Pouvons-nous mettre en cause l'existence du monde extérieur ?
Publié le 23/06/2009
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Pyrrhon, à ce qu'on raconte, était parvenu à un tel degré de scepticisme que si ses disciples, plus confiants que lui dans les données de leurs sens, ne l'eussent accompagné, il se fût heurté aux arbres ou laissé choir dans quelque rivière. A de tels récits l'homme de la rue sourit de malice ou de pitié et se félicite de n'avoir pas, à l'école des philosophes, perdu le sens commun. Pour le sens commun, en effet, la question de l'existence du monde extérieur ne se pose même pas, et le monde extérieur est la réalité la plus certaine qui puisse être : nous sommes renseignés sur lui de tant de façons par nos organes sensoriels, par les yeux en particulier, et les sensations, surtout les sensations tactiles, nous donnent un sentiment si incoercible d'atteindre le réel ! Au contraire, dès que nous nous éloignons de ce qui se voit ou de ce qui se touche, quand on nous parle d'esprit ou de pensée, nous perdons notre belle assurance et souvent terminons notre enquête par un point d'interrogation. Que si, parfois, dans ce domaine de l'immatériel, il nous arrive d'atteindre à une évidence qui nous paraît indiscutable, nous ne trouvons rien de mieux, pour montrer qu'il ne saurait y avoir le moindre doute, que de comparer cette vue de l'esprit à une perception sensible : « cela crève les yeux «, disons nous : « c'est palpable «; « on le touche du doigt «... L'idéal de la certitude est donc celle que donne la sensation, celle de l'existence du monde extérieur. Cette existence du monde extérieur, si évidente pour le sens commun, comment le philosophe peut-il être amené à la mettre en doute et sur quelles raisons se fondent sa négation ou son scepticisme ?
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le monde extérieur qui est pure matière ? Comment la pensée et la matière peuvent-elles agir l'une sur l'autre PComment, en particulier, les impressions sensibles produites sur les organes des sens par les phénomènes physiques,peuvent-elles atteindre l'âme et lui faire connaître Je monde extérieur? Avec des sons ou de la chaleur, on neproduira pas une image sur une pellicule sensible à la lumière.
A plus forte raison, la pensée ne pourra jamais êtreproduite par de la chaleur, des sons ou de la lumière; car le son et la chaleur, comme la lumière, sont des vibrations,tandis qu'il n'y a aucun rapport entre des vibrations et une sensation.
La connaissance d'un monde extérieur par uneâme qui est pure pensée est donc impossible.Si cependant elle était réelle ? Le fait aurait vite raison de toutes les spéculations à priori.
Or, n'est-ce pas un faitque nous avons une conscience immédiate du monde extérieur ? Nous n'avons cette conscience que parce que noussommes revenus, inconsciemment, à la conception du sens commun qui fait de l'homme un composé dame et decorps.
Si lame n'est que pensée, atteindre une réalité extérieure à lame est impossible.
En effet, de l'existence dece que j'appelle le monde extérieur, je n'ai qu'une preuve, ma représentation.
Comment m'assurer que cettereprésentation "représente" fidèlement la réalité ou même quelle est provoquée par une réalité extérieure à lapensée P Pour cela, il me faudrait pouvoir sortir de moi-même, de ma pensée, comparer la représentation subjectiveà l'objet représenté, la copie à l'original.
Ainsi faisons-nous pour juger de la ressemblance d'un portrait ou de lacause d'un bruit : s'il me semble entendre des voix sous ma fenêtre et que je désire savoir ce qui en est, je mepenche à l'extérieur, et si je n'aperçois personne, je conclus que c'était une illusion.
Comment m'assurer que macroyance à l'existence du monde extérieur n'est pas une illusion ? Puis-je me pencher, à la fenêtre de mon âme,sortir de moi, pour vérifier ce qui se passe réellement au dehors ?Je puis, il est vrai, contrôler les données des sens les unes par les autres, en particulier la vue par le toucher, et ilsemble tout d'abord que grâce au toucher, par exemple au moyen des sensations tactiles de la main, je sors enquelque sorte de moi et atteins les objets extérieurs en eux-mêmes : la sensation ne se fait-elle pas au contact del'objet, par suite hors de ma pensée ? C'est là une impression trompeuse.
Ma main, en effet, comme tout mon corpset tous les autres corps, je ne la connais que par les représentations diverses que m'en donnent les diversessensations : elle n'est pour moi, immédiatement, qu'une représentation comme les autres.
Les sensations tactilesque je localise dans ce que j'appelle ma main ne sont elles-mêmes que dés éléments de cette représentation.
Cecontrôle ne peut donc pas m'assurer qu'à mes représentations correspond un objet, puisque ce n'est pas à desobjets que je confronte certaines de mes représentations, mais seulement à un autre groupe de mesreprésentations.
Supposez que se présente à mes yeux un individu dont je n'ai pas la moindre connaissance, nidirecte ni indirecte : que me servira, pour l'identifier, d'entendre le son de sa voix ou de sentir les callosités de samain ?Mais, dira-t-on, — et c'est l'argument le plus fort des partisans de Inexistence du monde extérieur, — je ne suis passeul, et il y a d'autres systèmes de représentations que le mien.
Autour de moi, d'autres êtres, mes semblables,croient eux aussi à .l'existence du monde extérieur.
Sans doute entre leur représentation du monde et la mienne, il ya quelques divergences; mais ce ne sont que des divergences de détail : la différence des représentations provientde ce que, étant extérieurs les uns aux autres, nous ne considérons pas les choses du même point de vue.
Voilà,semble-t-il, une preuve irréfutable de l'existence du monde extérieur : car comment expliquer cet accord deconsciences fermées les unes aux autres, à moins d'admettre qu'elles dépendent toutes d'une réalité totalementindépendante d'elles ? L'argument vaudrait si mes semblables et leurs représentations m'étaient connus en eux-mêmes et non dans mes représentations.
Mais, en réalité, « mes semblables », ce n'est pour moi qu'une catégorieparticulière de mes représentations, et l'existence, hors de ma pensée, de mes semblables, n'est pas plus certaineque celle des pierres de la route ou des arbres qui l'ombragent.
Sans doute — et c'est ce qui différencie messemblables des pierres et des arbres — les représentations que j'appelle mes semblables ont elles-mêmes desreprésentations.
Mais qu'est-ce à dire, sinon que je pense des êtres qui pensent comme moi : que peut prouver lapensée de ces êtres, s'ils n'ont d'existence que dans ma pensée ? Donnerai-je plus de vraisemblance à unehypothèse absurde en écrivant des romans qui la confirment ?Il reste cependant, à celui qui nie l'existence du monde extérieur, une grosse difficulté à résoudre.
Car souvent desreprésentations s'imposent à mon esprit qui viennent heurter et contredire d'autres représentations.
J'ai fixé leprogramme de ma soirée et décidé de terminer cette dissertation, et voilà qu'une panne d'électricité ou la visite d'unbavard désoeuvré m'enlève à mon travail.
Mes idées sont arrêtées sur un certain nombre de points.
D'après lareprésentation que je me fais de moi-même, je suis loyal, désintéressé; or, voilà que sous le coup de la colère, unde mes camarades — une de mes représentations — me déclare sans ménagement que je ne suis qu'un vil hypocriteet un égoïste fieffé.
Dira-t-on que toutes ces représentations sont miennes au même titre et qu'en réalité il n'y aqu'une pensée unique, la mienne,, fondement unique des opinions les plus opposées que je vois s'affronter ? Poseren principe la parfaite unité et l'absence de toute contradiction dans la pensée de l'homme suppose uneconnaissance superficielle de soi-même.
En réalité, il y a plusieurs niveaux de pensée, et en changeant de niveau ona parfois l'impression d'avoir affaire à un autre homme; tel bourru d'apparence est au fond d'une sentimentalitéridicule; un autre qui se montre miel et sucre est au fond vinaigre et vitriol; tel qui se surfait a, dans la zonemystérieuse de son âme, une très piètre idée de lui-même tandis que la modestie ne va pas parfois sans quelquesecret orgueil.
Or, entre ces différentes zones de l'âme, il y a des communications : une vague de fond, subitement,amène à la surface un sentiment qui s'ignorait; et c'est alors la lutte qui se concrétise parfois en des dialoguesenflammés qui feraient croire à une dualité de personnes.Cette explication des heurts que subit notre représentation est-elle suffisante ? Il semble bien que non et il n'y apas eu de philosophe qui ait osé réduire toute pensée à la sienne, tous les êtres à lui-même et professer lesolipsisme.
Pour éviter le solipsisme sans reconnaître l'existence d'une réalité extérieure à la pensée, il ne restequ'une ressource : supposer avec M.
Brunschvicg que mon esprit et ma pensée ne sont, comme les esprits et lespensées de mes semblables, que des prises de conscience partielles d'un Esprit et d'une Pensée uniques, chaqueconscience particulière représentant un point de vue particulier sur la réalité totale, réalité .qui, d'ailleurs, sebornerait à la représentation elle-même..
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