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Platon, Phédon, 83c-d : Le clou de l'âme

Publié le 18/03/2015

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platon

Le clou de l'âme

Lorsqu'on a ressenti la violence d'un plaisir ou d'une peine, d'une peur ou d'un

appétit, le mal qu'on subit en conséquence n'est pas tellement celui auquel on

pourrait penser - la maladie ou la ruine qu'entraînent certains appétits par

exemple ; non, le plus grand de tous les maux, le mal suprême, on le subit, mais

sans le prendre en compte.

En quoi consiste-t-il, Socrate? dit Cébès.

En une inférence inévitable, qui s'impose à toute âme d'homme au moment où elle

éprouve un plaisir ou une peine intenses : elle est conduite à tenir ce qui cause

l'affection la plus intense pour ce qui possède le plus d'évidence et de réalité véritable,

alors qu'il n'en est rien. Or ces objets-là sont, par excellence, ceux qui se

donnent à voir, tu ne penses pas ?

C'est certain.

Or n'est-ce pas quand elle est ainsi affectée qu'une âme est le plus étroitement

enchaînée par son corps ?

Que veux-tu dire ?

Ceci. Chaque plaisir, chaque peine, c'est comme s'ils possédaient un clou avec

lequel ils clouent l'âme au corps, la fixent en lui, et lui donnent une forme qui est

celle du corps, puisqu'elle tient pour vrai tout ce que le corps lui déclare être tel.

Platon, Phédon, 83c-d

platon

« Le clou de l'âme 141 moins bien.

La vie s'anime bientôt des souvenirs laissés par les frustrations et les assouvissements.

Une décantation originale tend à modeler l'appréhension des choses au gré des aven­ tures du désir.

Les douleurs ressenties et les joies éprouvées tis­ sent en effet une mémoire dense, qui s'installe durablement au cœur des choses, et marque l'intériorité de chacun.

Brû­ lures et blessures y forment leurs cicatrices, plaisirs et bon­ heurs y inscrivent leurs traces.

Dans l'ombre portée des moments de peine ou de jouis­ sance, le cheminement de la conscience se charge ainsi d'inquiétudes et de craintes, de désirs et d'espoirs.

Rivée aux aléas de la vie, clouée aux angoisses du scénario qui s'écrit en partie à son insu, l'âme pâtit.

Le risque dès lors est que le juge­ ment ne soit réglé que par les intérêts existentiels immédiats, ou par l'imaginaire qui perpétue les fascinations d'une his­ toire singulière.

Risque grave, puisque se joue la survie de la pensée comme telle, puissance de jugement distancié et non simple reflet des épisodes vécus et de leurs vestiges affectifs.

Platon veut d'autant plus voir dans l'âme une réalité dis­ tincte du corps qu'il entend dégager de toute servitude la fonction propre à la pensée.

Celle-ci, pour lui, est distincte de tout ce qui, dans la vie du corps, tient à la façon dont il est affecté par le monde.

Il reste que l'âme peut se trouver captive de l'aventure cor­ porelle au point d'en être intimement marquée.

Crucifiée, en quelque sorte, à une réalité dont les affections la touchent si vivement qu'elle en vient à se confondre avec elle, à lui aliéner la distance de principe qui devrait l'en séparer.

L'âme se perd alors dans les tourments du corps, qui deviennent ses tour­ ments, comme si désormais un mélange inédit l'absorbait et gommait sa fonction propre.

Chaque épisode un peu dramatique de la vie affective tend à accentuer cet envoûtement et à fausser en conséquence le principe de la pensée : l'attrait des plaisirs et la peur des souf­ frances substituent leurs critères à ceux de la vérité.

L'âme finit par tenir pour vrai ce qui répond le mieux au système d'attentes et de répulsions qu'elle détient de son ravissement corporel.

Bref, elle évalue au lieu de s'attacher à connaître, et ses évaluations entrent en résonance étroite avec tout ce qui l'a affectée.

Captif de ses émotions, de ses craintes et de ses désirs, l'homme peut-il l'être si totalement de ses plaisirs et de ses. »

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