Pouvoir du langage et langage du pouvoir
Publié le 13/10/2019
Extrait du document
«
est
devenue l'immense public de la télévision.
L'homme politique craignant le
distributeur d'images ou le spécialiste en communication s'en fait des alliés et -
même le général de Gaulle- apprend à jouer son rôle devant les caméras.
Il ne faudrait pas croire cependant que l'accès au pouvoir médiatique (la
médiocratie, si l'on veut) soit aisé.
Autrefois le milieu où s'élaborait le langage
adéquat était extrêmement restreint (une cour, un Parlement), aujourd'hui il a
changé, s'est élargi mais n'est pas devenu pour autant cene foire que l'on imagine
parfois.
Il s'agit plutôt d'un anisanat passablement élitiste.
En font panie ceux qui
savent filtrer les idées et les tendances informes de la masse : le langage effiCace ne
résulte pas du hasard mais d'une sensibilité particulière; n'est pas "branché" qui
veut.
En lisant les Mythologies de Banhes, on pourrait croire qu'on fabrique
aisément des Louison Bobet ou des Poujade : il n'en est rien.
Et que serait un mythe
politique qui durerait l'espace d'une saison 1 La gauche, le libéralisme ou Georges
Pompidou som des produits élaborés lentement dans des ateliers très compétents.
Les juristes ont longtemps été les mattres de ce langage du pouvoir; on a, au XIXème
siècle, attribué à la presse le "quatrième" pouvoir, les Universitaires ont régné au
début du vingtième siècle, nous sommes, peut-être, à l'Age de Séguéla Les bastions
les plus solides se conquièrent diffiCilement : 11nstitut d'études politiques de Paris,
les grandes écoles (mais non pas toutes), quelques grands journaux, radios ou
télévisions constituent des clubs plutôt fermés et ceux qui réussissent en dehors des
filières habituelles sont des exceptions ...
qui confirment la règle.
Toutes les institutions majeures ont pour rôle de tester et d'élaborer le langage
du Pouvoir.
D'où cet air de connivence qu'ont ceux qui possèd ent le code, quel que
soit leur pani ou leur opinion.
L'un des privilèges les plus incontestables du milieu
dirigeant est précisément de conserv er la langue, comme l'ont bien montré Pierre
Bourdieu et J.
Cl.
Passeron dans un ouvrage désormais classique.
Le langage de la
culture se confond avec celui de la classe dirigeante, si bien que l'éducation
supérieure va comme un gant aux enfants issus des milieux dirigeants alors que ceux
des milieux populaires souffrent d'un handicap diffiCile à surmo nter.
Le privilège
du langage est d'autant plus diffiCile à détruire qu'il semble aUer de soi et parait être
le résultat (et non � l'origine) d'une instruction supérieure.
Les faits de langue
montrent la capacité "performative" des classes supérieures d'imposer leur
prononciation, leur lexique, de déterminer la qualité des énoncés corrects.
La
légitimité (la force institutionnelle) alliée à la poss ession du langage co nvenu marque
les hommes du pouvojr.
Ceci est tellemen t vrai que ceux qui veulent accéder à la.
compétition pour la conquête institutionelle du pouvoir doivent faire la preuve de
leur capacité langagière sur un terrain qu'ils n'ont pas choisi : M.
Marchais doit
démontrer qu'il maitrise le français politique (ce qu'il fait fon bien d'ailleurs,
malgré les critiques malveillan ts).
Les langages non "reçus", le basque et le breton,
le "parler-croquant" ne sont tolérables que comme des parenthèses.
Les dirigeants
qui parlent un fançais négligé le font avec affectation; à tout moment, ils peuvent
reprendre l'usage académique et, cela, tout le monde le sait.
Quand le chanteur
Renaud, fils d'un professeur à la Sorbonne et interviewer du President de la
République française parle "mal", il montre ce double pouvoir que peuvent posséder
seulement un très petit nombre de ses compagnons du show-business.
M.
Giscard
d'Estaing à l'accordéon reste M.
Gram d'Estaing
Il.
Le rôle du pouvoir intermédiaire
1 1 n'en reste pas moins que le langage étant la propriété commune de tous les
hommes qui ne souffrent ni d'aphasie ni de handicap caractérisé, nul n'admet
plus ce qu'admettaient encore les Japonais de 194S: que la "langue de l'Empereur".
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