Peut-on penser l'État comme un organisme ?
Publié le 09/01/2004
Extrait du document
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Enfin, il peut arriver que la société connaisse des dysfonctionnements.
Il n'y a de pathologie que relativement auvivant.
Une machine peut se dérégler, elle peut se casser, mais elle ne tombe pas malade.
La maladie n'a rien devolontaire, ordinairement nous faisons notre possible pour demeurer en bonne santé.
Si donc le mal social, lorsqu'ilsurvient, est de nature organique, on ne peut en faire retomber la responsabilité sur personne.
Les crises et lesspasmes qui secouent une société s'expliquent alors par la nature même des choses.
Il faut attendre que l'organismerecouvre la santé de lui-même, et nul individu dans la société n'a le droit de s'attribuer en propre le mérite d'unetelle amélioration.
2.
Si l'on se place désormais au plan de l'État politique, mais toujours pour en examiner le fonctionnement, on remarquera que l'analogie se déplace sensiblement de l'image de l'organisme, à l'image plus précise du corps vivant,doté d'organes et non plus simplement de cellules.
Chez Rousseau par exemple (« Du contrat social », livre III, chap.
11), la puissance législative est assimilée au coeur de l'État, c'est dire qu'elle en est la vie.
La puissance exécutive est, elle, comparée au cerveau, ce quiindique qu'il donne le mouvement.
Hobbes , dans les premières lignes du « Léviathan », procède à des analogies comparables, mais en entrant dans un luxe de détails.
On apprend ce qui tient lieu dans l'État, des articulations, desnerfs, de la mémoire, de la volonté, de la raison, etc.
Enfin chez Montesquieu , la théorie de la séparation des pouvoirs peut être interprétée également comme le fruit d'un travail de comparaison entre le corps humain et le corps social.
Montesquieu nous fait comprendre sans doute le mieux la fonction de cette métaphore, car en réalité il y a moins comme cela a été noté, une séparationdes pouvoirs - entre le législatif, l'exécutif et le judiciaire - qu'une combinaison de puissances (« Montesquieu, La politique et l'histoire », Althusser ).
Chacune ayant pour but de limiter les autres.
Il se forme ainsi une liaison entre les pouvoirs, qui définit une unité organique.
Le jeu des comparaisons a pour intérêt de chercher la configuration dans laquelle le fonctionnement du corps socialcorrespond dans l'État, au meilleur régime.
Le corps humain agit d'autant mieux qu'il y a une parfaite coordinationentre les facultés qui interviennent dans la réalisation de son mouvement.
Il s'agit d'obtenir le même résultat, en ce qui concerne le corps politique.
L'image de l'organisme avait pour effet de diluer le pouvoir, répandu dans chacune des cellules.
Parler de corpssocial signifie au contraire qu'il existe une localisation et éventuellement un partage de l'autorité.
C'est ce à quoinous assistons dans un État.
Le pouvoir commande à la société comme un organe commande au corps d'agir.
Dansun organisme, le mouvement n'a pas d'origine précise, aucune cellule n'en est davantage la cause qu'une autre.
L'organisme agit de lui-même.
Au lieu que, dans le corps, on peut assigner à un organe propre la fonction demotricité.
Dans un État, il existe des, organes vitaux.
Si le coeur s'arrête, le corps social se décompose et secorrompt.
Mais le plus remarquable tient au fait que ce qui commande, commande de l'intérieur.
Coeur ou cerveau, il y a là desorganes distincts, pourvus de fonctions spécifiques, qui commandent au corps, tout en étant des parties de cecorps.
Au sein d'un État, émerge une autorité qui se distingue du fonctionnement social mais qui ne lui est pas pourautant extérieure.
3.
Le paradigme du corps social rend sensibles le fonctionnement et la structure d'un État républicain.
Aucontraire, il sera plus éclairant de représenter un État despotique par une simple machine.
Kant suggère à ce propos, comme symbole, le moulin à bras dont le procédé évoque la situation d'un État dirigé par « une volonté singulière absolue » (« Critique de la faculté de juger », § 59).
Le paradigme mécanique de la machine attire notre attention sur l'existence d'un ressort qui serait comme le lieud'origine du mouvement, et à partir duquel il se communiquerait aux autres constituants.
Le despote de la sorte setient en dehors de l'État.
Il n'a plus rien de comparable avec le coeur qui prodigue la vie depuis le centre du corpssocial.
Montesquieu ne cesse dans sa description du gouvernement despotique (« De l'esprit des lois », livre 111, chap. 10) de faire appel à des images physiques ou mécaniques.
La volonté du prince doit avoir son effet infailliblement,tous les intermédiaires sont niés.
Le despote se démultiplie et atteint pour ainsi dire directement, les parties les pluséloignées.
Il n'y a pas de délibération, pas de dialogue, le temps se réduit au seul instant de la décision qui setransmet d'une façon quasi mécanique, comme un mouvement qui se propage immédiatement d'un élément à sesmultiples extrémités.
De même la crainte, qui est le principe du gouvernement despotique (livre III, chap.
11), c'est-à-dire ce qui le faitagir, doit être pensée comme ce qui réduit la conscience à une nécessité mécanique.
La crainte est à la consciencece que le choc est à la physique.
Bref, un État despotique ne ressemble guère à un être vivant, mais plutôt à une machine bien construite, qui tiresa force motrice de la volonté arbitraire d'un agent extérieur..
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