Pouvons-nous exister sans faire semblant de vivre ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
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Le texte s'ouvre sur un constat désolant : pas question d'atteindre la vérité proprement dite tant quenous aurons un corps, donc durant notre vie sur terre.
Notre âme, dit Platon, a contemplé autrefois lesIdées du bien, du beau, du vrai, et doit pour les retrouver faire un effort de réminiscence; mais ce travailest perturbé par le corps, d'emblée identifié à un « mal ».
La violence du qualificatif ne peut quesurprendre un lecteur moderne peu habitué à dénigrer le corps et surtout habitué à des étudesneurologiques tendant à ramener l'activité intellectuelle à des processus corporels.
Pourtant le dualismede l'âme et du corps est très présent chez Platon et marque fortement toute la tradition philosophique.L'objet de nos désirs, dit Platon, c'est la vérité, qu'il nomme un peu plus loin « le réel ».
Deux pointsdoivent ici être précisés.Tout d'abord, la vérité évoquée ici est l'Idée de la vérité en soi et pour soi, dont toutes les vérités quenous pouvons connaître ici bas ne sont que des reflets partiels et dégradés.
La vérité est comme le soleilde l'allégorie de la caverne alors que la réalité terrestre n'est en fait qu'un jeu d'ombres dont il fautsavoir s'éloigner par abstractions successives.Ensuite, Platon dit que « nous » recherchons la vérité.
Désigne-t-il par là seulement les philosophes ?Non sans doute : toutes les âmes ont, plus ou moins enfouis en elles, la nostalgie de l'inconditionné, ledésir du beau, du bien et du vrai.
Mais beaucoup se trompent sur l'objet réel de leur désir.
C'est pourquoinul n'est méchant volontairement : ceux qui font le mal ne savent pas vraiment ce qu'ils veulent.Il n'est pas utile de passer en revue le détail des maux dont nous accable le corps, depuis la nécessitéde le nourrir jusqu'aux passions en passant par la maladie.
La critique de Platon peut nous paraîtreexcessive dans la mesure où le souci pour le corps peut également réjouir l'âme ; l'amour par exemplepeut manifester une union étroite entre le désir corporel et une communauté spirituelle ou intellectuelle.Et pourtant l'exemple de la maladie permet de bien comprendre ce que veut dire Platon : la douleur estintolérable parce qu'elle est en nous comme une présence étrangère.
C'est bien notre corps qui souffremais par là même il nous devient en quelque sorte étranger, il ne nous est plus soumis.
Dans les passionscomme la peur, nous disons également que nos jambes se dérobent « malgré nous ».
Enfin, une migrainepeut affecter considérablement nos capacités de réflexion et de discernement.
Ce qui peut choquer c'estque la critique ne soit pas compensée par un éloge du corps; mais les maux que déplore Platon ne sontpas étrangers à notre propre expérience.
Montaigne reprendra largement ce thème de la puissance desémotions corporelles, par exemple de l'imagination, et de la faiblesse de l'intellect face à ces passions.Après avoir cité les maux dont le corps accable l'âme, Platon franchit un degré en lui attribuant laresponsabilité des guerres, destinées à assouvir ses appétits.
Ici on peut se demander si l'argument estvraiment plausible : les causes des guerres sont multiples, et on trouve parmi elles non seulement lavolonté de puissance, mais le prestige de l'idée de puissance, ou des constructions idéologiques.
Il n'estpas certain que l'on puisse vraiment attribuer au corps l'origine de ces représentations.
Le problème dumal humain atteint sa profondeur précisément lorsqu'il faut reconnaître que ceux qui ont fait le malsavaient ce qu'ils faisaient.L'aboutissement de ce réquisitoire peut faire sourire tant il semble que Platon tienne l'impossibilité dephilosopher pour plus grave encore que les guerres.
Le terme de « loisir », qu'il emploie ici, est trèsimportant dans sa pensée et revient fréquemment dans ses dialogues : pour rechercher la vérité il fautavoir du temps devant soi et l'esprit suffisamment libre.
Souvent, dans les dialogues platoniciens,Socrate doit appeler à plus de patience des interlocuteurs trop pressés de conclure le raisonnement.Dans le Ménon ou le Gorgias, se produit exactement ce que Platon déplore : les interlocuteurs se laissentemporter par leurs passions, notamment par l'orgueil et la vanité.
Ne supportant pas la réfutation queSocrate oppose à leurs propos, ils se fâchent et menacent d'interrompre la discussion.
Conclusion.
C'est en fait à un véritable travail d'ascèse que nous convie Platon à travers ce réquisitoire contre lecorps.
Sans doute ne pouvons-nous éviter de lire ce texte avec beaucoup de distance; mais on ne peutêtre que frappé par la proximité de ce texte et de différents mysticismes ou une doctrine aujourd'huiaussi prisée que le bouddhisme, qui invite également à discipliner et à dompter le corps, siège de ladouleur qui nous empêche d'accéder à la sérénité parfaite.
La leçon à retenir de ce texte est que laphilosophie ne peut se pratiquer sans une certaine expérience du silence et de l'ascèse spirituelle - àcondition, mais c'est un autre débat, d'admettre que l'objet de la philosophie est la contemplation ou laméditation de l'absolu..
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