développez ce jugement. ?

Publié le 28/06/2009

Extrait du document

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INTRODUCTION Comme il sied à un auteur classique, Molière ne se fait pas scrupule d'emprunter à d'autres écrivains la matière de ses pièces et, selon son propre aveu, il prend son bien partout où il le trouve. Mais son imitation n'est pas un plagiat. Même quand il traite un thème aussi traditionnel que celui de Don Juan, il sait, tout en s'inspirant assez étroitement de ses devanciers, en renouveler la portée et l'intérêt. Il en simplifie la trame et prend soin d'élaguer la plupart des éléments mélodramatiques. Tout en maintenant superficiellement cette impression de dépaysement que créent les noms des personnages et les cadres étrangers dans lesquels ils évoluent, il fait revivre dans sa pièce l'atmosphère de son pays et de son temps. Enfin, aux types conventionnels qui figuraient dans ses modèles, il substitue des types profondément humains, nuancés, individualisés et complexes.

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« qu'ils ne se font aucun scrupule de ne jamais rembourser.

Ainsi Monsieur Dimanche est le créancier de Don Juan et,en dépit de son opiniâtreté à réclamer ce qui lui est dû, il repartira les mains vides.

Mais les bourgeois gardent àl'égard de l'aristocratie, qui continue encore de leur en imposer, une attitude de respect.

Monsieur Dimanche semontre humblement poli à l'égard de Don Juan.

Il est confus des excès d'honneur que lui fait ce grand seigneur.

Ilreste intimidé par ce mélange de familiarité et de morgue que dose si savamment Don Juan dans son attitude et sespropos ; et sa gêne se manifeste dans son langage embarrassé de formules protocolaires et de ternies désuets.Quant à Don Juan, il a paru si étroitement inspiré de la réalité contemporaine qu'à mainte reprise les critiques ontessayé de découvrir quel modèle vivant Molière avait peint dans sa pièce.

Sainte-Beuve a cru reconnaître Retz ouLyonne.

D'autres ont nommé le chevalier de Lorraine, Bussy-Rabutin ou le prince de Conty.

Mais s'ils s'apparententtous en effet à Don Juan, aucun n'en offre exactement l'original.

C'est qu'il s'agit bien en effet d'un portrait d'uneportée plus large : celui du grand seigneur libertin et débauché tel qu'on le trouvait à de nombreux exemplaires,parmi la noblesse française, en 1665.

A cette époque la noblesse est en pleine décadence.

Elle a gardé toutefoisson esprit chevaleresque : Don Juan n'hésite pas à mettre l'épée à la main pour porter secours à un inconnu.

Maiselle n'a rien perdu non plus de son orgueil de caste : Don Juan écrase de son mépris son valet Sganarelle, rudoie lepaysan qui vient de lui sauver la vie et avec une tranquille insolence s'amuse à faire virevolter devant lui une jeunepaysanne dont il détaille les mérites physiques, comme il ferait d'un bel animal.

Il exploite sans vergogne unbourgeois, M.

Dimanche, et lui emprunte de fortes sommes qu'il est bien résolu à ne lui rendre jamais.

Car, commeces grands seigneurs dont il offre une image fidèle, Don Juan est couvert de dettes.

Dans l'inaction où elle estréduite, en raison du train de vie qu'elle est obligée de mener à la Cour, la noblesse s'est appauvrie et selon letémoignage du Napolitain Visconti dans ses Mémoires sur la cour de Louis XIV : « à Paris plus de 20 000gentilhommes n'ont pas un sou et vivent d'industrie ».

Cette même oisiveté les conduit aux pires excès.

Beaucoupsont des débauchés notoires, et souvent pour légitimer leur genre de vie, parfois aussi par impiété sincère, ils fontprofession d'athéisme.

Chez eux comme chez Don Juan, le libertinage de l'esprit s'allie au libertinage des moeurs. III.

MOLIÈRE PEINTRE DES CARACTÈRES Mais surtout Molière a su nuancer, approfondir les caractères.

Même les personnages épisodiques sont nettementindividualisés.

Les deux frères d'Elvire, tous deux acharnés à la poursuite de Don Juan, ont un comportementdifférent.

Don Alonse est intransigeant sur le point d'honneur.

Il est bouillant et emporté et nulle considération nesaurait l'amener à différer sa vengeance.

Don Carlos, plus calme et plus réfléchi, décide d'accorder un délai de grâceà Don Juan pour s'acquitter de la dette de reconnaissance qu'il a contractée envers lui.

Lorsqu'il rencontre Don Juanune seconde fois, il s'adresse à lui sur un ton à la fois ferme et courtois, sait garder un parfait sang-froid devant sesprotestations hypocrites et ne se décide à obtenir réparation par les armes qu'après avoir compris que toutes sestentatives de conciliation étaient vaines.A plus forte raison les personnages principaux sont-ils riches de vérité humaine.

Elvire est une femme passionnée etdéchirée: elle sait qu'elle a donné son coeur au plus indigne des hommes et pourtant elle ne peut s'empêcher del'aimer.

S'il y consentait, elle serait encore prête à le suivre.

L'aveu qu'elle fait devant Don Juan des sentimentsqu'elle a éprouvés depuis son départ est aussi discret que délicatement suggestif de son état d'âme.

Elle confesseles efforts qu'elle a multipliés pour récuser le témoignage pourtant irréfutable de ses yeux et de sa raison et lacomptaisance avec laquelle elle écoutait « mille chimères ridicules qui le peignaient innocent à son coeur ».

Quandelle le met enfin au défi de se justifier on sent que, contre toute évidence, elle garde un dernier espoir.Quant à Don Juan c'est un type d'humanité puissant et complexe : celui du séducteur que sa sensualité conduitirrésistiblement à la recherche du plaisir égoïste et pour qui la femme ne saurait jamais être un objet de tendresse.Le séducteur sensuel est aussi un esthète qui obéit à l'attrait irrésistible de la beauté, un dilettante pour qui laconquête d'une femme est l'occasion de mettre en oeuvre une stratégie savante dont il savoure plus encore peut-être les étapes que l'aboutissement.

Mais il y a aussi en lui une méchanceté foncière : un des éléments du plaisirqu'il prend à ces séductions sans cesse renouvelées, c'est la joie perverse et cruelle qu'il goûte à voir ses victimesse débattre, leurs scrupules moraux et religieux s'affaiblir et l'innocente pudeur rendre les armes malgré l'inquiétudeet les remords.

Sans doute faut-il voir, en dernière analyse, dans cet insatiable appétit de conquêtes la forme d'uneeffrénée volonté de puissance qui expliquerait également son libertinage d'esprit, la lutte qu'il mène contre toutesles structures religieuses et civiles de la société, contre la morale et contre Dieu même, et aussi son impénitencefinale, signe de la révolte et de l'insoumission jusque dans la mort et le châtiment éternel. CONCLUSION Ainsi le talent original de Molière se manifeste dans la manière dont il a renouvelé l'intérêt d'un sujet traditionnel.

Sapièce forme un ensemble assez disparate où se mêlent aux éléments du drame religieux inspirés de Tirso de Molina,des bouffonneries héritées de la comédie de Cicognini et, comme ses modèles, il ne se soucie guère de respecter lesrègles d'unité de lieu et de temps.

Même allégée d'un bon nombre de péripéties qui figuraient dans ses modèles,l'action manque de simplicité et de rigueur.

Mais par la place essentielle qu'occupe la peinture fidèle d'une époque,par la richesse, le relief, la valeur d'humanité éternelle que présentent les caractères, Dom Juan s'apparente auxplus purs chefs-d'oeuvre d'inspiration classique.. »

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