POUR BIEN PENSER, FAUT-IL NE RIEN AIMER ?
Publié le 13/03/2004
Extrait du document
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viendra automatiquement fausser sa pensée (du moment, bien sûr, qu'il ne souffre pas d'indigestion).Plus sérieusement, et plus radicalement, celui qui prétend penser doit y trouver quelque satisfaction: bien penserimplique, au minimum, l'amour de la pensée elle-même, qui peut devenir tel qu'il efface tous les autres.
Mais aimer la pensée, c'est croire qu'elle n'est pas vaine et que le but qu'elle poursuit n'est pas illusoire.De ce point de vue, l'exercice de la pensée correcte ou bien menée ne peut avoir lieu que si l'on préfère la vérité àl'erreur, ou le bien au mal.
Faute de quoi il n'y a nulle raison de vouloir bien penser.La pensée juste n'est pas en effet une donnée immédiate.
Tout au contraire, elle ne se constitue qu'en détruisantles valeurs apparentes (même si elles sont communément admises), les opinions et les idées toutes faites.
Lapensée juste est ainsi nécessairement polémique, mais c'est parce qu'elle ambitionne de trouver le vrai — auquel elleaccorde donc le plus grand prix, ou, si l'on préfère, qu'elle aime.C'est à l'inverse, si l'on est indifférent au vrai et au bien, si l'on n'aime pas davantage le bien que le mal ou le vraique le faux, que la pensée perd toute exigence (qu'elle ne s'effectue pas « bien »), et qu'elle devient aussitôtbeaucoup plus facile et sans doute, d'une certaine façon, plus «séduisante ».L'amour du vrai et du bien, c'est ce qui définit traditionnellement, dès Socrate, l'attitude philosophique.
Que lephilosophe se condamne à ne rien aimer, ne serait-ce pas contredire son appellation même — qui fait allusion à laquête amoureuse d'une sagesse jamais assurée.
(Le candidat possédant une connaissance suffisante du Banquet de Platon peut ici y faire allusion.
D'un point de vueplatonicien, la question appelle une réponse immédiatement négative, puisque c'est précisément l'amour, à traversses différents niveaux, qui permet de découvrir l'idée de Beau en soi, si voisines de celle du Bien, et l'amour desIdées est ce qui, par définition, fait penser le philosophe.)
Bien penser ne peut s'effectuer que sur le fond de cet amour du vrai et du bien.
Mais cet amour n'est pas seulementcondition initiale.
Peut-être constitue-t-il le ressort permanent de la pensée.
Celle-ci est lente, difficile, jamaiscertaine d'atteindre son but.
Si elle devait se développer indépendamment de toute affectivité, sans doute serait-elle désespérante : l'amour du vrai, l'espoir de le trouver, constituent l'aiguillon constant qui relance la pensée et enmaintient la tension.
C'est lui qui peut seul donner à l'exercice de la pensée son contrepoint affectif — ce sentimentde joie qui peut se manifester après chaque pas en avant, et va parfois jusqu'à l'ivresse.Pascal et Nietzsche, si différents à tant d'égards, se rejoignent dans leur façon de témoigner du bonheur ressentilors de la révélation de leur vérité: au Mémorial de l'un fait écho l'exaltation du second.
Au «Joie.
Pleurs de joie» dumystique répond le pseudonyme bouillonnant de rage de l'« Antéchrist ».
De part et d'autre, l'accès à la valeur estsanctionné par le sentiment d'une plénitude qui constitue le point ultime de la passion mise dans la quête.
Ne rien aimer est le lot des «âmes mortes».
L'amour animant qui prétend bien penser est en fait une passion pour ceque peut ou doit lui apporter la pensée elle-même..
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