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philosophie de la chimie - Chimie et société : de défis en défiances

Publié le 29/12/2023

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« Chimie et société : de défis en défiances On se saurait définir précisément ce qu’est la société ni ce qu’est la chimie; il n’existe de définition canonique ni de l’une ni de l’autre.

Ce sont des objets indélimitables, référents à du matériel et à de l’immatériel, à des relations et à des termes, des hybrides. En partant de nos représentations communes d‘acteurs de ce cours, tentons d’enrichir notre compréhension de ces notions - qui se mêlent sans se recouvrir à partir de la discussion de certains des textes présentés dans la partie Éthique et société de l’ouvrage Philosophie de la chimie1, sur lequel se base largement la réflexion. Ainsi, dans un premier temps, nous nous intéresserons au regard que porte la société sur la chimie.

Ensuite, nous verrons par quels biais les acteurs de la chimie tentent de maintenir une certaine confiance avec la société.

Alors, nous reviendrons sur ce qui fait la difficulté des relations entre chimie et société : son ambivalence et les différentes sous-déterminations qui l'accompagnent.

Enfin, nous aborderons quelques perspectives pour un nouveau mode de relation entre la société et la chimie. La chimie est omniprésente dans la société et ses préoccupations, que ce soit la santé, l’agriculture, l’environnement, l'industrie, la filière minière ou la technologie. Parler de “chimie et société” nous invite bien-sûr à nous poser la question du point de vue de la société sur la chimie. La chimie est une pièce maîtresse du récit du progrès technoscientifique.

C’est sur elle que repose bon nombre de promesses engageantes comme l’allongement de l’espérance de vie grâce aux innovations dans le domaine de la Bensaude-Vincent, Bernadette, et Richard-Emmanuel Eastes.

Philosophie de la chimie. 2020 1 santé, l’élargissement du champ des possibles avec les nouveaux matériaux, etc., la liste pouvant être très longue. Et si la chimie peut faire espérer, c’est parce qu’on a pu constater ses réalisations. En 1894, on est encore au XIXe siècle, qui marque un certain âge d’or de la chimie.

Pour aller vite - et celà mériterait d’être nuancé -, celle-ci se départit de plus en plus de l’image négative associée jadis à l’alchimie et se félicite de ses progrès dont la société bénéficie.

Le chimiste et homme politique français Marcellin Berthelot prononce un discours devant la Chambre syndicale des produits chimiques. Il y clame “l’alliance indissoluble de la science et de l’industrie” qui a fait naître entre quantité d’autres choses le sucre de betterave, les alcaloïdes thérapeutiques, le gaz d’éclairage ou la dorure, qui a révolutionné des procédés comme en métallurgie ou dans les arts miniers. Face à tant de progrès en si peu de temps, il ne peut que s’en figurer encore bien davantage pour le futur.

Il imagine ce que sera la société en l’an 2000, grâce à la chimie.

Il l’entrevoit débarrassée des contraintes naturelles qui pèsent sur elle, la synthèse chimique permettant l’abolition de l’agriculture et même de la nécessité de puiser quelque ressource minière que ce soit, tout cela entraînant la fin “[du] protectionnisme, [des] guerres, [des] frontières arrosées de sang humain !”.

Alors la chimie se ferait “spirituelle”, changeant la nature morale de l’homme moderne enfin libéré totalement de la nature, purifié. Un tel discours aujourd’hui pourrait être qualifié de transhumaniste ou à minima de technosolutionniste, et il ne s’agit pas de dire qu’il ne trouverait aucun écho, de fait il est encore très présent.

Cependant, il est aussi largement remis en question - et là encore c’est loin d’être nouveau, mais disons que la lecture aujourd’hui du discours de Berthelot peut quand même laisser un parfum de désillusion.

Non seulement la prophétie ne s’est pas réalisée (mais on pourrait pointer une simple erreur de timing), mais la chimie a aussi et surtout montré à la société une face plus sombre que nul ne peut ignorer. Encore une fois, on pourrait faire remonter les évènements qui manifestent cette face sombre à la naissance de la chimie elle-même, mais les plus marquants (de par leur ampleur et la façon dont ils ont pu être relayés) se recensent depuis la seconde moitié du 20e siècle.

Des plus spectaculaires - accidents industriels comme ceux de la raffinerie de Feyzin en 1966 (incendie, 18 morts), de Seveso en 1976, de Bhopal en 1984 (fuite de gaz mortel, 3000 morts directs), de l’usine AZF de Toulouse en 2001 (explosion, 31 morts), de Lubrizol, l’explosion du port de Beyrouth; armes chimiques (gaz moutarde, Zyklon B, agent orange, gaz lacrymogène, bombe au phosphore blanc) -, aux plus insidieuses - perturbateurs endocriniens, pollution de l’air, de l’eau, des sols, microplastiques, pesticides (comme le glyphosate ou le chlordécone), Mediator®, héroïne, thalidomide, etc. Et tout cela pour ne parler que des morts humaines.

Mais il faudrait aussi ajouter les atteintes à “l’environnement” (c’est lié bien sûr), le continent de plastique, les marées noires, le dérèglement climatique, là encore pour ne citer que les plus spectaculaires. Si bien que dans le langage courant, le syntagme “produit chimique” est quasiment un synonyme de “poison”, et que la chimie évoque spontanément au moins le danger. Richard-Emmanuel Eastes propose dans son article Chimie et société : les origines de la défiance une identification des facteurs de production de ce qu’il nomme la méfiance, la peur et le rejet, et enfin la défiance. Pour lui, la méfiance envers la chimie vient de ses caractères spécialisé (système complexe, grande division du travail), extensif (processus mondialisés, grande inertie) et lucratif (forts investissements, obligation de réussite).

Tout cela favorise à la fois l’inertie et le risque d'emballement. Pour les origines de la peur et du rejet associé à la chimie, il identifie également trois facteurs : les caractères invasif (pénétration de tous les aspects de nos vies), intime (jusqu’à nos corps, nos interactions sociales), et contre-nature des secteurs et des applications de la chimie. Enfin, Eastes en vient aux origines de la défiance, et pour lui, elle naît principalement de la question du risque subi.

En effet, la chimie fait peser sur nous des risques auxquels on ne choisit pas délibérément de s’exposer et vis-à-vis desquels on est même souvent en situation de flou ou même d’ignorance pure et simple.

Il cite les accidents industriels, les médicaments tueurs et les pesticides dans l’assiette à titre d’exemple. Tous ces éléments permettent de comprendre de façon plus claire les raisons pour lesquelles le public se méfie de la chimie, voire la rejette. Face à cela, la chimie et les chimistes se battent pour regagner la confiance de la société, de laquelle ils dépendent dans une certaine mesure. Certains chimistes tenteront de se dédouaner en traçant une limite claire entre la chimie en tant que science et ses applications, entre la recherche fondamentale et ses dérivés commerciaux, entre science pure et appliquée. Le problème de cette position, selon Richard-Emmanuel Eastes, est précisément qu’elle déresponsabilise la chimie et les chimistes.

Au lieu de préserver l’image de la chimie aux yeux de la société, cela participerait plutôt à l’empirer, et contribuerait à la voir comme irresponsable, insouciante et négligente. Cette position ne peut pas tenir face à l’opinion publique qui n’est pas dupe et qui voit bien les liens qu’on voudrait lui dissimuler.

Cette position peut aussi facilement paraître hypocrite quand ces mêmes chimistes se félicitent de progrès apportés à la société par la chimie. La communauté des chimistes est peut-être en fait la seule qui peut se bercer elle-même de cette illusion, mais dans ce cas c’est très dangereux car le chimiste qui fait de la recherche ne se sentira pas le devoir de réfléchir aux possibles conséquences sociétales de ses travaux. Une autre position, adoptée par d’autres chimistes, est d’accepter que leur travail puisse avoir des conséquences indésirables, mais de les justifier - en se déresponsabilisant au passage - par l’idéal supérieur de vérité qu’ils poursuivent. Bernadette Bensaude-Vincent et Jonathan Simon, dans Vers une nouvelle culture de la chimie, citent Percy Bridgman, physicien de l’université Harvard et Prix Nobel, qui déclarait : “Le défi de comprendre la nature est un défi pour nos capacités les plus élevées.

En acceptant ce défi, l’homme ne peut oser accepter aucun handicap.

C’est la raison pour laquelle la liberté scientifique est essentielle et il est impensable de limiter les outils ou sujets de recherche.” Ici, c’est une question de valeurs morales.

Doit on mettre le développement de la connaissance au dessus de la justice, de l’égalité, des droits humains fondamentaux, de toute préoccupation environnementale ? Personnellement je ne pense pas, et ça mérite au moins d’être discuté. D’autres approches ne s’inscrivent pas dans une négation si brutale des responsabilités des chimistes.

En témoigne le code de conduite de l’American Chemical Society qui consacre un point au public et un à l'environnement.

Les chimistes doivent “oeuvrer dans l’intérêt public tout en faisant avancer la connaissance scientifique” et “tâcher de faire leur travail de manière à ne pas mettre en danger l’environnement”.

On peut toutefois regretter que, de part la nature du document, il ne s’agisse que de grands principes flous et qu’on a pas de mal à voir bafoués facilement. On.... »

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