Devoir de Philosophie

Pouvons-nous connaître autrui autrement qu'à partir de nous-mêmes ?

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION

Article « autrui » du Littré :

« Autrui de alter-huic, cet autre, à un cas régime : voilà pourquoi autrui est toujours au régime, et pourquoi autrui est moins généra) que les autres. »

Lévinas : « Autrui, en tant qu'autrui, n'est pas seulement un alter ego (un autre moi-même). Il est ce que moi je ne suis pas. » L'autre ne serait-il pas absolument autre qu'en étant un ego c'est-à-dire, d'une certaine façon, le même que moi ?

Reconnaître le semblable dans la différence ne serait-ce pas la condition de toute éthique et de tout « respect » de « la personne »?

La reconnaissance de l'essence de l'étant (quelqu'un étant comme autre, comme autre soi), la reconnaissance « d'autrui » ne conditionnerait-elle pas le respect de l'autre comme ce qu'il est : autre.

Sans cette « reconnaissance », sans ce « laisser-être » d'un autrui comme existant hors de moi dans l'essence de ce qu'il est (est d'abord dans son altérité), une éthique est-elle possible ?

« L'autre » et le moi de l'enfant. La psychologie de l'enfant nous indique qu'il n'y a pas d'abord opposition entre le moi et autrui. L'enfant part d'un syncrétisme ou, si l'on veut d'un confusionnisme. C'est précisément le rapport avec autrui qui l'amènera à un changement de perspective.

L'évolution de là personnalité de l'enfant s'accomplit à tous les stades, en fonction d'autrui :

opposition à autrui,

se donner en spectacle à autrui,

jouer le rôle de l'autre, puis de l'autre généralisé (Cf. l'ethnologie G.-H. Mead),

la crise dite d'originalité juvénile.

Se demander si ce qui est donné en second lieu, ce ne serait pas le moi; si la connaissance du moi (et l'évolution de la connaissance du moi) ne serait pas dépendante et en tout cas seconde par rapport à la connaissance d'autrui (et l'évolution

de la connaissance d'autrui).

S'interroger sur ce qui amène l'adulte à penser que le « moi » est premier. L'adulte peut-il penser autrui autrement qu'à partir de lui-même?

TRAITEMENT

Quand nous rencontrons un ami, nous nous comportons immédiatement comme si nous avions affaire à une personne intelligente, raisonnable, capable de sensations et de sentiments, en tous points semblables à nous-mêmes. Autrement dit, immédiatement, nous voyons en lui un autre moi, en latin un alter ego. Pourtant, comment puis-je savoir qu'autrui est un autre moi? La réponse la plus simple est la suivante je me représente autrui à partir de moi-même, autrement dit j'imagine la pensée et les sentiments d'autrui sur le modèle de ma propre pensée et de mes propres sentiments. Mais une telle réponse n'est peut-être pas satisfaisante : elle semble impliquer l'existence d'un raisonnement incompatible avec l'immédiateté avec laquelle je reconnais autrui comme un autre moi. Y a-t-il une autre manière de penser autrui, plus proche de notre expérience ordinaire? Pour répondre à ce problème, nous examinerons tout d'abord la connaissance que nous semblons avoir d'autrui à partir de nous-mêmes, pour soumettre ensuite cette analyse à une critique sévère. Il nous restera à déterminer alors s'il peut exister une alternative à cette manière de connaître autrui.

Par quel moyen pouvons-nous connaître autrui? Pour répondre à cette question, il faut auparavant déterminer ce que signifie l'expression « connaître autrui », en d'autres termes, il nous faut savoir ce que l'on connaît lorsque l'on connaît autrui.

Autrui est un autre moi. Cela signifie qu'autrui est un être intelligent, capable de sensations et de sentiments, qui manifeste dans son comportement sa rationalité, autrement dit, un être dont les caractères essentiels sont en tous points semblables aux miens. Ainsi, comprenons-nous les actions d'autrui en lui attribuant des désirs, des croyances et une manière rationnelle de satisfaire ses désirs en fonction de ses croyances. Par exemple, si un cycliste tend le bras vers la droite à l'approche d'un carrefour, nous comprenons son acte en lui attribuant le désir de tourner à droite et la croyance selon laquelle, en tendant son bras vers la droite, il indique aux automobilistes sa volonté de tourner prochainement à droite. D'autres phénomènes sont liés au fait qu'autrui est un autre moi : ainsi ai-je spontanément à son égard une forme de respect que je ne manifeste pas pour les objets que j'utilise.

« a.

L’altérité fondamentale creusée par la différence culturelle Cependant, la thèse que nous venons de soutenir ne laisse pas de poser quelques problèmes : en effet, commentconnaitrons nous autrui à partir de nous-mêmes, lorsque la différence culturelle est complète ? Reprenons notreexemple de la connaissance d’autrui par le langage de son corps dont les signes sont communs à ceux que nousproduisons : lorsque nous appliquons cette herméneutique avec un être d’une culture entièrement différente, elle nefonctionnera pas.

Le corps, en effet, ne produit pas un langage naturel commun à l’humanité, il est modelé par lasociété, par la culture, les gestes sont conventionnels plutôt que naturels. b.

La monadologie des êtres humains A partir de cette critique, nous pouvons conclure provisoirement à une monadologie universelle des êtres humains.

Ilsemble que je ne puis connaître autrui à partir de moi-même car je ne puis le connaître tout court.

Entre autrui etnous même, il y a une différence irréductible : je ne puis entretenir des rapports avec autrui qu’au prix d’uneincompréhension à peu près complète. III. La sortie du solipsisme par l’art et la raison : autrui est connaissable au prix d’un effort réciproque a.

Autrui se fait connaître par l’art Cependant, contre cette conclusion nous dirons que nous pouvons connaître autrui autrement qu’à partir de nous- mêmes : car autrui est capable de se faire connaître, la connaissance d’autrui n’est pas uniquement un résultat de ma propre volonté, mais également de l’initiative d’autrui.

Kafka écrivait : « La littérature est la hache qui brise la mer gelée en nous ».

La littérature, en tant que prise de parole personnelle, est le meilleur moyen de mettre au jour l’individualité d’un homme, et de la faire partager aux autres.

Par la littérature, la solitude des hommes prend fin : autrui se fait connaître à nous-mêmes.

La compréhension de son individualité passe même par le renoncement à ce que nous pouvons nommer la saisie analogique (connaître autrui par moi-même) car celle-ci pourrait nous faire manquer ce qu’autrui a de profondément singulier. b.

« Un instrument universel qui sert en toutes sortes de rencontre » : la raison, moyen de la connaissance d’autrui Mais cet effort pour connaitre autrui peut également venir de nous-mêmes, sans toutefois que la connaissanced’autrui se fasse à partir de nous-mêmes, par cette saisie analogique dont nous parlions plus haut.

Comme disaitDescartes : la raison est un instrument universel qui sert en toutes sortes de rencontre.

C’est d’abord par la raison,par un effort intellectuel que nous connaissons autrui : le postulat de sa différence fondamentale doit sans douteêtre préféré à celui d’une équivalence entre autrui et nous-mêmes. Conclusion : A première vue, nous connaissons autrui à partir de nous-mêmes, par une saisie analogique qui fait de son corps unlangage dont la grammaire est en moi-même.

Cependant, la différence culturelle fausse cette saisie analogique,menaçant ainsi la connaissance d’autrui à partir de nous-mêmes.

En définitive, la connaissance d’autrui est produitepar autrui lui-même, qui se donne à connaître dans les produits de l’art, et par ma propre raison, qui saisit autruidans sa singularité, et non comme une simple extension de moi-même.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles