philosiphie
Publié le 23/05/2014
Extrait du document
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illimitée pour apprendre comment il doit faire un usage complet de toutes ses dispositions naturelles ; ou alors si la
nature ne lui a assigné qu’une courte durée de vie (comme c’est effectivement le cas), c’est qu’elle a besoin d’une
série peut-être incalculable de générations, dont chacune transmet aux suivantes ses lumières, pour conduire
finalement le développement de ses germes dans l’espèce humaine jusqu’au niveau qui est parfaitement conforme
à son dessein.
Et cet instant final doit être, au moins dans l’idée de l’homme, le but de ses efforts, car, sans cela, les
dispositions naturelles devraient être considérées pour la plupart comme vaines et sans finalité, ce qui supprimerait
tous les principes pratiques, la nature serait alors suspecte d’un jeu puéril en l’homme seul, alors que sa sagesse
doit être admise par ailleurs comme un principe pour le jugement de toutes les autres formations naturelles.
Troisième proposition
La nature a voulu que l’homme tire entièrement de lui-même tout ce qui dépasse l’ordonnance mécanique de
son existence animale, et qu’il ne prenne part à aucune autre félicité ou perfection que celles qu’il s’est lui-même
créées, indépendamment de l’instinct, par sa propre raison.
La nature, en effet, ne fait rien de superflu, et elle n’est
pas prodigue dans l’usage des moyens pour atteindre ses buts.
En donnant à l’homme la raison ainsi que la liberté
du vouloir qui se fonde sur elle, elle indiqua déjà clairement son dessein en ce qui concerne la dotation de
l’homme.
Il ne devait pas en effet être guidé par l’instinct, ni non plus être instruit et pris en charge par une
connaissance innée ; il devait bien plutôt tirer tout de lui-même.
La découverte de ses moyens de subsistance, son
habillement, sa sécurité et sa défense extérieures (pour lesquelles elle ne lui donna ni les cornes du taureau ni les
griffes du lion, ni les crocs du chien, mais seulement des mains), tout divertissement qui peut rendre la vie
agréable, même son intelligence et sa prudence, et jusqu’à la bonté de son vouloir, devaient être entièrement son
œuvre propre.
La nature semble même s’être ici complue à sa plus grande économie, et avoir mesuré sa dotation
animale au plus court et au plus juste en fonction du besoin le plus pressant d’une existence à ses débuts comme si
elle voulait que l’homme, lorsqu’il serait parvenu un jour à passer de l’état le plus brut à celui de la plus grande
habileté, de la perfection intérieure du mode de pensée et, par là (pour autant que cela est possible sur terre),
jusqu’au bonheur, n’en doive attribuer le mérite qu’à lui seul et n’en être redevable qu’à lui-même ; tout se passant
comme si elle avait davantage visé son estime raisonnable de soi que son bien-être.
Car ce cours des affaires
humaines est jalonné d’une multitude d’épreuves qui attendent l’homme.
La nature semble cependant ne s’être
nullement attachée à ce qu’il vive agréablement, mais au contraire à ce qu’il travaille à s’élever jusqu’au point où,
par sa conduite, il devient digne de la vie et du bien-être.
Demeure toujours étrange ici le fait que les générations
antérieures ne semblent poursuivre leur pénible labeur qu’au profit des générations ultérieures, afin précisément de
leur préparer un échelon à partir duquel elles pourraient élever plus haut l’édifice que la nature a en vue, alors que
seules les générations les plus tardives doivent avoir la chance d’habiter l’édifice auquel a travaillé une longue
lignée de devanciers (il est vrai sans l’avoir intentionnellement voulu) qui ne pouvaient pourtant eux-mêmes
prendre part à la joie qu’ils préparaient.
Mais, si énigmatique que cela soit, c’est bien également nécessaire, dès
lors qu’on admet ce qui suit : une espèce animale doit être pourvue de raison, et, en tant que classe d’êtres
raisonnables qui tous meurent, mais dont l’espèce est immortelle, elle doit pourtant parvenir jusqu’à la plénitude du
développement de ses dispositions.
Quatrième proposition
Le moyen dont se sert la nature pour mener à bien le développement de toutes ses dispositions est leur antago -
nisme dans la société, pour autant que celui-ci se révèle être cependant en fin de compte la cause d’un ordre légal
de celle-ci .
J’entends ici par antagonisme l’ insociable sociabi lité des hommes, c’est-à-dire leur tendance à entrer en
société, tendance cependant liée à une constante résistance à le faire qui menace sans cesse de scin der cette société.
Cette disposition réside manifestement dans la nature humaine.
L’homme possède une inclination à s’associer, car
dans un tel état il se sent plus homme, c’est-à-dire ressent le dévelop pement de ses dispositions naturelles.
Mais il a
aussi une forte tendance à se singulariser (s’isoler), car il rencontre en même temps en lui-même ce caractère
insociable qu’il a de vouloir tout diriger seulement selon son point de vue ; par suite, il s’attend à des résistances de
toute part, de même qu’il se sait lui-même enclin de son côté à résister aux autres.
Or, c’est cette résistance qui
éveille toutes les forces de l’homme, qui le conduit à surmonter sa tendance à la paresse et, sous l’impulsion de
l’ambition, de la soif de domination ou de la cupidité, à se tailler un rang parmi ses compagnons qu’il supporte peu
volontiers, mais dont il ne peut pourtant pas non plus se passer.
Or c’est précisément là que s’effec tuent
véritablement les premiers pas qui mènent de l’état brut à la culture, laquelle réside au fond dans la valeur sociale
de l’homme ; c’est alors que se déve loppent peu à peu tous les talents, que se forme le goût et que, par une
progression croissante des lumières, commence même à se fonder une façon de penser qui peut avec le temps
transformer la gros sière disposition naturelle au discernement moral en principes pratiques déterminés et,
finalement, con vertir ainsi en un tout moral un accord à la société pathologiquement extorqué.
Sans ces qualités,
certes en elles-mêmes peu sympathiques, d’insociabilité, d’où provient la résistance que chacun doit néces -
sairement rencontrer dans ses prétentions égoïstes tous les talents resteraient à jamais enfouis dans leurs germes au
milieu d’une existence de bergers d’Arcadie, dans un amour mutuel, une frugalité et une concorde parfaites : les.
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