Pourquoi faut-il se méfier de la nature en général, et en particulier de la nature humaine ?
Publié le 21/07/2005
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La notion de « nature humaine « est d'abord et avant tout l'incarnation de cette exigence. Il n'en demeure pas moins que le mot « nature «, dans l'expression « nature humaine «, voit son sens quelque peu déplacé. La « nature « à laquelle Rousseau se réfère, est, on l'a vu, une construction méthodologique (cf. cours, Ire partie). La nature de l'homme, si elle est sa nature première et originelle, reste en effet introuvable. Il y a donc bien eu un glissement de sens du mot « nature «, qui est passé du biologique au culturel : la nature humaine renvoie moins à la nature qu'à l'essence, c'est-à-dire aux caractéristiques permanentes et récurrentes qui permettraient de définir l'homme. Cependant, la nature au sens propre n'est pas tout à fait absente de la notion de nature humaine.b) A bien y réfléchir, on peut même finalement trouver quelque chose d'heureux dans ce glissement de sens du mot « nature «, et dans l'ambiguïté qui en résulte. Il est peut-être significatif et rassurant que ce soit du côté de la nature que l'homme cherche son essence, si l'on considère, comme les sciences humaines contemporaines le font, que l'oubli des conditions physico-chimiques de l'existence prive l'humanisme de tout son sens. L'entreprise de Lévi-Strauss, qui, dans La Pensée sauvage, vise à réintégrer la culture dans la nature (cf.
«
et perfide, parce qu'elle se prévaut d'une valeur, la nature, là où elle n'est en réalité qu'une prise de positionculturelle.
La nature est dangereuse dans la mesure même où elle devient un instrument de condamnation, et où ellepeut être mise au service des opprobres les plus réducteurs et les moins estimables.
Ce danger n'existe qu'à partirdu moment où on oublierait que la « nature humaine » est une métaphore culturelle, et non une réalité naturelle,c'est-à-dire qu'à condition d'oublier qu'à proprement parler il n'y a pas de nature humaine.b) De façon plus générale, l'abus (au sens tout simple de l'abus de langage) que représente cette notion est celuid'une généralisation abusive ; parler de nature humaine, c'est souvent prendre son cas pour une généralité, etpostuler qu'autrui ne saurait être que mon semblable (faute de quoi il est « anormal »).
C'est donc renoncerd'avance à la pluralité, à la différence, malgré la fécondité, pour l'homme, de cette pluralité et de ces différences :et il faudrait ici se demander, en s'appuyant par exemple sur la littérature, si c'est en soi qu'on trouve l'homme (endéduisant de cette introspection ce que peut être l'homme en général) ou si c'est justement en celui qui est le plusradicalement différent de celui que je suis.
III - L'homme n'a pas de nature mais il a, ou plutôt il est une histoire.
1) L'homme est le produit d'une évolution.
Cette conception d'une essence humaine préalable est intenable devant les progrès de l'anthropologie et dessciences humaines.
Depuis le XIXième, les sciences biologiques ont établi de façon définitive et irréversiblel'origine animale de l'homme.
En 1859, Darwin publie « L'origine des espèces ».
Dans cette oeuvre ; il retrace l'évolution de la vie depuis l'animal unicellulaire, en passant par les poissons, les amphibies, lesmammifères et les hommes primitifs, jusqu'aux « homini sapientes », cad aux hommes tels que nous les connaissons aujourd'hui.
Cette théorie de l'évolution remet en cause le dogme de la création en six jours ainsi celui de la créationinstantanée de l'âme.
L'homme n'a pas d'essence préalable, il n'est pas tout donné au départ mais il est leproduit d'une évolution.
2) L'homme s'est produit lui-même dans l'histoire à partir de la nature.
Pendant longtemps a prévalu une conception cérébraliste de l'hominisation.
L'idée était claire : le passage dusinge à l'homme s'était effectué par un simple grossissement du cerveau.
Au Xxième siècle, l'hypothèse del'homme-singe prend fin et les progrès des sciences de l'homme nous permettent de comprendre le passage del'animalité à l'humanité non pas non pas comme un simple processus de cérébralisation mais comme un processusplus complexe dans lequel le travail a joué un rôle fondamental.
On doit à Leroi-Gourhan d'avoir montré dans« Le geste & la parole » que c'est avant tout l'organisation corporelle de l'homme qui lui a permis d'utiliser des outils.
L'homme ne se différencie pas d'abord de l'animal par la pensée mais par ses caractéristiques physiques.Le premier critère biologique de l'humanité et le plus important de tous, c'est la station verticale qui a pourconséquence la libération de la main : « La liberté de la main permet une activité technique différente de celle des singes et sa liberté pendant la locomotion alliée à une face courte et sans canines offensives commandel'utilisation des organes officiels que sont les outils. »
On sait que les grands singes utilisent ce qui semble avoir une fonction comparable à l'outil dans leur activité dechasse ou de protection contre les prédateurs.
Par exemple, un chimpanzé est capable de se servir d'unebranche d'arbre qu'il aura pris soin d'effeuiller préalablement pour recueillir des termites ou des fourmis au fond deleur trou.
De la même manière, un castor est capable de fabriquer ce qui ressemble à nos barrages sur lesrivières...
Pour Leroi-Gourhan, il y a une différence de nature et pas seulement de degré entre la capacitéhumaine à inventer des outils et ce qui s'apparente plutôt chez l'animal à un simple détournement d'objet: " Lafabrication et l'usage du biface relèvent d'un mécanisme très différent, puisque les opérations de fabricationpréexistent à l'occasion d'usage et puisque l'outil persiste en vue d'actions ultérieures.
" Le biface, c'est la pierretaillée la plus primitive que l'on connaisse en paléontologie.
Mais il révèle déjà une pensée et pas seulement uninstinct.
Les opérations de fabrication préexistent à l'usage de l'objet : autrement dit, l'homme fabrique d'abordle biface dans sa tête avant de passer à l'acte avec le silex.
Par ailleurs, il y a conservation de cet outil, ce quisignifie que l'homme sait qu'il va pouvoir s'en servir ultérieurement.
Et, c'est par le travail –rendu possible par la préhension de l'outil- que l'homme s'est produit lui-même dansl'histoire à partir de la nature.
En transformant la Nature, l'homme s'éloigne de son animalité originelle, iltransforme sa propre « nature ».
Ainsi le langage apparaît originellement comme l'un des moyens nécessaires du travail.
Comme l'outil, la parole est un intermédiaire.
Elle opère un décalage entre l'intention et l'action.
Ainsi, parexemple, pour couper un objet l'homme prépare une lame tranchante au lieu de s'attaquer directement à l'objet.De même, au lieu de montrer un objet désiré et de faire signe qu'on le lui apporte, il émet des sons.
De cedécalage naît la pensée.
La pensée est le produit de l'action différée, médiatisée par l'outil et par la parole.Langage, pensée, outil s'engendrent donc mutuellement et se renforcent sur la base du travail.
3) L'homme est un être de culture.
Si l'homme a une origine animale, il n'en diffère pas moins qualitativement des animaux.
Quiconque étudie lephénomène humain est frappé par l'ampleur extraordinaire des progrès psychiques de l'humanité au cours desquarante ou cinquante derniers millénaires.
Ces progrès s'expliquent par l'apparition chez l'homme de trois faits.
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