Pourquoi les hommes maîtrisent si mal leur histoire?
Publié le 19/01/2005
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Analyse du sujet :
- le verbe « maîtriser « suppose que le sujet soit maître, c’est-à-dire conscient + libre de ce qu’il fait. La maîtrise s’oppose à la passivité (au faut de subir au lieu de commander) : maîtriser = agir au sens plein (être au commande de toute la structure de son action, de la délibération à l’accomplissement) - l’histoire : ensemble des évènements passés + récit de ces évènements. Ici, le récit en eux-même ne permet pas de poser le problème : rapporter ce qui s’est fait ne laisse peu et en principe pas du tout de liberté (en effet, les dates de la seconde guerre mondiale ne peuvent être modifiées) de sorte que ce qui nous intéresse ici = l’histoire, moins en tant qu’elle est rapportée (considérons-la comme objective), qu’en tant qu’elle est un ensemble d’évènements dont il s’agit de savoir s’ils sont ou non sous l’entière responsabilité des hommes. - Il s’agit donc de se demander si l’histoire humaine est entièrement faite d’actions au sens strict ou si elle est, comme le suppose certaines philosophies de l’histoire, déterminées par des causes que l’homme ignore de sorte qu’il la subit. - Enjeu : la construction de l’histoire en cours, actuelle : sommes-nous responsables de ce qui se fait (comme nous l’avons été de ce qui s’est fait par le passé) ou bien faut-il se résigner à l’inutilité des précautions (tout ce qui doit arriver arrivera) ? [remarque : problème valable autant sur le plan collectif – l’homme en tant qu’humanité en général – que sur le plan individuel – l’homme singulier, moi et mon histoire en tant que vécu : suis-je déterminé par ma naissance et mon enfance à agir de telle ou telle sorte à l’avenir comme le soutient la psychanalyse ou bien mon passé est-il tout ce que j’ai voulu de sorte que mon avenir ne sera que ce que j’en ferai ?] Problématique : les hommes sont-ils toujours principes et générateurs de leurs actions de sorte que l’histoire humaine est entièrement façonnées par les décisions des hommes ou bien est-il illusoire d’accorder un tel pouvoir d’action à l’homme de sorte que ce qu’il croit être son histoire n’est en vérité qu’un ensemble d’évènements dans lesquels il n’est pour rien mais qui le déterminent ?
«
III – Hegel et l'histoire L'histoire n'est donc pas une masse informe de données historiques, mais la construction d'un sens par l'historien ; or, nous l'avons dit, celui-ci setrouve pris entre deux méthodes, qui minimisent sa maîtrise de l'histoire.Prolongeons ces remarques de deux manières : premièrement, disons que sil'historien maîtrise l'histoire et que son activité n'est jamais fantaisiste celan'implique pas forcément que cette maîtrise soit totale.
Mais, qu'elle ne soitpas totale, ne doit pas pour autant discréditer l'historien.
Cela conduit à notredeuxième remarque : les hommes sont toujours inscrits dans l'histoire ; s'ilsécrivent l'histoire, ils la font également, d'où l'idée qu'elle puisse échapper enpartie à leur maîtrise.
Pour Hegel, l'histoire possède une fonction bien particulière : elle estsource de progrès.
Elle n'est plus historié (compilation), mais Geschichte .
Le terme vient du verbe geschehen , qui signifie « se produire », « arriver ».
De ce point de vue, l'histoire est le lieu même où les choses se produisent, oùdes événements arrivent, qui déterminent l'évolution du monde.
Hegel pensepar exemple aux grands hommes de l'histoire mondiale, tel Napoléon, qui ontinflué directement sur le cours des événements.
L'histoire est donc lemouvement même du monde, dans lequel les hommes se trouvent pris : être,pour Hegel, c'est être historique, c'est-à-dire devenir quelque chose d'autreque ce que l'on est.
Il s'agit donc toujours d'être ce que l'on est pas et de ne pas être ce que l'on est.
Si Kant, en effet, accordait une certaine positivité au conflit social, comme moteur de l'évolution, Hegel va plus loin, en légitimant en quelque sorte la violence révolutionnaire.
C'est en effet par la violence que l'on passe d'un stadedéterminé de la conscience de la liberté et de la forme d'État qui lui correspond à un stade plus développé.
Orchaque peuple incarne un moment de ce processus : « L'esprit d'un peuple est un esprit déterminé […] selon ledegré historique de son développement.
»La violence peut prendre la forme d'une guerre pour l'hégémonie : « L'idée générale, la catégorie qui se présented'abord dans ce changement sans trêve des individus et des peuples qui existent un temps puis disparaissent, c'esten général la transformation.
La vue des ruines d'une magnificence antérieure, nous conduit à saisir cettetransformation par son côté négatif.
[…] Or la conséquent la plus prochaine qui se rattache à la transformation,c'est que celle-ci qui est ruine, est aussi naissance d'une vie nouvelle.
»La transformation, les grandes périodes de l' histoire sont les moments où le monde existant et reconnu est mort, miné par de nouvelles possibilités, par l'exigence de donner forme au nouveau stade de l'Idée de liberté.
Or la forcede casser les vieilles structures et de fonder les nouvelles, Hegel l'assigne aux grands hommes de l' histoire (Alexandre, César, Napoléon).Ce sont des héros dans la mesure où leurs passions personnelles coïncident avec l'exigence du temps, et leurdonnent la capacité de passer par-dessus les lois et la morale reconnues pour « accoucher » l' histoire de sa nouvelle forme.La ruse de la raison, la ruse de l' histoire consistent en ce que les hommes croient réaliser leur ambition et mettent en réalité au jour ce qu'exigeait l'époque : « Il résulte de l'action des hommes en général encore autre chose que ce qu'ils projettent et atteignent, que ce qu'ils savent et veulent immédiatement ; ils réalisent leurs intérêts, mais il seproduit avec cela quelqu'autre chose qui y est caché à l'intérieur, dont leur conscience ne se rendait pas compte,et qui n'était pas dans leurs vues.
»Les passions humaines, les buts particuliers des hommes ne servent qu'à réaliser la progression de l'Idée de liberté, et la connexion du stade déterminé de la conscience de la liberté et des aspirations humaines se manifeste au seind'une forme politique et étatique elle-même déterminée : « Ainsi deux éléments interviennent dans notre sujet : l'unest l'Idée, l'autre les passions humaines ; l'un est la chaîne, l'autre la trame du grand tapis que constitue l' histoire universelle étendue devant nous.
La liberté morale dans l'Etat forme le centre concret et la jonction de ces deuxéléments.
»L'ultime conséquence de cette compréhension de l' histoire est que, loin qu'on puisse juger l' histoire , celle-ci devient le tribunal des actions humaines.
Une fois reconnue la nécessité suprême du développement de l'Idée de liberté etde sa réalisation concrète dans l'Etat, les considérations morales deviennent oiseuses.
Si Hegel affirme que ceux qui résistent par noblesse et moralité au progrès de l'Idée et à la ruine du monde reconnu qu'elle entraîne sontmoralement plus « haut » que les héros qui détruisent l'ordre antérieur, c'est pour ajouter aussitôt que ces grands hommes sont « justifiés du point de vue du monde.
» « A ce point de vue toutefois, il ne faut pas émettre à l'encontre d'actions historiques de portée universelle et deleurs auteurs des exigences morales qui leur sont étrangères […] D'ailleurs l' histoire universelle pourrait, en général, entièrement négliger la sphère où se range la moralité.
»
Ainsi, aussi tragique que soit l' histoire , les objections des « belles âmes » ne valent pas.
Et le but des tentatives hégéliennes est de « justifier la réalité méprisée ».
En ce sens, il s'agit bien d'une laïcisation de l'idée de Providence(qui veut que Dieu dirige le mot).
Il y a un moralisme plat.
Or : « La philosophie doit nous amener, par opposition àces idéaux, à reconnaître que le monde réel est tel qu'il doit être, que le vrai bien, la raison divine, universelle, estaussi la puissance propre à le réaliser.
».
»
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