Platon, Euthyphron, 7b-d. Commentaire.
Publié le 20/03/2015
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Le dissentiment
« Socrate. — Les haines et les colères, mon cher ami, n'est-ce pas le dissentiment sur certains sujets qui les provoque ? Réfléchissons un peu : est-ce que, si toi et moi, nous différions d'avis différent sur une question de nombre, savoir laquelle de deux quantités est la plus grande, ce différend ferait de nous des ennemis ? Nous fâcherions-nous l'un contre l'autre ? Ou bien ne suffirait-il pas d'avoir recours au calcul pour nous accorder bien vite sur un tel sujet ?
Euthyphron. — Assurément.
Socrate. — Et de même, à propos de longueurs plus ou moins grandes, si nous différions d'avis, il suffirait de recourir à la mesure pour mettre fin à notre différend ? Euthyphron. — C'est incontestable.
Socrate. — Et je suppose que nous aurions recours à la pesée pour nous départager à propos du plus lourd et du plus léger ?
Euthyphron. — Comment en douter ?
Socrate. — Quel est alors le genre de sujets qui, faute d'un critère de décision, susciterait entre nous inimitiés et colère ? Peut-être ne l'aperçois-tu pas immédiatement ? Mais vois un peu : si je dis que c'est le juste et l'injuste, le beau et le laid, le bien et le mal, n'ai-je pas raison ? N'est-ce pas à propos de nos dissentiments là-dessus et à cause de notre incapacité, dans ces cas, à arriver à nous départager, que nous devenons ennemis les uns des autres, quand nous le devenons, toi et moi et tous les autres hommes ? «
Platon, Euthyphron, 7b-d.
«
Textes commentés 37
Les haines et les colères entre les hommes naissent de leurs dis
sentiments.
Il y a
dissentiment quand moi-même et autrui différons d'avis
ou d'opinion.
Mais cette différence suffit-elle à engendrer la haine ?
Tout dissentiment se produit à propos de quelque chose : un objet
déterminé, ou le rapport de deux objets (lequel des deux est le plus
grand, le plus lourd etc.).
Il est naturel
et inévitable, dans la mesure où
moi-même et autrui n'avons pas de connaissance précise de l'objet,
et où
nous
en jugeons chacun selon notre point de vue et notre perspective.
Mais ce dissentiment est-il déjà une haine
?
Non puisqu'il existe une certaine opération (compter, mesurer) qui permet
de trancher.
Avant la pesée
je pouvais croire que tel corps est plus lourd
que tel autre ; autrui était d'un avis contraire : mais la pesée nous
indiquera leurs poids véritables, nous saurons alors tous les deux
ensemble
quel est le plus lourd, et la présence de ce même savoir en
chacun de nous terminera le différend en nous mettant d'accord.
En vérité, les exemples invoqués font référence à un
double accord : celui
qui est réalisé
par l'opération même de mesure ou de pesée, et un accord
préalable qui nous fait nous en remettre à la pesée ou à
la mesure pour
trancher.
Car moi-même et autrui pensons dès l'origine qu'un corps pos
sède un poids ou une longueur déterminés : cette thèse initiale d'objecti
vité nous accorde avant même que notre différend ne soit terminé,
car
nous savons qu'une vérité accessible (c'est le sens de l'opération de pesée
ou de mesure)
et reconnaissable par chacun nous départagera.
Or, s'agissant du beau et du laid, du juste et de l'injuste, ce n'est pas le
différend qui est scandaleux :
je puis croire à première vue que telle loi
est
juste alors qu'autrui la trouvera injuste.
Ce qui fait de ce différend une
haine, c'est qu'il
semble que nous n'ayons pas d'opération équivalente à la
pesée et à la mesure, qui permette de déterminer la justice et l'absence de
justice,
la beauté ou l'absence de beauté.
Mais c'est surtout que moi et
autrui ne nous mettons même pas en quête d'un tel moyen de nous
départager, parce que nous présupposons implicitement qu'il n'y a ni
vérité ni objectivité du beau et du juste.
La haine vient du fait que nous
désespérons de
la vérité.
La dialectique est comme le recours à la pesée, elle va de pair avec cette
confiance
en la raison et la vérité qui fait que, même si nous différons
pour l'instant d'avis, nous sommes d'accord pour être d'accord : le beau
et
le juste ne se réduisent pas aux points de vue et aux perspectives, ils ont
chacun une nature déterminée qui fait l'accord des esprits..
»
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