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Pourquoi un « dictionnaire des passions » ?

Publié le 08/01/2024

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« Préface Pourquoi un « dictionnaire des passions » ? A tous moments de l’histoire des mœurs et de la pensée, le projet est légitime : toute étude à caractère anthropologique et littéraire se doit d’établir une sorte de bilan des questions qu’elle laisse en suspens et des réponses qu’elle tente d’apporter. Mais elle doit répondre aussi à un « besoin » du public, et à notre époque, les interrogations sur les passions semblent se multiplier et se diversifier.

La passion n’est pas seulement un sujet de la littérature, elle est aussi un objet d’étude pour les sciences humaines, philosophie, sociologie, psychanalyse, linguistique, ou sémiotique.1 Elle ne peut être l’objet d’un savoir totalisant, et la forme du dictionnaire avait d’éviter le défaut d’une théorie générale qui reste à prouver.

L’accroissement des connaissances et des disciplines ne fait aucun doute, mais est-ce pour autant que le savoir augmente sur un sujet de ce type ? Nous sommes dans le domaine de l’humain, et la réponse unique ou la vérité sont toujours sujettes à caution.

Développer un projet linéaire supposerait résolus des problèmes qui ne le sont pas, des concepts qui seraient forgés une fois pour toutes ; faire un bilan de tout ce que les sciences humaines ont dit sur la question était totalement impossible : nous avons donc choisi cette formule, plus souple, plus personnelle, et aussi plus facile à manier. Notre équipe, au fait de diverses méthodes d’investigation, en applique trois, essentielles : l’approche philosophique, l’approche anthropologique et psychanalytique, et l’approche sémiotique.

Certes, nous avons voulu contribuer à la connaissance de la littérature et à la connaissance de l’homme qui en est indissociable, nous pouvions permettre ainsi au lecteur de mieux comprendre les mécanismes de l’âme humaine – dans ses rapports au corps, et en même temps de la comprendre à la lumière de la littérature.

Celle-ci est un éclairage à la fois très particulier et très général, tant il est vrai que tout texte littéraire est à la fois un hapax, unique en son genre, même s’il est profondément inscrit dans son époque et dans une tradition littéraire, et une sorte d’objet universel, qui se lit d’âge en âge, de diverses façons, et à des niveaux différents. 1 Voir Claude Gautier et Olivier Le Cour Grandmaison , Passions et Sciences humaines, PUF, 2002. L’étude se fera sous des modes divers : tantôt plus « sémiotique », tantôt plus « anthropologique et historique », tantôt plus « philosophique » par le moyen de la comparaison de textes d’époques et de pays différents, mais toujours en liaison avec l’analyse de la Littérature et des autres Arts, dans le domaine européen, parce que les passions ne se comprennent que dans un contexte donné, tant il est vrai qu’elles sont « culturelles » autant que « naturelles ». Nous avons ainsi espéré donner au lecteur l’envie de se plonger dans la lecture de textes très variés, et de trouver un nouvel intérêt aux passions – si tant est qu’elles en aient besoin.

Pour mieux rencontrer l’autre et soi-même par le biais de l’art. Introduction Introduire à l’étude des passions peut se faire de diverses manières : la tentation première est de parcourir l’histoire des idées philosophiques et de survoler les diverses théories qui, toutes sans exception, se sont colletées à la question.

Mais il existe des ouvrages très bien faits sur la question2, qui en offrent des analyses fines et complètes et il serait fastidieux d’imposer au lecteur un simple résumé de ces théories.

On préfèrera une autre manière de faire et de dire : il s’agit de repenser globalement la question de la passion dans ses démêlés avec la raison et avec l’action pour essayer d’en tirer quelques constantes.

La pensée occidentale – on ne s’aventurera pas sur d’autres terrains, qui donneraient sans doute d’autres significations à la passion – désigne par passion un ensemble d’affects variés et souvent fluctuants, variable selon les époques, mais il est constant de dire que le mode de ces affects est intense, et souvent incontrôlable par la raison.

En effet, encore aujourd’hui, les passions sont souvent considérées comme l’autre de la raison, dans une antinomie classique, bien que, on le verra, beaucoup de théories ont tenté de récuser cette coupure.

Un point de départ étymologique semble s’imposer, pour ensuite tenter de brosser une toile de fond pour notre dictionnaire, une sorte de décor sur lequel se jouent les différents actes des « drames passionnels » qui sont le lot de l’humaine condition – dans une culture donnée. . Avatars historiques d’une notion 2 Voir Michel Meyer, Le philosophe et les passions, Livre de poche, Biblio Essais, 1991. Le terme de passion apparaît en grec comme un sens spécifique du mot pathos, « ce qui arrive brusquement », en particulier souffrance et douleur.

Le sens philosophique désigne d’abord l’état de celui qui subit une influence extérieure, puis l’état, en général, puis encore l’état d’âme accompagné de l’idée de pâtir.

Aristote, dans sa Métaphysique définit le pathos comme une qualité altérable, ce qu’on éprouve, ce qu’on subit et qui produit dans le sujet une modification.

Dans L’Ethique à Nicomaque la passion est un mouvement dans la manière d’être, une modification du comportement : la colère, les désirs amoureux, provoquent des changements dans le corps et l’esprit.

L’être humain est capable d’être ému,“ passible ” (versus “ impassible ”) de recevoir des influences propres à le modifier - d’où l’intérêt des orateurs et des rhéteurs pour les passions.3 Un couple signifiant est constitué par pathos et êthos/éthos : dans la pensée antique, certains les opposent, certains pensent qu’il y a un continuum entre les deux ensemble.

L’éthos désigne le comportement, les mœurs, les coutumes, les habitudes, et l’êthos les mœurs et le comportement vus dans leur aspect moral.

Aristote a présenté un exposé systématique de ce qu’il nomme caractère, dans le cadre d’une théorie de la persuasion : l’orateur aussi doit avoir un caractère particulier, être un « homme de bien qui parle bien ».

Quintilien opposera pathos à êthos comme des mouvements vifs à une émotion mesurée et contenue, plus durable : amor est du côté du pathos, alors que caritas est du côté de l’êthos.

La rhétorique antique est fondée sur l’usage par l’orateur de ces passions qu’il s’agit de connaître et d’utiliser dans l’art de convaincre et de persuader : il faut contrôler l’évolution psychique de l’auditeur, et le beau discours doit altérer les mouvements de son âme. L’autre couple signifiant est celui qui est formé par pathos et logos.

Le logos est le discours porteur d’une action, la Raison, la Logique.

Pour Platon déjà, tout ce qui ne relève pas des idées – et le logos y est enraciné – est du domaine de la doxa, de l’opinion, du sensible.

Pourtant, chez Platon , il y a deux logos, l’un qui engendre les propositions et les jugements et l’autre qui porte les marques de l’humain.

Le philosophe suppose une partie irascible de l’âme, qui est liée au statut du savoir, car elle permet d’acquérir la vertu, d’apprendre.

L’exercice de la raison suppose une ascèse qui déplace les désirs au profit de la raison.

Aristote fait état de ces deux logos, et souligne 3 Gisèle Mathieu-Castellani, La Rhétorique des passions, PUF, Ecriture, 2000. dans sa Rhétorique (Livre2, Des passions) que celles-ci représentent des rapports à l’autre qui passent par des effets de langage, irréductibles à la seule rationalité du logos.4 Il permet au logos de récupérer la contingence, le probable, l’opinion, que Platon avait placés dans la doxa.

Le rhétorique s’exprime au sein du logos, et du même coup les passions.

Aristote pose qu’il y a ce qui est comme devant être, qui est ce qu’étudie la science, et ce qui est comme pouvant aussi ne pas être, qui sera du domaine de la rhétorique.

Le pathos est proprement la voix de la contingence, une qualité : pas de sujet sans cette contingence qui le définit, et pas de sujet si on le définit seulement par ses qualités.

Aristote s’en sert pour caractériser la passion, qui suppose aussi l’action, et exprime la différence du sujet humain.

Pour Aristote, et sa conception politique de l’homme, les passions doivent être au service de l’action, et tenues dans un juste milieu qui est la vertu, critère de la participation de soi et de l’autre à la Cité. Les latins adoptent passio et perturbatio, qui retient l’idée de mouvement, motus animi, puis adfectus supplante les deux premiers termes dans la langue savante post-humaniste.

Les rhéteurs latins célèbreront les joies intenses de l’éloquence, parlant du « zèle enflammé » qui les possède. La rhétorique reste jusqu’à l’âge classique un modèle de description et de classement des passions : c’est Descartes qui instaurera une coupure avec la rhétorique et la pensée antique en produisant son Traité des passions de l’âme.

La Littérature, l’Opéra, le Théâtre, héritiers de la Rhétorique, seront alors les lieux privilégiés de la représentation des passions. Le français ou l’anglais passion est attesté pour les souffrances du Christ depuis.... »

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