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Peut-on penser que la philosophie ne sert a rien ? (ou De l'utilité de la philo)

Publié le 22/02/2012

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La philosophie s'affirme alors, dans sa version marxiste, comme une composante de la praxis, dialectiquement liée à l'action (notamment révolutionnaire, mais pas exclusivement) de telle façon qu'elle en constitue à la fois l'analyse et la conséquence, tout en y trouvant son critère de vérité (ou d'erreur si elle se trompe). Dès lors, la philosophie trouve un but: préparer la révolution.
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« l'ambition de comprendre s'y affirme aux dimensions de l'histoire entière de l'humanité et de l'Esprit.

Philosopher y apour but de transposer dans un système rigoureusement articulé de purs concepts rien de moins que le Monde lui-même.Tout système philosophique — Descartes, Hume, Kant, etc.

— procède de la sorte.

Il produit des concepts oùviennent se «résumer» les choses, les êtres, les événements.

Et la philosophie apparaît ainsi comme une productiontrès particulière, puisque, élaborant des éléments abstraits, son efficacité se marque en apparence à la seuleconstitution d'une bibliothèque inachevable.Cette bibliothèque toutefois n'est pas « lettre morte » puisqu'on constate que les thèmes et conceptsphilosophiques se diffusent, à plus ou moins long terme, dans la mentalité — jusqu'à d'ailleurs y perdre leur sensoriginel et leur rigueur.

Sans utilité du point de vue pragmatique, la philosophie se trouverait ainsi dotée d'uneefficacité ambiguë — si l'on admet qu'elle n'est guère responsable des avatars que subissent progressivement sesconcepts lorsqu'ils se vulgarisent.C'est précisément parce qu'il veut en faire autre chose qu'un ensemble de représentations plus ou moins adéquates,éventuellement capable de faire évoluer les mentalités mais non le réel, et de la sorte toujours en retard d'unebataille (Hegel avait bien dit que la philosophie, comme la chouette, ne prend son envol qu'une fois les faitsaccomplis), que Marx en propose une définition nouvelle, susceptible d'en modifier la portée et de lui conférer un butconcret.

La chouette de Minervene prend son envol qu'aucrépuscule.

(Principes dela philosophie du droit) Minerve est la déesse de la sagesse et son attributest la chouette.

C'est dire que le philosophecommence à réfléchir quand les autres hommes, ceuxqui agissent, ont terminé leur tâche.

Le philosopheréfléchit sur ce qui a déjà été accompli, après quecela ait été accompli. La philosophie s'affirme alors, dans sa version marxiste, comme une composante de la praxis, dialectiquement liée àl'action (notamment révolutionnaire, mais pas exclusivement) de telle façon qu'elle en constitue à la fois l'analyse etla conséquence, tout en y trouvant son critère de vérité (ou d'erreur si elle se trompe).

Dès lors, la philosophietrouve un but: préparer la révolution.

Mais du même coup, elle prépare son extinction puisque si la révolutionconfirme sa validité en la réalisant, on voit mal quelle forme elle pourrait prendre après la révolution (sauf às'installer sous l'aspect d'un «marxisme» sclérosé, transformé en «philosophie d'État» officielle — ce qui esteffectivement bien le contraire de la philosophie classique et de sa position critique — comme ce fut le cas enU.R.S.S.).«À quoi sert la philosophie?» Lorsqu'elle se retrouve «au service de» quoi que ce soit (la théologie au Moyen Age ou,plus récemment, la révolution) elle risque de disparaître.

Lorsqu'elle s'affirme indépendante, on lui reproche sonidéalisme, ou son inutilité.

Mais cette dernière, peut-être faut-il la comprendre au sens où la philosophie est elle-même sa propre fin et ne peut être considérée comme un moyen.

Autonome, la philosophie ne «sert» en effet à riend'immédiat — sauf à montrer qu'à côté des pensées utilitaires, il reste un espace de pensée interrogative, capablede mettre en question l'utilité elle-même. En Orient, ou bien encore dans l'Antiquité classique, la question ne se poserait même pas, tant l'enseignement dessages était recherché et compris comme une nécessité vitale.

Confucius par exemple a été le véritable maître àpenser d'un peuple entier, et son influence persiste encore de nos jours, comme en fait foi l'hostilité que lui vouentles dirigeants actuels de la Chine.Rien de semblable parmi nous où la philosophie, mis à part quelques modes passagères, apparaît plutôt comme uneactivité marginale, sans réelle influence politique, morale ou sociale.

Et lorsque par malheur certains philosophes telsque Platon ou Berkeley ont voulu tenter de réaliser d'une manière concrète leur idéal et de construire une société enfonction de corollaires métaphysiques, leur entreprise a rapidement tourné au désastre.

Et il semble bien toujoursdevoir en être ainsi, à moins que l'apprenti-sorcier ne retrouve à temps les voies éprouvées du pragmatisme politiqueet de la raison d'Etat.

Mais c'est au prix d'un reniement de son intention première qui était de comprendre, non decontraindre.Cependant, le degré de pouvoir ou d'efficacité sociale qu'une institution est en mesure d'exercer est-il le seul critèrequi puisse en justifier l'existence ? En d'autres termes, s'il est nécessaire de prendre en considération ce par quoiune société vit, ne faut-il pas également accorder quelque importance à ce par quoi elle vaut ? Ce par quoi unesociété vit, nous le savons déjà : par une nécessité fatale, elle vit d'oppression.

Oppression dont le langage est undes vecteurs privilégiés : telle est la portée de la grande leçon socratique et platonicienne.

« Le langage, écrit R.Barthes, est une législation, la langue en est le code.

Nous ne voyons pas le pouvoir qui est dans la langue parceque nous oublions que toute langue est un classement et que tout classement est oppressif...

Parler, et à plus forteraison discourir, ce n'est pas communiquer, comme on le répète trop souvent, c'est assujettir.

» La situation est-elledonc sans remède ? Non, car il y a une manière de piéger le langage, de tricher avec lui : « Cette tricherie salutaire,cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d'entendre la langue hors pouvoir, dans la splendeur d'une révolutionpermanente du langage, je l'appelle pour ma part: littérature».

Ne peut-on également l'appeler : philosophie ? Etl'une et l'autre, par des voies différentes, ne tentent-elles pas d'assumer cette tâche folle : surmonterl'inadéquation fondamentale du langage et du réel, à laquelle nul ne saurait se résigner ?Aussi la philosophie peut-elle se justifier en fin de compte par son inévitabilité de fait, toute critique que l'on seraittenté d'en faire s'engageant nécessairement sur le même terrain qu'elle, c'est-à-dire dans une problématique qu'onne peut qualifier que de philosophique.

Le fait que nous soyons à la fois dans le monde et hors de lui, que nous «mentalisions » l'univers nous donne sur lui, comme dit Gusdorf, un droit de reprise, la possibilité de le redoubler par la. »

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