Devoir de Philosophie

Préface du Gai Savoir de Nietzsche, commentaire de texte

Publié le 23/03/2015

Extrait du document

nietzsche

« Nous savons désormais trop bien certaines choses, nous autres hommes conscients : ô comme nous apprenons désormais à bien oublier, à bien ne-pas-savoir, en tant qu'artistes. [...] Ce mauvais goût, cette volonté de vérité, de la "vérité à tout prix", ce délire juvénile dans l'amour de la vérité nous l'avons désormais en exécration : nous sommes trop aguerris, trop graves, trop joyeux, trop éprouvés par le feu, trop profonds pour cela... Nous ne croyons plus que la vérité soit encore la vérité dès qu'on lui retire ses voiles : nous avons trop vécu pour croire cela. Aujourd'hui c'est pour nous une affaire de convenance qu'on ne saurait voir toute chose mise à nu, ni assister à toute opération, ni vouloir tout comprendre et tout "savoir" [...] On devrait mieux honorer la pudeur avec laquelle la nature se dissimule derrière des énigmes et des incertitudes bigarrées. Peut-être la vérité est-elle femme et est-elle fondée à ne pas laisser voir son fondement (Gründe), peut-être son nom, pour parler grec, serait-il Baubô ?... O ces Grecs, ils s'entendaient à vivre: ce qui exige une manière courageuse de s'arrêter à la surface, au pli, à l'épiderme ; l'adoration de l'apparence, la croyance aux formes, aux sons, aux paroles, à l'olympe tout entier de l'apparence. Ces Grecs étaient superficiels

   par profondeur. Et n'est-ce pas à cela même que nous revenons, nous autres risque-tout de l'esprit, qui avons escaladé la plus haute et la plus dangereuse cime de la pensée contemporaine, et qui, de là-haut, avons inspecté les horizons, qui, de cette hauteur, avons jeté un regard vers le bas? N'est-ce pas en cela que nous sommes

 

des Grecs ? Adorateurs des formes, des sons, des paroles ? Et par conséquent des artistes' ? «

nietzsche

« Textes commentés 43 l) En déchirant le voile de l'apparence, Platon et tous les philosophes sont pour Nietzsche des ennemis de l'art.

Ce texte est au contraire, -et jusque dans son style -celui d'un philosophe-artiste qui d'un même mouvement sanctifie l'apparence et glorifie l'art.

2) Ce retournement du platonisme est caractérisé comme une marque de courage, vertu qui prend le pas sur la sagesse des philosophes.

• Le refus de l'escapade métaphysique, l'affirmation de la vie dans sa puissance d'illusion, sont pour la généalogie, un symptôme de force.

• L'artiste, habitant de la surface, retrouve ainsi l'expérience proprement grecque du rapport au monde que Nietzsche avait appelé tragique.

L'opposition majeure de la surface et de la profondeur qui organise ce texte reprend en effet le contraste énigmatique de l'apollinien* et du dionysiaque* de La Naissance de la tragédie.

3) Mais il ne s'agit pourtant pas de mettre purement et simplement l'apparence à la place de l'être.

La vérité est femme ; présente dans la dissimulation, tout entière dans son paraître et sa parure, elle cache, dans sa pudeur, qu'il n'y a pas de « vérité » derrière le voile, pas de profondeur derrière la surface, mais seulement la mort.

La femme devient ainsi la figure de la vérité : contrairement à l'homme qui s'identifie au phallus, la femme, dépourvue d'un sexe visible et singulier est en effet sans identité propre ; elle est présente dans ses voiles et ses plis, dans le jeu multiple et lunatique de ses visages.

L'apparence n'est pas le contraire de la vérité mais son expression même.

4) Il n'y a ainsi ni réel, ni «vérité», le monde n'est qu'une construction illusoire de la vie mais, parmi tous les systèmes d'illusion que l'homme fabrique, l'art est le seul à n'être pas mystifiant puisqu'il s'avoue, courageusement, comme tel ; l'art magnifie la vie comme puissance d'illusion, redouble ce qui est actif en elle, glorifie le monde comme erreur.

Être artiste c'est croire en la forme, c'est avoir le pied léger du danseur qui respecte l'épiderme des choses et se joue de l'apparence fugitive.

L'association répétée des «mots» (Worte) et des «sons» montre aussi que la parole a originellement une essence musicale.

5) Dans la mythologie grecque Baubô est cette femme qui reçoit Déméter en deuil de sa fille et qui la fait rire en relevant subitement sa robe et en découvrant son ventre.

Le rire de Déméter nous fait comprendre quelle est la fonction de l'art pour Nietzsche : une façon de défier l'abîme et de le révéler tout à la fois, une dénégation de la mort qui en signale la présence inexorable.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles