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Platon, La République, X, 620e-621a, trad. R. Baccou, GF-Flammarion.

Publié le 18/03/2015

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platon

Lorsque toutes les âmes eurent choisi leur vie, elles s'avancèrent vers Lachésis

dans l'ordre que leur avait fixé le sort. Celle-ci donna à chacune le génie qu'elle

avait préféré, pour lui servir de gardien pendant l'existence et accomplir sa destinée.

Le génie la conduisait d'abord à Clotho et, la faisant passer sous la main de

cette dernière et sous le tourbillon du fuseau en mouvement, il ratifiait le destin

qu'elle avait élu. Après avoir touché le fuseau, il la menait ensuite vers la trame

d'Atropos, pour rendre irrévocable ce qui avait été filé par Clotho ; alors, sans se

retourner, l'âme passait sous le trône de la nécessité; et quand toutes furent de

l'autre côté, elles se rendirent dans la plaine du Léthé, par une chaleur terrible qui

brûlait et qui suffoquait : car cette plaine est dénuée d'arbres et de tout ce qui

pousse de la terre. Le soir venu, elles campèrent au bord du fleuve Amélès, dont

aucun vase ne peut contenir l'eau. Chaque âme est obligée de boire une certaine

quantité d'eau, mais celles que ne retient pas la prudence en boivent plus qu'il ne

faudrait. En buvant on perd le souvenir de tout.

Platon, La République, X, 620e-621a,

trad. R. Baccou, GF-Flammarion.

platon

« 72 Le temps de vivre L'oubli est souvent inconscience, comme lorsqu'il conduit à incriminer le sort ou les dieux pour les conséquences malheu­ reuses de choix dont on est pourtant responsable.

Mais sou­ vent il est aussi délivrance.

Entre mémoire et oubli, la destinée dessine sa courbe.

Chacun porte la nostalgie de la vie sans retour.

Pour tous, la naïveté ressourcée redonne sa chance à la faculté de bonheur, en évitant la morne rumination des échecs.

Nietzsche évoque ce désir d'oubli quand l'automne recompose le paysage de la disparition : «Sans arrêt, une feuille après l'autre se détache du rouleau du temps, tombe, voltige un moment, puis retombe sur les genoux de l'homme.

L'homme dit alors : 'je me souviens" et il envie l'animal qui oublie aussitôt et qui voit vraiment mourir l'instant dès qu'il retombe dans la brume et s'éteint à jamais » (Considérations inac­ tueUes).

Il y a mémoire et mémoire.

Celle du vécu qui blesse et rétracte les élans ; celle du sens qui délivre des aléas.

La pre­ mière mémoire héberge les torsions des sentiments : crispa­ tions et nostalgies, préférences et répulsions.

De sa présence obsessive peut résulter comme un refus d'accueillir le présent, d'en reconnaître la valeur nouvelle ou la beauté.

La mémoire est malade alors, et rend malade, qui rature la fraîcheur de la vie inédite à force d'y projeter l'ombre obstinée du passé.

Les traces crues des souffrances et des plaisirs, des fautes qui han­ tent, affectent encore la conscience présente par les tensions qu'elles y installent.

Le fleuve du Purgatoire coule dans La Divine Comédie: la punition du Chrétien est le remords dont la brûlure persiste dans la conscience.

Et le geste de pardon sera la possibilité de boire au fleuve d'oubli.

En amont de ce chemin qu'obscurcit l'ombre des hantises, l'enfance est rap­ pelée comme le pur accueil du présent: «Les enfants n'ont ni passé ni avenir et, ce qui ne nous arrive guère, ils jouissent du présent» (La Bruyère, Les Caractères,§ 51, «De l'Homme»).

L'oubli est salutaire : il signifie régénération du regard, et ressource la joie.

S'abreuver d'oubli, avec mesure, c'est aussi libérer la conscience, et restaurer son étonnement natif devant le surgissement des choses, l'invention de la vie.

Une telle libé­ ration intérieure affranchit des rancœurs et des ressentiments.

Elle pardonne sans effacer.

Ainsi le souvenir se guérit du tour­ ment qui l'affecte.

La soif de vivre est aussi soif d'oubli.

Nietzsche le rappelle : « Dans le plus petit comme dans le plus grand bonheur, il y a. »

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