Pour bien observer, faut-il une grande étendue de connaissance ?
Publié le 23/09/2004
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Observer quelqu’un c’est plus que simplement le voir, et même que le regarder : c’est l’examiner « sous toutes ses coutures, « lui porter une attention particulière en prenant en compte le moindres détails de ses traits et de sa stature. Observer, cela semble examiner un objet au moyen des sens, en étant le plus exhaustif possible. L’observation serait ainsi une source de connaissances, mais ne requerrait pas spécifiquement de connaissances. Au contraire, c’est une certaine forme de perception toute aussi passive que les autres. C’est un moment de recueil d’informations, et non de mises en œuvres de celles-ci : les tables d’observation en astronomie par exemple sont dressées sans connaître la position préalable des astres ou les lois qui gouvernent leur mouvement.
Mais on a tous fait cette expérience : face à une œuvre d’art dont on connaît l’auteur et ses autres œuvres, face à un match d’un sport dont on connaît les règles et que l’on pratique, ou face à un paysage d’une région qui nous est familière, on voit plus de choses que le néophyte : les détails semblent acquérir leur importance propre, leur vraie signification, etc. De même le médecin face au malade sait observer les symptômes qui dénotent une maladie. L’observation semble alors plus active que passive, elle contient une part d’interprétation, laquelle demande une certaine étendue de connaissance. En effet une connaissance d’un objet est la connaissance des causes qui font qu’il existe et qu’il existe tel qu’il est. Ce savoir permet à l’observation, par exemple celle du médecin, de voir les symptômes comme des effets de ce qui n’est pas directement observable, et ainsi de leur attribuer une signification, c’est-à-dire de les interpréter.
Mais si l’observation est une activité guidée par un savoir préalable, elle affronte un double risque : 1.) laisser ce savoir guider l’observation et ainsi rater ce qui saute au nez, voire confirmer des préjugés 2.) ne plus être une source objective de connaissance sur laquelle fonder le savoir mais au contraire être relative aux connaissances diverses de chacun. Le problème est donc de savoir ce que veut dire « bien « observer : s’agit-il de faire l’observation la plus neutre possible, en faisant abstraction de toute connaissance préalable, ou au contraire de faire l’observation la plus informée possible ? N’est-il que possible de ne pas faire intervenir dans une observation ce que l’on tient pour des connaissances ? Ce problème se pose tout particulièrement en philosophie des sciences, où l’observation, à l’instar de l’expérience, est bien souvent convoquée comme source de légitimité des énoncés théoriques portant sur le monde réel.
«
hauteur du pont, son nombre de piliers, sa largeur, sa situation géographique, etc.
Si l'on peut essayer de faire uneobservation neutre en faisant abstraction de son état émotionnel, de son intention, est-il possible de faire la mêmechose vis-à-vis de nos connaissances, de celles que nous avons apprises consciemment mais aussi de celles quenous avons apprises sans nous en rendre compte, uniquement parce que nous sommes nés à telle époque dusavoir ? Ainsi par exemple les premiers chimistes anglais à avoir isolé l'oxygène du reste des composants de l'air,comme Priestley, ne le reconnurent pas comme un gaz à part entière, mais comme une forme dérivée de l'airambiant : l'air « déphlogistiqué ».
C'est Lavoisier, à la fin du XVIIIe siècle qui comprit qu'il s'agissait d'un gaz pur etnon d'une forme de l'air.
Pourtant il faisait la même expérience et les mêmes observations que Priestley.
Ce quidiffère, c'est précisément la forme traditionnelle du savoir de leurs époques respectives : pour Priestley il existeencore quatre éléments de base, comme du temps d'Aristote, dont on fait des dérivés, alors qu'à l'époque deLavoisier le programme de la chimie a été redéfini : il s'agit alors de décomposer les éléments naturels pour trouverdes éléments plus fondamentaux dont la combinaison donne ses éléments traditionnels.
B./ Cette forme de savoir lié à une époque et qui influe sur les recherches scientifiques, tout en leur fournissant unmodèle qui les valide ou non, c'est ce que l'historien des sciences T.S.
Kuhn nomme, dans La Structure des révolutions scientifiques , un « paradigme.
» Or ces paradigmes, qui varient dans l'histoire, influent, comme on l'a vu avec l'exemple de la chimie, sur les observations des scientifiques.
Lavoisier par exemple, lorsqu'il observe que lachaleur se transmet d'un corps à un autre, dit dans son Traité élémentaire de chimie , observer un fluide calorique qui est la substance de la température, alors que tout ce qu'il observe ce sont des variations de température.
Maisà l'âge classique tout phénomène que l'on veut considérer comme réel doit avoir une base matérielle.
Ce que montreKuhn ce n'est pas que le paradigme scientifique n'est qu'une source d'erreur mais qu'au contraire en distinguant cequi est scientifique de ce qu'il n'est pas, il règle le fonctionnement de la science « normale », c'est-à-dire admisepar la plus grande partie de la communauté scientifique.
Sans paradigme, on est incapable d'avoir une norme pourvalider une théorie, et donc de faire avancer sa discipline.
Il en va de même pour l'observation : sans paradigme onest incapable de faire une observation proprement scientifique.
C./ Ainsi, toute observation demande une certaine étendue de connaissance, que celle-ci influe consciemment ounon.
En effet, si l'observation n'est pas communicable, ce n'est pas une véritable observation, ce n'est qu'uneexpérience mystique.
Or pour communiquer ce qui se passe sous nos yeux, il faut un langage.
L'épistémologue etlogicien K.
Popper définit, dans le cinquième chapitre de La Logique de la découverte scientifique , ce langage observationnel comme un langage fait de propositions existentielles, c'est-à-dire du type « Il existe au moins unobjet X qui a la propriété Y.
» Mais il remarque aussi qu'un tel langage observationnel, sur lequel repose l'édifice dessciences puisqu'il liste tous les faits à expliquer, n'est pas absolu : il dépend des époques et des mœurs, desmanières de percevoir l'espace et le temps, et de saisir les objets.
Voilà pourquoi il affirme que les fondements dessciences ne sont pas solides mais reposent sur un marais qui risque toujours de varier.
On peut donc affirmer quepuisque l'observation est toujours plus ou moins consciemment influencée par un certain nombre de connaissances,une observation qui satisfait les critères de la bonne observation de son époque, demande au moins deux types deconnaissances assez étendues : 1.) la connaissance du paradigme scientifique de la science normale en vigueur(acquise lors de la formation scientifique) ; 2.) la connaissance d'un langage observationnel relatif à une certaineculture (acquise lors de l'éducation).
Mais si l'intervention de connaissances est nécessaire pour procéder à une observation, la distinctionpréalablement établie entre observation et expérimentation tient-elle toujours ? Quel type de connaissance estparticulièrement requis pour l'observation ? II./ Observation directe et observation scientifique.
A./ Jusqu'à présent nous sommes restés sur l'idée que l'observateur ne se sert que de ses sens, comme le disaitClaude Bernard.
Mais comme le fait remarquer l'épistémologue et logicien Carnap, au début de la cinquième partiedes Fondements philosophiques de la physique , le scientifique et le philosophe n'appellent pas « observables » les mêmes grandeurs.
En physique comme dans les autres sciences de la nature, on parle de grandeurs observablespour désigner les grandeurs directement mesurables d'un système.
Mais cela ne veut pas dire que ces mesures sontmesurables directement, par l'intermédiaire des sens.
Le voltage d'un circuit électrique est pour un scientifique un« observable », mais si vous essayez de le mesurer à l'aide du toucher, tout ce que vous y gagnerez c'est un séjourà l'hôpital.
Il y a donc des paramètres observables qui ne le sont que grâce à des instruments de mesure ou desprotocoles d'expérience.
B./ Cela n'est pas sans importance, car un instrument requiert toujours une certaine dose de connaissance pour lefaire fonctionner.
Comme le remarque l'épistémologue et physicien Pierre Duhem dans le quatrième chapitre de laseconde partie de La Théorie Physique, son objet, sa structure : « toute expérience de physique comporte deux parties.
Elle consiste en premier lieu dans l'observation de certains faits, il n'est pas nécessaire de savoir laphysique.
Elle consiste, en second lieu, dans l'interprétation des faits observés ; il faut connaître les théoriesadmises, il faut savoir les appliquer, il faut être physicien.
» Si l'on admet que l'observation comprend cette partactive d'observation, alors il faut admettre que l'observation qui s'effectue par l'intermédiaire d'un instrumentdemande au moins deux types de connaissances : une connaissance pratique, qui est l'habitude, l'expérience, demanipuler cet instrument d'une part, une connaissance théorique qui est le savoir théorique de la formule del'instrument.
En effet, les instruments scientifiques ne donnent des données qui font sens que si l'on sait à quoicorrespond ces chiffres ; et pour cela il faut savoir quelle loi physique permet à l'instrument de donner l'information.Par exemple, un manomètre (instrument qui sert à donner la pression d'un gaz dans une cuve) est régie par la loi de.
»
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