Pourquoi faut-il obéir aux lois ?
Publié le 31/12/2005
Extrait du document
«
régissent l'existence physique et psychique de l'homme lui-même [...].
La liberté consiste par conséquent dansl'empire sur nous-mêmes et sur la nature extérieure, fondé sur la connaissance des nécessités naturelles.
» (Engels,Anti-Dühring, Éditions sociales, p.
142)Se soumettre aux lois de la nature pour s'en rendre maîtres, fort bien.
Mais n'existe-t-il pas une loi plus proche del'esprit humain, à laquelle il nous faudrait obéir ? Toute loi désigne-t-elle bien un rapport invariable entre lesphénomènes ?
B.
Pourquoi s'incliner devant la loi morale et lui obéir ?
Il existe, en effet, une loi plus conforme à l'essence de l'homme, la norme morale s'imposant au sujet sous l'aspectde l'impératif catégorique Tu dois, et ceci sans condition...
Agis de telle sorte que tu puisses vouloir que la maximede ton action soit considérée comme une loi universelle.
Obéis au devoir, à la loi étrangère à tout mobile empiriquede la sensibilité.Mais pourquoi obéir à la morale, qui humilie précisément notre libre spontanéité et nos penchants ? Être libre, n'est-ce pas précisément vivre au gré de nos désirs et impulsions, favoriser le jeu de la sensibilité et des affections ?Pourquoi l'obéissance à un devoir humiliant, comme Kant nous le montre, penchants et désirs, vie sensible etdonnées empiriques, puisque seule compte l'obéissance à une loi formelle et universelle domptant le désir ?Mais, en vérité, se soumettre à l'universel de la loi, c'est accéder à l'autonomie.
Et, en effet, l'affaiblissement del'influence des penchants, loin d'être asservissement ou esclavage, est accès à la liberté.
Être libre, n'est-ce pasaccéder à une volonté rationnelle, s'élever à un mode de vouloir proprement humain ? Or, ce mode de vouloir vaexclure la spontanéité immédiate, plus proche de l'animalité que de l'humanité.
Être libre, pratiquement, c'est serendre indépendant des penchants, des caprices, de la spontanéité telle qu'elle est donnée.
Pourquoi donc obéir à laloi morale ? Pour accéder à l'autonomie et opter soi-même pour la loi de la raison.
« L'autonomie de la volonté estcette propriété qu'a la volonté d'être à elle-même sa loi [...].
Le principe de l'autonomie est donc d'opter toujours detelle sorte que la volonté puisse considérer les maximes qui déterminent son choix, comme des lois universelles, dansce même acte de vouloir.
» (Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, Lagrange, p.
90).En somme, pourquoi se soumettre au devoir ? Parce qu'alors je règle ma volonté sur l'idée formelle de loi et parcequ'ainsi j'accède à une saisie en quelque sorte « intelligible » de moi-même : indépendant à l'égard desdéterminations naturelles, à l'égard du mécanisme de la nature entière, je deviens cet être qui se soumetvolontairement à la loi de la raison, qui met à distance toute détermination externe.
Devoir, nom sublime et grand !Tel est le cri de Kant dans la Critique de la raison pratique quand se taisent tous les penchants, alors surgit la «personnalité », comme autonomie du sujet moral.Après Rousseau, Kant nous montre que l'obéissance à la loi que l'on se prescrit est liberté.
Mais cet ordre kantien dela moralité n'annonce-t-il pas l'ordre social ?
C.
Pourquoi s'incliner devant la loi civile ou politique ?
Tout comme la loi scientifique et la légalité éthique, la loi politique paraît m'enchaîner bien davantage qu'elle ne melibère.
Pourquoi donc s'incliner devant elle, alors qu'elle semble nous contraindre ? Émanant du pouvoir politique, etce dans le but d'organiser et de régir l'activité d'un ensemble social, n'est-elle pas de l'ordre de la contrainte ?Quand le citoyen se soumet à un ensemble légal qui le dépasse, quand il saisit que la sanction peut suivre toutetransgression, alors ne subit-il pas durement le poids des lois civiles, qui commandent pour tous ? Expressions del'organisation de la vie sociale, les lois civiles humilient et domptent la subjectivité.
Nous retrouvons ici lephénomène analysé à propos de l'impératif catégorique : les lois issues de l'État ne limitent-elles pas nos librespenchants ? Pourquoi donc s'incliner devant elles ?Toutefois, il est permis, avec Montesquieu, de poser la question : être libre politiquement, est-ce bien faire ce quel'on veut ? Est-ce bien se livrer au caprice ou à l'arbitraire ? L'arbitraire pèsera finalement sur chaque citoyen.Apparemment plaisant, semblant sauvegarder la jouissance, ne conduit-il pas finalement au despotisme ? Si chacunfait ce qu'il veut, alors la crainte s'emparera de l'ensemble de la société.
La liberté consiste donc à obéir aux lois.Pour quelle raison ultime faut-il s'incliner devant la loi ? Parce que loi et liberté sont liées : « La liberté politique neconsiste point à faire ce que l'on veut.
Dans un État, c'est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté nepeut consister qu'à vouloir faire ce que l'on doit vouloir [...].
La liberté est le droit de faire tout ce que les loispermettent : et si un citoyen pouvait faire ce qu'elles défendent, il n'y aurait plus de liberté, parce que les autresauraient de même ce pouvoir.
» (Montesquieu, De l'esprit des lois, tome 1, Garnier-Flammarion, p.
292).Grande leçon de philosophie politique, que l'on retrouvera chez Rousseau et Hegel, en particulier : pourquoi s'inclinerdevant la loi politique ? Parce qu'il n est point de liberté sans lois, parce que la loi civile est celle de la raison, quidomine les particularités subjectives.
Si toute loi n'affranchit pas, la vraie loi, issue de la raison, libère.
Par exemple,la loi d'un régime totalitaire ne saurait émanciper le citoyen : cette loi n'est pas celle de la raison.
Mais la vraie loiobjective, celle de l'État démocratique, met à distance l'arbitraire et fait accéder à la rationalité.
Conclusion
Ainsi, dans tous les cas que nous avons examinés, obéir à la loi, c'est, en définitive, obéir à la raison universelleconstitutive de l'homme : ici réside le motif essentiel de l'obéissance aux lois, obéissance qui fonde la libertéauthentique.
La liberté, loin d'être libre spontanéité, est autonomie : obéissance à la loi que l'on se prescrit soi-même.
Telle est la réponse au problème soulevé par le sujet..
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