Peut-on se délivrer d'une illusion comme on rejette une erreur ?
Publié le 11/01/2004
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Le « Vocabulaire philosophique« de Lalande vous indique pour «illusion« : «Toute erreur, soit de perception, soit de jugement ou de raisonnement, pourvu qu'elle puisse être considérée comme naturelle, en ce que celui qui la commet est trompé par une apparence. « Il nous indique par ailleurs pour « erreur « : « Au sens actif, acte d'un esprit qui juge vrai ce qui est faux, ou inversement, «commettre une erreur«. Au sens passif, état d'un esprit qui tient pour vrai ce qui est faux, ou inversement. «Etre dans l'erreur«. Au sens impersonnel, assertion fausse.«
«
Quant à la question de l'illusion, elle est traitée par Kant dans la Critique de la raison pure.
Pour faire comprendre cequ'il en est, Kant donne l'exemple de la mer qui nous paraît plus élevée au large qu'auprès du rivage, ou encore celuide l'astronome qui ne peut s'empêcher de voir la lune plus grande à son lever.
Il faut distinguer : 1.
l' erreur des sens (qui en réalité est un simple faux pas de la faculté de juger : « Les sens netrompent pas ».
Non pas parce qu'ils jugent toujours correctement, mais « parce qu'ils ne jugent pas du tout »), 2.l'erreur logique (simple défaut d'attention à la règle logique, qui s'évanouit dès qu'on se concentre), et 3.
l' illusiontranscendantale où l'on a affaire à une illusion naturelle et inévitable qui ne cesse de se jouer de la raison même «lorsque nous avons découvert son leurre ».
L'illusion transcendantale est celle que provoque la raison lorsqu'elle s'autorise (dans son besoin effréné del'inconditionné et de l'absolu) à faire, des principes subjectifs de la connaissance des phénomènes, les principesobjectifs des choses en soi (que nous devrions pourtant, une fois pour toutes, nous résigner à ne pas connaître).
Si l'on veut restaurer la certitude de la science, il faut que sa méthode parvienne à concilier la nécessité rationnelle et le caractère toujours en partie contingent de l'expérience.
Ce sera l'une des préoccupation centrale deKant .
Il s'efforcera de montrer comment les connaissances dignes de ce nom sot toujours le produit d'une rencontre entre les données de l'expérience sensible et le travail conceptuel de l'entendement.
Ce dernier reçoit de l'extérieur,par le moyen de la sensibilité, une matière des connaissances sur laquelle il opère une mise en ordre conceptuelledont la nécessité est interne à l'esprit.
Par exemple : les relations de causalité s'instaurant nécessairement entre lesphénomènes de la nature ne renvoient pas forcément à un ordre des choses, mais à un ordre nécessaire de leurmode de manifestation à notre esprit.
La connaissance objective ‘est donc jamais connaissance des choses en soimais connaissance de l'ordre nécessaire (rationnel) des phénomènes.
Très schématiquement, on peut donc dire que Kant échappe ainsi à l'idéalisme du rationalisme pur .
La connaissance ne peut exister que dans le domaine de l'expérience possible ; au-delà, la raison « ratiocine », cad qu'elle raisonne à vide, elle outrepasse ses droits, commele montre la « Dialectique transcendantale » de la « Critique de la raison pure » ; ainsi lorsqu'elle prétend démontrer l'existence d'un créateur qui ne peut être que postulée, car l'expérience n'en est pas possible.
Les idéesde la raison ont une fonction unificatrice et systématique ; la raison a également une fonction pratique ; mais c'estquand elle prétend connaître des objets transcendants (au-delà de l'expérience possible) qu'elle mérite de subir unecritique.
Mais Kant échappe aussi au scepticisme que semble entraîner l'empirisme : si la source matérielle de nos connaissances réside dans l'expérience, leur forme rationnelle les réinscrit dans l'ordre de la nécessité etde la certitude ; le savant ne produit pas des théories au gré de sa fantaisie.Ces théories scientifiques rétablissent un ordre universel de la connaissance,car elles appliquent à la matière de l'expérience la forme rationnelle del'entendement ; il y a donc bien des lois de la nature.
Ni idéalisme, niempirisme, le Kant isme laisse cependant subsister un problème redoutable : peut-on se résoudre à ce que la connaissance ne porte que sur desphénomènes, sans que les choses en soi soient jamais accessibles ?
Les limites de la raison.
Dans le domaine de l'étude scientifique des phénomènes, rien ne sauraitremplacer la raison et on peut même aller jusqu'à affirmer que« l'inexplicable » n'est qu'un provisoirement inexpliqué.
Mais comme Kant l'a montré, la raison est impuissante à rendre compte de l'Etre lui-même.
Nous nepouvons connaître la réalité qu'à travers les formes « a priori » de la sensibilité (espace & temps), sortes des structures mentales qui sont lacondition de notre perception des choses, et les formes « a priori » de l'entendement (« catégories »).
C'est pourquoi, seuls les phénomènes (l'apparaître) nous sont accessibles.
Au-delà du savoir, il y a donc un monde des noumènes (choses en soi) qui nous échappe.
Lorsque la raison tente de dépasser l'apparence pour essayerd'atteindre l'absolu, elle tombe dans d'inévitables contradictions, antinomies et paralogismes.
Une métaphysique estimpossible comme science.
En particulier, la raison ne saurait prouver la liberté de notre volonté, l'immortalité del'âme, l'existence de Dieu .
Avec le grand rationalisme classique inauguré par Descartes , la raison apparaissait comme l'instrument infaillible d'une critique des illusions, généralement imputées aux sens ou à l'imagination.
Or, avec Kant , l'illusion est portée au coeur même de la raison.
Le rationalisme fait place au criticisme, cad à une critique permanente des moyens de la connaissance, et à un incessant procès de la raison contre elle-même et sesprétentions abusives.
C'est le sens de l'illusion transcendantale : la raison prétend connaître au-delà des limites del'expérience et déterminer des choses en soi, cad des objets qui ne sont pas donnés dans un phénomène sensible(le Moi, le monde, Dieu).
L'illusion n'est plus seulement un déchet à éliminer ( Platon , Descartes ), mais elle est consubstantielle à l'instrument.
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