Peut-on regretter que le temps passe ?
Publié le 22/06/2009
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Introduction :
L’expression empruntée à la vie ordinaire « le temps passe « désigne une action qui serait essentielle à la nature du temps. Le temps n’est pas de l’être, il est un devenir dénué de toute consistance ontologique. Aussi, s’il est contingent pour moi d’aller travailler, en revanche, il est nécessaire au temps de passer. En d’autres termes, le fait de passer est si essentiel au temps qu’un temps qui ne passerait pas ne serait pas du temps. Passer s’oppose à être et exprime un changement ( l’instant présent qui était cesse d’être, et ce qui n’était pas encore commence à être avant à son tour de ne plus être) qui est irréversible, c’est-à-dire qu’il est impossible de revenir en arrière. Ainsi il appartient essentiellement au temps de devenir, par un changement qu’il est impossible de renverser
Le regret se présente justement comme une réaction contre le changement irréversible du temps. Il désigne plus précisément un acte psychique qui consiste à désirer revenir à un moment du temps qui est déjà passé. Soit pour modifier ou détruire ce qui a alors été fait ( par exemple, lorsque je dis que je regrette une dispute, je manifeste le désir qu’elle n’ait pas eu lieu) sous la forme du remords; soit pour revivre ce qui a déjà été vécu ( par ex, le vieillard regrette sa jeunesse). C’est la deuxième forme qui nous intéressera ici. Le regret est une expression du désir humain face à l’objectivité du temps. S’il est évident que l’on peut regretter les évènements passés, il l’est moins de penser que l’on peut regretter le fait même du changement irréversible qui coïncide avec la nature du temps. On peut en effet regretter au présent des évènements qui ont été eux-mêmes présents avant d’’êtres passés, c’est-à-dire qu’on peut regretter des moments dans le temps, mais peut-on regretter le fait même que le temps passe ?
Si regretter que le temps passe, c’est désirer un temps qui ne passe pas, alors il serait possible de regretter que le passe à condition d’avoir vécu, avant d’être dans le devenir irréversible, dans un temps qui ne passe pas. Un temps qui ne passe pas désigne l’éternité. Ainsi si notre désir d’éternité est fondé sur l’expérience effective d’un temps qui ne passe pas, antérieur à celui qui passe, alors l’expression regretter que le temps passe serait valide? Toutefois même s’il était possible de regretter que le temps passe, cela est-il vraiment raisonnable ? Si le regret ne change rien à l’objectivité du temps, faut-il continuer à désirer ce qui n’est pas de toutes façons réalisable ?
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II On ne doit pas regretter que le temps passe _ Le désir d'éternité est un désir douteux qui peut être considéré comme illusoire .
En effet, on n'aé pu soutenir que l'on pouvait regretter que le temps passe, et que ce regret est causé par un désir d'éternité résultant lui-même dela connaissance d'un état antérieur au temps qui passe.
Ainsi ce désir d'éternité trouve sa validité de cet étatantérieur.
Mais cet état antérieur se réduit à une hypothèse explicative qui ne préjuge pas de la réalité.
Ensupposant que ce désir trouve sa cause dans la connaissance de l'éternité, le fait même de regretter que le tempsqui passe confirmerait en retour la validité objective de ce détour , ce qui réduit cette thèse à une pétition deprincipe et l'éternité comme temps antérieur au temps qui passe, à un mythe invérifiable par essence.
En d'autrestermes, le désir d'éternité n'est peut-être lui-même qu'une illusion et plutôt que d'être la cause réelle du regret, il enserait bien plutôt l'effet.
Qu'est-ce à dire ? Les hommes constatent l'action destructrice du temps et désirent s'ysoustraire.
Tout commence alors par le refus de l'irréversibilité, et c'est-ce refus qui engendre l'illusion d'un état oùle temps ne passerait pas.
C'est parce que le hommes commencent par refuser que le temps passe qu'ils croientensuite que leur regret résulté d'un état où le temps ne passerait pas.
Par conséquent, il est probable que le désird'éternité se réduise à un désir illusoire uniquement formé par le désir et lme refus des hommes_ Dans l'impossibilité de savoir ce qu'il en est dès cette vie, il n'est pas raisonnable de construire notre vie sur l' idéede l'éternité.
Or comme le regret que le temps passe n'a de consistance que depuis la connaissance de l'éternité, il semble que nous ne devions pas regretter que le temps passe quoique nous le puissions.
En effet si le temps passe,et que nous ne puissions prétendre à rien d'autre que de vivre au sein de ce temps qui passe, alors le regretter, n'apour effet que d'ajouter à) la misère de notre condition.
Il serait inutile et même déraisonnable de regretter que letemps passe, car ce regret nous empêcherait de vivre cette vie où le temps passe sans prendre en compte notredésir.
Ainsi à l'inverse du regret qui est condamnée à l'inefficacité et la stérilité de par sa position dans le temps, ilvaudrait mieux accepter l'inconsistance et l'irréversibilité ontologique du temps.
C'Est-ce que nous pouvons souteniravec Montaigne dans ses Essais III, 13 : « pour moi j'aime la vie et la cultive telle qu'il a plu à Dieu de nous l'octroyer ».
Aussi il ne faut pas regretter que le temps passe, mais l'accepter pour vivre dans toute son intensitéune vie ^précaire soumise à la mort et au néant._ On ne doit pas regretter que le temps passe car si le temps ne passait pas, il serait impossible de vivre une viehumaine.
Il est en effet paradoxal que notre désir de stabilité et d'éternité nous rende malheureux par son caractère irréalisable car s'il était réalisé, il y a fort à parier que nous serions plus malheureux encore.
En effet si letemps ne passait pas pourrions nous dire, alors il ne se passerait rien ! L'irréversibilité et le changement du tempsest la condition nécessaire de toute action.
C'est parce que le temps passe que nous nous lançons dans desprojets, que nous œuvrons dans le présent et que nous espérons pour l'avenir.
Sans ce changement perpétuel, nousserions soumis à un éternel présent qui nous paralyserait complètement : nous serions même incapables de riendésirer puisque le désir se nourrit du manque et de l'inconstance.
Or si le temps ne passait pas, rien ne manqueraitet nous vivrions comme des pierres.
Ainsi la vie humaine est plus raisonnable que notre désir d'éternité, et elle exigeque le temps passe pour pouvoir être vécue.
C'Est-ce nous pouvons soutenir avec Montaigne, toujours en III, 13 :« nous sommes partout vent.
Et le vent encore, plus sagement que nous, s'aime à bruire et à s'agiter et secontente en ses propres offices sans désirer la stabilité, la solidité, qualités non siennes ».
De même que le vent,nous ne devons pas désirer des qualités qui ne sont pas nôtre et regretter que le temps passe, au risque de ne paspouvoir bien vivre cette vie qui est nôtre.
La seule sagesse est d'accepter que le temps passe, et de passer aveclui dans la joie.
Conclusion :Nous pouvons certes regretter que le temps passe dans la mesure où l'action du temps irréversible et changeantese présente comme irrémédiablement destructrice et, nous pouvons alors fonder, notre désir d'éternité surl'hypothèse d'un état antérieur au temps qui passe et qui serait l'éternité elle-même.
Néanmoins , si nous lepouvons, nous ne devons pas regretter que le temps passe dans la mesure où notre regret est stérile et ajoutenotre malheur et que la vie humaine ne peut être vécue dans la joie, l'action et l'espoir que si le temps passe.
Nouspouvons alors finir notre réflexion avec Sartre qui, dans son livre Les Mots, place dans la bouche de sa grand-mère, cette belle phrase : « glissez mortels, n'appuyez pas »..
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