Pour être moi, dois-je me différencier des autres ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
Affirmer sa personnalité, c'est s'opposer à tout ce qui n'est pas conforme à elle. Cependant, la différenciation à tout prix ne peut tenir lieu de personnalité. L'être qui n'existe que dans l'opposition à autrui est tout aussi vide que celui qui ne s'oppose à rien parce qu'il n'est rien lui-même. On ne peut devenir soi complètement par référence à autrui. Que faut-il donc ajouter à la simple différenciation des autres pour atteindre son être véritable? Nous essaierons de tracer le chemin résolument personnel par lequel le moi, s'arrachant aux relations qui le lient aux autres, peut entrer en possession de soi. Nous découvrirons que la route qui mène à soi passe encore par autrui. Ce sont donc les relations complexes qui m'unissent aux autres qu'il faut élucider.
«
On reliera cela à la critique que fait Rousseau de la société.
En société, les hommes cessent de se déterminer pareux-mêmes, et n'existent plus que sous le regard d'autrui.
L'hypocrisie (hypocrite signifie en grec « comédien ») estdonc le vice social par excellence.
L'homme n'agit qu'en se comparant à autrui ou en recherchant son approbation.Par exemple, l'amoureux veut avant tout plaire à l'objet de sa flamme qu'il institue en juge de tous ses actes.
Cettealiénation est redoublée dans la jalousie : il cherchera d'autant plus à être aimé qu'il triomphera par là de son rival, ilne jouit que du bien qu'on lui dispute.
(Voir aussi la différence entre l'« amour-propre » qui fait intervenir unecomparaison avec autrui, et l'« amour de soi », dans le Discours sur l'origine de l'inégalité.)
Le phénomène de la mode confirme ces analyses.
Elle met en jeu un constant échange de regards : être à la mode, c'est s'opposer à ceux qui ne le sont pas et imiter ceux qui le sont déjà.
D'où le perpétuel renouvellement des modes: la longueur des jupes ou la hauteur des talons n'ont pas de signification en soi, ces critères ne valent que dans unjeu d'opposition.
On peut même pousser le paradoxe plus loin : être à la mode peut signifier être sciemment démodé(voir le dandysme fin de siècle de Barbey d'Aurevilly)! La mode n'exprime donc pas la personnalité, mais traduit ladépossession de soi par le regard d'autrui.
[3.
Être soi-même, c'est être indépendant des autres. ] En conséquence, l'originalité, loin d'être la garantie d'une forte personnalité, témoigne d'une absence de personnalité.
Que suis-je? Rien de ce que les autres sont, c'est-à-dire rien de défini, n'importe quoi.
L'excentrique se situe négativement hors des normes, mais sait-il lui-même où il setrouve? Il n'est que recherche de soi.
L'originalité n'a donc pas de valeur en tant que telle.
Elle ne vaut que si ellerépond à une nécessité intérieure : seule la sincérité a du prix.
Être soi-même, ce n'est donc pas être différent, maisêtre indépendant.
La certitude d'être soi se passe de l'approbation et ne se fait pas un point d'honneur à s'opposer systématiquement aux autres.
L'esprit libre est à lui-même sa propre justification ; il est, selon la distinction deNietzsche, actif et non réactif : il crée ses propres valeurs au lieu de se prononcer par référence à celles desautres.
Cependant, il ne suffit pas d'être sincère pour être libre.
Un esprit libre est plutôt un esprit libéré.
C'est en effet jusque dans mes pensées personnelles, dans mes goûts subjectifs que je suis aliéné par le regard de l'autre.
Pourdevenir soi-même, il faut donc se détacher de tout ce qui en soi est factice, lié à la vie en société.
L'opposition àautrui prend ici un sens nouveau : il ne s'agit plus de marquer sa différence, mais de dépasser l'opposition del'original et du conformiste, par une libération à l'égard de tout apport extérieur.
Ainsi, pour avoir du goût, il faut prendre le risque de se détacher des goûts de sa classe ou des contestataires de sa classe.
De même, il n'y a deliberté et de sincérité dans nos actes qu'en se délivrant des « tabous », ce qui ne veut pas dire qu'on lestransgressera systématiquement, mais qu'on sera prêt à le faire, si on en éprouve la nécessité.
Ce détachement àl'égard de tout préjugé, de toute autorité extérieure, cet esprit de libre-examen est aussi le propre de laphilosophie; on se souviendra de Descartes
mettant, grâce au doute, tout savoir entre parenthèses.
On ne devient donc soi-même que par une ascèse qui nouslibère de tout élément extérieur.
Cependant, cette caractérisation n'est encore que négative : ce détachementn'est que la condition préalable d'une découverte positive de soi.
[II.
Être soi-même dans la fidélité à un appel intérieur.]
[1.
L'impossible retour au naturel. ]
Pour être soi-même, il faudrait retrouver son être authentique enfoui sous les masques de la comédie sociale.
Ils'agirait de retrouver le naturel.
L'expression « une personne naturelle » désigne en effet quelqu'un qui ne se soucie pas de l'impression produite sur les autres.
La rencontre de telles personnes nous réjouit, leur maladresse mêmenous étant sympathique, car elles représentent une liberté à laquelle nous aspirons (cf.
Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, paragraphe 4).
Cette forme du retour à la nature paraît cependant illusoire.
La question ne se pose que pour qui a perdu saspontanéité.
Or, une spontanéité retrouvée n'est plus spontanée.
Le naturel que l'on retrouve n'est pas identique àcelui que l'on a perdu : il n'est pas une appartenance à soi qui précède toute perte de soi, mais une réappropriationde soi.
On peut même aller plus loin : l'idée de naturel perdu ne serait que la projection illusoire du désir de nousconstituer une personnalité cohérente.
Par exemple, au moment de l'adolescence, on ne sait plus qui on est parcequ'on se sent traversé par une multitude d'influences : on identifie tel geste, telle attitude comme provenant depersonnes qui nous ont impressionnés.
D'où le désir de devenir soi.
Mais il serait illusoire de penser que nous nous sommes perdus.
Certes, nous avions dans l'enfance une personnalité homogène, mais l'apparition de donnéesnouvelles a fait éclater cette unité.
L'équilibre que l'on retrouvera ne pourra en aucun cas être un retour à lapersonnalité de l'enfance.
L'adolescence est bien plutôt un moment de crise, c'est-à-dire de transition vers une personnalité nouvelle.
Je n'ai donc pas perdu le naturel, car je suis dans une situation nouvelle pour laquelle aucuneattitude naturelle n'a encore existé.
[2.
Être soi-même, c'est unir la multiplicité des apports extérieurs. ]
Nous pouvons définir la personnalité comme ce qui fait l'unité de la personne, de ses goûts, de ses attitudes, de ses idées...
Mais cette unité doit plutôt être pensée comme une unification.
Être soi-même n'est donc pas commenous l'avions cru, éliminer l'influence, mais l'intégrer, ou plutôt, on élimine l'influence en l'assimilant.
On ne devient unqu'à partir d'une mosaïque d'éléments étrangers..
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