Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945, p. 405. Merleau-Ponty. Commentaire
Publié le 23/03/2015
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Entre ma conscience et mon corps tel que je le vis, entre ce corps phénoménal et celui d'autrui tel que je le vois du dehors, il existe une relation interne qui fait apparaître autrui comme l'achèvement du système. L'évidence d'autrui est possible car je ne suis pas transparent pour moi-même et que ma subjectivité traîne après elle son corps. Nous disions tout à l'heure : en tant qu'autrui réside dans le monde, qu'il y est visible et qu'il fait partie de mon champ, il n'est jamais un Ego au sens où je le suis pour moi-même. Pour le penser comme un véritable Je, je devrais me penser comme simple objet pour lui, ce qui m'est interdit par le savoir que j'ai de moi-même. Mais si le corps d'autrui n'est pas un objet pour moi, ni le mien pour lui, s'ils sont des comportements, la position d'autrui ne me réduit pas à la condition d'objet dans son champ, ma perception d'autrui ne le réduit pas à la condition d'objet dans mon champ. Autrui n'est jamais tout à fait un être personnel, si j'en suis un moi-même absolument, et si je me saisis dans une évidence apodictique. Mais si je trouve en moi-même par réflexion, avec le sujet percevant, un sujet prépersonnel, donné à lui-même, si mes perceptions demeurent excentriques par rapport à moi comme centre d'initiatives et de jugements, si le monde perçu demeure dans un état de neutralité, ni objet vérifié, ni rêve reconnu pour tel, alors tout ce qui apparaît dans le monde n'est pas aussitôt étalé devant moi et le comportement d'autrui peut y figurer. Ce monde peut demeurer indivis entre ma perception et la sienne, le moi qui perçoit n'a pas de privilège particulier qui rende impossible un moi perçu, tous deux sont, non pas des cogitationes enfermées dans leur immanence, mais des êtres qui sont dépassés par leur monde et qui, en conséquence, peuvent bien être dépassés l'un par l'autre.
Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945, p. 405.
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Textes commentés 43
Notre expérience incontestable d'autrui est un des motifs essentiels de
la critique merleau-pontienne de la philosophie réflexive.
Il fallait donc,
au terme de l'étude du corps propre et du monde, justifier comment
l'expérience d'autrui est possible.
Merleau-Ponty montre ici qu'il y a,
entre mon corps, en tant qu'il incarne ma conscience, et celui d'autrui,
une relation telle que le corps d'autrui m'apparaît comme tel, c'est-à-dire
comme présence d'une autre conscience.
Cette présence n'est pas déduite
d'un raisonnement par analogie, elle est saisie immédiatement comme
telle.
En effet, si j'étais une pure conscience transparente à elle-même,
tout ce qui n'est pas moi-même serait pur objet, y compris mon corps et
celui d'autrui, de sorte que l'expérience de l'autre serait impossible.
Jamais un objet ne peut laisser transparaître une conscience qui, par
essence, échappe à l'étendue ; pour qu'autrui m'apparaisse, il faudrait
alors, comme l'a montré Sartre, que
je sois objet pour lui mais alors il ne
pourrait m'apparaître car
je cesserais d'être conscience.
L'analyse du
corps propre développée dans
la Phénoménologie de la perception
permet de dépasser ces difficultés et de rendre compte de l'apparition
d'autrui.
D'une part, en tant que sujet de comportements, mon corps est
plus qu'un simple fragment d'étendue ; il est le vecteur d'une existence, il
s'exprime, c'est-à-dire présente à sa façon une vie : c'est la raison pour
laquelle
je reconnais immédiatement un corps comme corps d'autrui.
Ainsi, cette réalité tout extérieure qu'est un corps humain n'exclut pas la
présentation d'une forme d'intériorité, même
si celle-ci demeure toujours
générale ou anonyme et en ce sens il est vrai que jamais
je n'accéderai à
autrui tel qu'il se vit.
Mais, d'autre part, pour qu'autrui m'apparaisse
comme autre que moi, c'est-à-dire me dépasse, encore faut-il que le
monde puisse me transcender.
Or cela est possible précisément par ce
que
je ne suis pas une pure conscience qui constituerait son propre
champ objectif mais une existence incarnée qui ne se saisit qu'en se
dépassant vers le monde et se sent par là même dépassée par lui : celui-ci
est alors offert à d'autre perceptions que la mienne et le comportement
d'autrui peut y figurer..
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