Pourquoi travaillons-nous ?
Publié le 06/01/2020
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Travail et besoin
L'opposition entre le travail et l'œuvre suggère que le travail a pour fonction principale la reproduction de la « vie biologique » : il servirait à satisfaire les besoins utiles à la vie (se nourrir, se vêtir, se loger...). À cause de cette finalité « vitale », le travail ferait du travailleur celui qui reste attaché à la sphère animale de son existence. C'est en ce sens que Hannah Arendt oppose le travail, rivé aux besoins, dont les produits sont faits pour être consommés, donc pour ne pas durer, à l'œuvre (l'ouvrage de l'artisan et la création de l'artiste), plus spirituelle et donc plus humaine (cf. textes 5 et 6).
Pourtant, dans bien des cas, les produits du travail semblent ne pas répondre à des besoins vitaux.
Il faut ici d'abord s'interroger sur la légitimité des besoins que le travail permet de satisfaire. Les critiques adressées aux sociétés de consommation font de cette idée un leitmotiv : les besoins ne cessent de croître et il faut toujours travailler davantage pour les satisfaire, mais ces besoins sont « artificiels ». Déjà Rousseau voyait dans la multiplication des besoins une perversion de l'humanité, déplorant que les hommes soient incapables de se satisfaire d'une vie simple et frugale. Les besoins naturels sont alors opposés aux besoins artificiels. « Naturel » est assimilé à « vital » et à « nécessaire », I' « artificiel » est dénoncé comme « superflu ». Et tout travail non limité à la satisfaction des besoins naturels tombe sous cette dénonciation : production d'objets inutiles, il serait le fait d'une humanité entraînée dans la spirale sans fin des besoins superflus et réduite à la seule dimension laborieuse de son existence, parce que condamnée à produire toujours plus pour consommer davantage.
Mais ces oppositions et ces assimilations sont discutables. L'adjectif « vital » lui-même est source de confusions : s'il ne
«
désigne que ce qui est strictement indispensable à la conser
vation biologique de l'individu, ou de l'espèce, alors presque
aucun des besoins dont nous considérerions aujourd'hui la
non-satisfaction comme scandaleuse ou intolérable ne sau
rait être qualifié de« vital >>.
Est-il vital de vivre avec l'élecVi
cité, de dormir dans un lit, etc.
?
li y aurait donc des besoins appelés «vitaux», parce
qu'absolument naturels (ou biologiques), et d'autres« vitaux>>
en un autre sens : ils définissent ou délimitent, dans une
société; le seuil de pauvreté.
Ces derniers sont « nécessai
res» si l'on veut; mais il faut alors distinguer« nécessaire»
et « naturel >>.
Ce sont des besoins à la fois nécessaires et
historiques, c'est-à-dire relatifs à un certain état de dévelop
pement social.
Ainsi, les besoins de confort, mais aussi ceux
liés par exemple à l'urbanisation, comme les transports.
Reconnaître cette nécessité relative et historique des
besoins, c'est ne plus se satisfaire d'une opposition entre
le naturel et l'artificiel.
Celle-ci exprime un point de vue de
moraliste.
D'une part, elle suggère que l'artificiel est du super
flu, qui peut être sans dommage retranché de nos sociétés
dévorées par le consumérisme.
D'autre part, les besoins natu-·
reis sont alors définis en référence (même lorsqu'elle est
implicite) à un mode de vie idéal, abstraction faite des condi
tions sociales et historiques, mais lié à une conception du
bonheur humain.
Ainsi Rousseau; définissant le bonheur
comme un état d'équilibre entre les besoins et les moyens
de les satisfaire, critique les sociétés dans lesquelles cet équi
libre individuel ne peut être réalisé (cf.
texte 7).
On pourrait en vérité tout aussi bien inverser, comme le
fait Hegel (cf.
texte 8), cette perspective « rousseauiste » :
le travail, qui nous offre la possibilité de satisfaire de plus en
plus facilement des besoins de plus en plus variés, est le
signe, non d'un éloignement d'un état de nature idéal, mais
d'un progrès continu des sociétés humaines.
C'est bien parce
que l'homme est capable, grâce au travail, de satisfaire des
besoins « sociaux» qu'il échappe à la pure animalité.
Travail et maÎtrise
Cette perpétuelle création suggère qu'il est impossible de
réduire le travail à sa fonction vitale.
Le but du travail est moins
la satisfaction du besoin que l'activité elle-même.
On pourrait.
»
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