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Pourquoi obéit-on aux lois ?

Publié le 25/02/2021

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Pourquoi obéit-on aux lois ? Attention, dans ce chapitre on traitera de la loi juridique (du droit), et non plus de la loi morale. Nous allons à présent établir la distinction qui existe entre l’obligation morale et l’obligation juridique. I. Critère de distinction Obligation morale Obligation juridique Du point de vue de leur objet Elle se soucie de la vertu de l’individu. Le droit a pour objet d’organiser la vie en société. Il prescrit ce qu’une société donnée, à un moment donné, considère comme nécessaire ou utile à la vie sociale. Du point de vue de leur source La règle morale a sa source dans l’intériorité personnelle et demeure affaire d’intériorité. Un individu est moral par ses intentions, par la bonté de sa volonté. La règle de droit a sa source dans l’extériorité puisque c’est le juge ou le législateur qui édicte la loi qui va valoir pour tous. Par ailleurs le droit ne se soucie pas de la vertu morale des individus et juge seulement l’obéissance à la loi, la conformité externe des actions à la loi. Du point de vue de leur modalité d’application La règle morale n’est pas coercitive. Son application dépend de la bonne volonté de l’individu. La règle de droit est coercitive. C’est-à-dire que l’autorité politique veille à son respect en sanctionnant ceux qui l’enfreignent. Nous obéissons aux lois parce qu’il n’y a pas de justice sans lois et lorsque les lois sont légitimes A. Nous obéissons aux lois parce qu’il n’y a pas de justice sans lois Nous pouvons tout d’abord penser que nous obéissons aux lois parce que nous y trouvons un ?intérêt?. Nous effectuons un calcul rationnel et nous nous rendons ainsi compte qu’il est plus intéressant pour nous d’obéir aux lois. En effet, les lois résultent d’un accord entre les hommes et visent à prémunir chacun contre le risque de subir une injustice. On voit donc en quoi consiste le calcul rationnel que nous effectuons : je gagne plus (éviter de subir une injustice) à obéir aux lois que ce que cela me coûte (ne plus pouvoir commettre d’injustices). Il est donc dans mon intérêt d’obéir aux lois. 1 De ce point de vue, le mythe de Gygès (raconté au début du deuxième livre de ?La République de Platon) montre que l’homme n’est pas naturellement juste : il cherche à satisfaire tous ses désirs, même si cela implique de nuire à autrui. Le mythe raconte en effet l’histoire de Gygès qui est un simple berger. Il découvre une Bague d'or et remarque que, chaque fois qu'il tourne sa Bague vers l'intérieur, il devient invisible pour tous, tout en gardant la faculté de voir et d'entendre ce qui se passe autour de lui. Une fois ce pouvoir découvert, il s'arrange pour faire partie des messagers envoyés au palais royal. Là, grâce à cette invisibilité, il séduit la reine, complote avec elle et assassine le roi pour s'emparer du pouvoir. L’intérêt du mythe est de suggérer que toute personne dotée d’un tel pouvoir agirait au fond comme Gygès le fait, c’est-à-dire utiliserait ce pouvoir pour accomplir ses désirs car elle saurait qu’elle ne risque rien à le faire. C’est pourquoi les lois sont nécessaires : elles contraignent les individus à ne pas commettre d’injustices. C’est parce que les individus ne sont pas ?naturellement? justes qu’il faut ?instituer? la justice. Mais il faut aller plus loin : non seulement l’homme n’est pas naturellement juste mais en plus il est incapable de définir par lui-même ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Autrement dit, il réclame justice après avoir subi une injustice mais son jugement n’est pas ?objectif?. Comme il est ?indigné par ce qui lui est arrivé (ou à ses proches) et qu’il estime être une injustice, son jugement est ?subjectif1 et ?partial2. Le risque alors, c’est que celui qui s’estime victime d’une injustice (ou est proche d’une personne qui subit ce qu’il considère être une injustice) décide de se venger, c’est-à-dire de punir lui-même le ou les coupables. Or on ne peut pas se faire ainsi justice soi-même, car on ne peut être à la fois juge et partie. La justice consiste à accepter l’arbitrage d’une tierce personne, extérieure au litige, qui n’ayant aucun intérêt dans l’affaire a assez de distance et de recul pour être objective. Ainsi, celui qui se venge pense se faire justice, mais : - Son jugement est troublé par ses sentiments (indignation, colère, tristesse, etc.) et n’est donc pas objectif. Il est donc toujours possible que sa réaction soit disproportionnée par rapport au mal subi. Rien ne garantit que sa vengeance ne donne pas lieu à une nouvelle vengeance qui à son tour... Ainsi, la justice n’existe que : 1. lorsque ce sont les lois (et non pas chaque individu en fonction de ce qu’il subit) qui définissent ce qui est juste et ce qui ne l’est pas ; 2. lorsque ces lois sont appliquées de manière impartiale par un juge, qui sanctionne les infractions commises et donne des peines proportionnelles à leur gravité. 1 2 Pour la définition d’un jugement subjectif, je vous renvoie aux cours précédents. Qui manifeste une préférence marquée sans souci d'équité ou de justice. 2 L’allégorie de la justice (photo ci-dessus) symbolise ainsi ce que nous venons d’expliquer : - Le bandeau symbolise l’impartialité : la justice doit être rendue objectivement et indépendamment de la puissance ou de la faiblesse des accusés. Le glaive sanctionne les infractions et dissuade ainsi les individus de commettre des injustices. La balance instaure une égalité entre le crime constaté et la peine infligée. B. Nous obéissons aux lois lorsqu’elles sont légitimes 1. Le passage à la conception moderne de la politique Pour comprendre le cadre de pensée politique dans lequel nous nous situons, il faut revenir à la crise de légitimité qui touche les valeurs et les croyances morales dès le début du 16e siècle et qui a posé un problème considérable quant à la possibilité même de l’ordre social. Cette crise de légitimité est liée à la crise religieuse qui a traversé l’Europe au début du 16e siècle à travers les guerres de religion entre protestants et catholiques. Ce qui apparaît en effet avec ces guerres, c’est une crise morale de l’obéissance qui aboutit à ce que les individus ne puissent plus obéir aux lois en vigueur en considérant seulement leur valeur intrinsèque qui assure leur légitimité. Nous avons en effet vu dans la partie précédente que les individus obéissent aux lois parce qu’il n’y a tout simplement pas de justice sans lois et qu’il est donc dans leur intérêt d’y obéir. Mais cette première raison d’obéir présente tout de même une limite, qui est précisément celle du problème de la légitimité des lois. Il arrive en effet que des lois ne soient pas justes. Or admettre ainsi qu’il existe des lois injustes suppose qu’il existe une norme supérieure à l’aide de laquelle on peut juger les lois. Si je peux dire qu’une loi est injuste, c’est parce qu’au fond je considère qu’elle ne respecte pas une norme ou un principe de justice qui lui est supérieur. 3 Prenons ainsi l’exemple d’Antigone. Dans la mythologie grecque, Antigone est la fille d'Œdipe et de la reine Jocaste. Elle est la sœur d'Étéocle, de Polynice et d'Ismène. Les deux frères d'Antigone, Étéocle et Polynice, se disputent le trône de Thèbes laissé par Œdipe, et Étéocle chasse Polynice, qui revient pour assiéger sa propre cité à la tête d'une armée. Tous deux en viennent à s'affronter lors des combats livrés devant la ville et meurent de la main l'un de l'autre. Après le duel fratricide et la fin de la bataille où les défenseurs sont victorieux, un héraut vient annoncer l'ordre de Créon (l’oncle d’Antigone, désormais roi de Thèbes) : il ordonne que le corps de Polynice, qu'il considère comme un traître à sa patrie, reste sans sépulture à l'endroit où il est tombé, contrairement à celui d'Étéocle. Antigone refuse d’obéir à Créon parce qu’elle considère qu’une telle décision est injuste dans la mesure où elle va à l’encontre d’une loi supérieure, qui est celle des dieux et ordonne de donner une sépulture à tous les morts. C’est donc au nom d’une loi supérieure qu’Antigone peut considérer que la loi de Créon est injuste. C’est pourquoi il faut bien distinguer plusieurs notions : Légal Est légal ce qui est conforme au droit positif. Droit positif Le droit positif est l'ensemble des lois instituées d'une société donnée, c’est-à-dire l’ensemble des lois en vigueur à un moment donné dans une société donnée. Légitime Est légitime ce qui est conforme à la justice comme norme du droit. Autrement dit ce qui est conforme à un idéal de justice. La justice comme norme du droit désigne ainsi un ensemble de valeurs fondamentales auxquelles toute législation est supposée se conformer en principe. Droit naturel Désigne un droit non écrit, mais supérieur au droit positif, qui vaut pour n’importe quel homme. Il correspond à un idéal de justice. Ainsi, si l’on adopte le point de vue d’Antigone, on peut considérer que son acte de désobéissance (elle tente d’enterrer son frère Polynice) est certes illégal (puisqu’il s’oppose à la loi de Créon alors en vigueur) mais qu’il est légitime (puisqu’il est conforme aux lois divines qui sont supérieures aux lois humaines et que la législation de Créon devrait normalement respecter). Tout le problème, on le comprend, est de savoir où trouver ces valeurs fondamentales ou cet idéal de justice auquel le droit positif devrait se conformer. Dans le cas d’Antigone, on l’a compris, elle trouve cet idéal de justice dans les lois divines. Or c’est précisément une telle solution qui est apparue comme impossible à la suite des guerres de religion au 16e siècle. 4 Pour le comprendre, il faut bien voir qu’avant ces guerres on se situe encore dans un schéma de pensée de la politique que l’on peut dire classique et qui caractérise à la fois la société antique et médiévale. Nous allons donc commencer par expliquer ce qui caractérise ce schéma de pensée puis nous verrons en quoi consiste le schéma de pensée moderne dans lequel nous nous trouvons encore. Schéma de pensée de la politique antique et médiéval : Des penseurs politiques comme Aristote ou Thomas d’Aquin considèrent que la société politique possède une origine naturelle. L’idée est assez simple : tout individu naît au sein d’une famille et les familles finissent naturellement (parce la famille isolée ne parvient pas à assurer sa propre protection et son autonomie au niveau économique et militaire) par s’associer et former ainsi des sociétés politiques3. Mais cette idée selon laquelle la société politique est une réalité naturelle tient aussi au fait que dans ce schéma de pensée antique et médiéval, la société politique est pensée comme ce qui permet aux êtres humains de réaliser leur nature. Autrement dit, c’est seulement en vivant dans une société politique que l’être humain peut réaliser sa nature, ce qu’il est. Or - toujours dans ce schéma de pensée il y a toujours un individu (cela peut être le sage dans l’antiquité, l’homme d’église par la suite, le prince, etc.) qui est plus compétent que les autres parce qu’il sait non seulement quelle est cette nature que nous avons tous à réaliser, mais aussi ce que nous devons faire pour y parvenir. Un tel individu connaît l’ordre de l’univers ; et parce qu’il connaît cet ordre, il sait ce que tout individu a à être, a à réaliser ou à atteindre ; si bien qu’il peut lui indiquer ce qu’il doit faire pour réa...

« De ce poin t de vu e, le myth e de Gyg ès (ra co nté au dé but du deuxiè m e liv re de ​La Républiq ue de Pla to n) mon tr e que l’h o m me n’e st pa s natu re ll e m en t ju ste : il ch erc h e à sa tis fa ir e to us se s désir s , mêm e si ce la im pliq u e de nu ir e à autr u i. Le myth e ra co nte en effe t l’h is to ir e de Gyg ès qui est un sim ple be rg e r. Il déco u vre une Bag ue d'o r et re m arq ue que, ch aque fo is qu'i l to urn e sa Bag ue ve rs l'i n té rie ur, il de vie nt in vis ib le pour to us, to ut en gard ant la fa cu lt é de vo ir et d'e n te ndre ce qui se passe auto ur de lu i. Une fo is ce pouvo ir déco uve rt, il s'a rra nge pou r fa ir e pa rtie des messa ge rs en vo yé s au pala is ro ya l. Là, grâ ce à ce tte in vis ib ilit é , il sé duit la re in e , co m plo te ave c elle et assa ssin e le ro i pour s'e m pare r du pouvo ir . L’in té rê t du myth e est de su ggé re r que to ute pers o nne doté e d’u n te l pouvo ir agir a it au fo nd co m me Gyg ès le fa it , c’e st- à -d ir e utilis e ra it ce pouvo ir pour acco m pli r se s désir s ca r elle sa ura it qu’e lle ne ris q ue rie n à le fa ir e . C’e st po urq uoi le s lo is so nt néce ssa ir e s : ell e s co ntr a ig nent le s in div id us à ne pas co m mett r e d’in ju stic e s. C’e st parc e que le s in d iv id us ne so nt p as ​natu re lle m ent ​ ju ste s q u’i l fa ut ​in stit u er ​ la ju stic e . Mais il fa ut alle r plu s lo in : no n se ule m en t l’h o m me n’e st pa s natu re lle m ent ju ste mais en plu s il est in ca pable de dé fin ir par lu i- m êm e ce qui est ju ste et ce qui ne l’e st pas. Autr e m ent dit , il ré cla m e ju stic e aprè s avo ir su bi un e in ju stic e mais so n ju g em ent n’e st pas ​obje ctif ​.

Com me il est ​in dig né par ce qui lu i est arr iv é (o u à se s pro ch es) et qu’i l estim e êtr e une in ju stic e , so n ju gem ent est ​su bje ctif et ​partia l .

Le ris q ue alo rs , c’e st que ce lu i qui s’e stim e 1 2 vic tim e d’u ne in ju stic e (o u est pro ch e d’u n e pers o nne qui su bit ce qu’i l co nsid ère êtr e une in ju stic e ) décid e de se ve nger, c’e st- à -d ir e de pu nir lu i- m êm e le ou le s co upa ble s. Or on ne peut pas se fa ir e ain si ju stic e so i- m êm e, ca r on ne peut êtr e à la fo is ju ge et partie . La ju stic e co nsis te à acce pte r l’a rb it r a ge d’u n e tie rc e pers o nne , exté rie ure au lit ig e , qui n’a ya nt aucu n in té rê t dans l’a ffa ir e a asse z de dis ta nce et de re cu l pour êtr e obje ctiv e . Ain si, ce lu i qui se ve nge p ense s e fa ir e ju stic e , m ais : - Son ju gem ent est tr o ub lé par se s se n tim en ts (in dig n atio n, co lè re , tr is te sse , etc .) et n’e st d onc p as o bje ctif . - Il est donc to ujo urs possib le que sa ré a ctio n so it dis p ro po rtio n née par ra pport au mal su bi. - Rie n ne gara ntit qu e sa ve nge ance ne donn e pas li e u à une nouve lle ve nge ance qui à s o n to ur... Ain si, la ju stic e n’e xis te que : 1. lo rs q ue ce so nt le s lo is (e t no n pas ch aqu e in d iv id u en fo nctio n de ce qu’il su bit ) qui dé fin is se n t ce qui est ju ste et ce qui ne l’e st pas ; 2. lo rs q ue ce s lo is so nt appliq uées de man iè re im partia le par un ju ge, qui sa nctio n ne le s in fr a ctio ns co m mis e s e t d onne d es p e in es p ro po rtio n nelle s à le ur g ra vit é . 1 P our la d éfin it io n d ’u n ju gem ent s u bje ctif , je v o us r e nvo ie a ux c o urs p ré cé dents . 2 Q ui m anif e ste u ne p ré fé re nce m arq uée s a ns s o uci d 'é quit é o u d e ju stic e . 2. »

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