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Peut-on reconnaitre un artiste à son savoir-faire ?

Publié le 27/02/2008

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Etre artiste, c'est posséder un savoir-faire, c'est avoir les capacités techniques de maîtriser un matériau, d'imprimer sa marque sur un objet. A la différence de l'artisan, l'artiste ne vise pas à produire des objets purement utilitaires dont la fonction est déterminée. Naturel à l'époque préindustrielle, voire dans la société industrielle, le savoir-faire a pris des proportions spécifiques dès lors que l'ère postindustrielle a placé le savoir au premier plan de ses préoccupations. En tertiairisant de façon accélérée l'activité humaine, les économies contemporaines des pays industrialisés ont suscité une régression considérable du savoir-faire manuel. L'art est ainsi devenu l'un des rares domaines où les objets sont fabriqués entièrement à la main. Mais pour autant, ce savoir-faire est-il déterminant pour reconnaître un artiste, n'est-ce pas plutôt le style qui le permet, comment se définit-il ? Dans quelle mesure le savoir-faire y a-t-il part ?

« La liberté de l'artiste ne s'exerce pas seulement dans le choix préalable du style, elle peut se manifester par lacontestation des traits qui le définissent dans la théorie et des règles qui le définissent dans la pratique, parl'invention de nouveaux traits et de nouvelles règles.

Ainsi peuvent se créer de nouveaux genres qui se substituentaux anciens.

Mais ce qui importe c'est que le moment de l'invention, est celui aussi de la pratique.

Cette pratiquen'est pas nécessairement individuelle (encore qu'elle le soit le plus souvent ou par quelque côté : la construction dela cathédrale suppose un maître d'oeuvre, le jeu du corps de ballet un chorégraphe), mais elle est individuante :toute grande oeuvre est une création singulière, et l'on pourra même dire que son authenticité se mesure à sasingularité.

Les oeuvres mineures sont les oeuvres standardisées, où n'apparaît point la marque de l'ouvrier sur sonouvrage ; et s'il y a des genres mineurs, ce sont ceux qui ne sollicitent ou ne tolèrent pas cette marque, à savoir latransgression des règles qui les constituent, comme le conte, le roman policier, la chanson, le western.

Mais peut-être ces genres mêmes, dont le style est prédéterminé, autorisent-ils une certaine personnalisation.

L'individuationdu style en effet n'implique pas nécessairement la subversion des règles, mais au moins un certain degré de libertédans la façon de les assumer : l'artisan le plus respectueux, le plus laborieux peut être un artiste si son effort même pour appliquer docilement des normes à un matériau rebelle le conduit comme malgré lui à conjuguertradition et invention, sinon apprentissage et révolte, et à imprimer ainsi sa marque à son oeuvre.

Cette marque de l'ouvrier sur son ouvrage n'est pas expression de soi au sens où on l'entend trop souvent ; elle nemanifeste pas un parti pris délibéré de s'exhiber ou de parler de soi ; ce n'est pas l'auteur qui parle en premièrepersonne, c'est l'oeuvre qui parle, en personne : c'est elle qui porte témoignage du geste, du travail singulier qui l'aproduite, et le créateur n'est rien d'autre que le fils de ses oeuvres.

L'étude du style implique donc l'étude del'oeuvre : l'étude de la marque de l'ouvrier, et non l'étude de l'ouvrier.

Elle vise à expliciter ce qu'il y a d'incomparabledans cette oeuvre, ce par quoi, même si on peut l'inscrire dans un genre, elle échappe aux lois du genre pours'affirmer unique.

La fonction du concept de style est donc exactement inverse ici de celle que nous lui assignions.Avant que ne cherche à s'élaborer une science du style, cette fonction se manifeste au mieux dans la pratique del'expertise, qui a été longtemps la principale tâche que revendiquait l'histoire de l'art : le jugement d'attributionrequiert la détermination des traits qui peuvent singulariser une oeuvre.

Dans quelle mesure l'investigation de cestraits peut-elle être théorisée ? Y a-t-il une science de l'individuel ? Ce sont les questions que se posera unestylistique scientifique, qui elle aussi a hésité entre les deux notions de style que nous avons exposées.

Conclusion.

Aussi, chaque objet fabriqué par un seul homme qui respecte un certain savoir-faire est reconnaissable par unecertaine marque qu'ajoute l'artiste.

Si bien entendu l'artiste prend appui sur ce savoir-faire pour y ajouter quelquechose de purement personnel, une certaine inventivité afin de sortir de l'uniformité.

Ainsi Proust disait : « Cettequalité inconnue d'un monde unique et qu'aucun autre musicien ne nous avait jamais fait voir, peut-être est-ce encela, disais-je à Albertine, qu'est la preuve la plus authentique du génie, bien plus que dans le contenu de l'oeuvreelle-même » cf : La Prisonnière .

Avoir du style, c'est pour une oeuvre la même chose que pour l'individu avoir de la personnalité : s'affirmer comme être d'exception, manifester sa différence.. »

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