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Platon, République X, Garnier-Flammarion, 1966, p. 359 sq: Sophiste et artiste

Publié le 24/03/2015

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platon

« Cet artisan dont je parle n'est pas seulement capable de faire toutes sortes de meubles, mais il produit encore tout ce qui pousse de la terre [...], tout ce qu'il y a dans le ciel, et tout ce qu'il y a sous la terre, dans l'Hadès.

Voilà un sophiste tout à fait merveilleux ! [...]

Si tu veux prendre un miroir et le présenter de tous côtés ; tu feras vite le soleil et les astres du ciel, la terre, toi-même, et tous les êtres vivants, et les meubles, et les plantes, et tout ce dont nous parlions à l'instant.

Oui mais ce seront des apparences et non des réalités [...] Mais tu me diras, je pense que ce que fait [le peintre, plus que tous les artisans] n'a point de réalité, n'est-ce pas ? et pourtant, d'une certaine manière, le peintre lui aussi fait un lit. Ou bien non ?

Si, répondit-il, du moins un lit apparent.

Et le menuisier ? N'as-tu pas dit tout à l'heure qu'il ne faisait point la Forme (eidos), ou, d'après nous, ce qui est le lit, mais un lit particulier ?

Je l'ai dit en effet.

Or donc, s'il ne fait point ce qui est, il ne fait point l'objet

réel, mais un objet qui ressemble à ce dernier, sans en avoir la réalité [...]

Maintenant, considère ce point : lequel de ces deux buts se propose la peinture relativement à chaque objet : est-ce de représenter ce qui est tel qu'il est, ou ce qui paraît, tel qu'il paraît ? Est-elle l'imitation de l'apparence ou de la réalité ? De l'apparence.

L'imitation est donc loin du vrai, et si elle façonne tous les objets, c'est, semble-t-il, parce qu'elle ne touche qu'à une petite partie de chacun, laquelle n'est d'ailleurs qu'un simulacre (eidôlon)...

Lorsque quelqu'un vient nous annoncer qu'il a trouvé un homme instruit de tous les métiers, qui connaît tout ce que chacun connaît dans sa partie [...], il faut lui répondre qu'il est un naïf, et qu'apparemment il a rencontré un charlatan et un imitateur. «

Platon, République X, Garnier-Flammarion, 1966, p. 359 sq.

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« Textes commentés 37 Ce texte capital concerne le problème de la mimèsis ; par la médiation de 1 Socrate, Platon y soutient que l'art, apparence d'apparence, n'est très ' précisément, rien.

Cette condamnation philosophique de l'art est ontologique : l'apparence est une illusion sans substance ou sans réalité, un néant ; elle est épistémologique : l'omniscience de l'imitateur qui prétend tout imiter ne repose sur aucune science ; elle est morale : « chacun ne peut pratiquer qu'un métier» (394 e) et prétendre les pratiquer tous est non seulement une duperie mais une « injustice » au sens platonicien : la Justice est la vertu hors pair qui maintient toute chose (hommes et puissances de l'âme) dans sa position propre, or, dans sa polytechnicité, l'imitation ouvre l'errance sans fin de la perte du propre ou de l'identité et, avec elle, le risque de la folie (cf.

396 b ).

En effet l'imitateur produit non pas simplement une image, une icône (eikôn) qui respecte les proportions de son modèle (comme l'art égyptien, dont parle Platon dans Les Lois, qui utilisait le procédé de la mise en carré) mais un fantôme (phantasma), un simulacre (eidolon) ou une « idole » qui se substitue au modèle et le fait oublier.

C'est ce que font ces imitateurs que sont les peintres réalistes, les seuls que Platon condamne : ce sont des « skiagraphes »,des peintres d'ombres (skiai) qui utilisent le raccourci, le modelé et la perspective.

Comme Zeuxis qui avec ses raisins en peinture trompait les pigeons, et tous les peintres décadents qu'allait connaître la Grèce hellénistique, ce sont des experts en trompe l'œil.

Dans Le Sophiste Platon opposera à l'art de la copie (eikastique), l'art du simulacre (phantastique) qui produit des simulacres trompeurs analogues à ceux que produisent les « montreurs de marionnettes» (c'est-à-dire les artistes, les sophistes ...

) de la caverne 1 (514b).

L'intervention du miroir permet à Platon d'opérer ce coup de force : l'artiste, au rebours de l'artisan qui, comme le démiurge, impose une forme à une matière rebelle, ne fait, à proprement parler, rien ; le miroir est ici un instrument à l'efficacité redoutable et inquiétante, un instrument diabolique au sens étymologique du terme puisqu'il permet de diviser (dia-balein) le monde ou de donner du monde un double fascinant et illusoire.. »

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