Peut-on penser l'écoulement du temps ?
Publié le 21/12/2005
Extrait du document
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ne peut saisir ce qui change perpétuellement, avant de soutenir que nous pouvons penser le temps en le mesurant àpartir du mouvement.
On pourra alors se demander si l'échec de la pensée à saisir l'écoulement même du tempsn'appelle pas une nouvelle méthode pour saisir la durée telle que nous la vivons.
1° Nous ne pouvons penser l'écoulement du temps car la pensée ne peut saisir son caractère changeant
Pour Platon, le temps caractérise le monde sensible, par opposition à l'éternité immuable.
Comme le monde sensible est une copie imparfaite du monde intelligible, le temps est une copie de la vraie réalité qu'est l'éternité.
Letemps est le lieu du mouvant, du changeant, sur lesquels notre pensée n'a pas de prise.
En effet, penser une chosesignifie, dans la perspective platonicienne, la rapporter à son essence intelligible, par l'intermédiaire du langage, quipermet de désigner les choses de manière stable.
Or, le temps sensible, par son écoulement, ne peut entrer dansune pensée stable, puisqu'il est par définition ce qui change perpétuellement et ce par quoi les choses sensibleschangent : de même que nous rapportons les choses, pour les penser, à leurs essences éternelles intelligibles, nousdevons penser le temps à partir de son modèle parfait, c'est-à-dire l'éternité.
Ceci revient à dire que nous nepouvons penser l'écoulement du temps, puisque cet écoulement est précisément ce que la notion d'éternité necontient pas, et précisément ce qui échappe à toute pensée qui a besoin de rapporter ses objets à une réalitéstable et non changeante.
2° Nous pouvons penser l'écoulement du temps par la mesure
Aristote, comme Platon, fait du temps une caractéristique du monde sensible, qui est d'une nature moins parfaite que l'éternité qui définit le divin.
Cependant, Aristote s'oppose à Platon en affirmant que nous pouvonspenser l'écoulement du temps, car celui-ci n'existe pas réellement dans le monde comme la matière, mais prend saréalité dans notre esprit par la mesure.
Nous pouvons ainsi penser le changement qui caractérise l'écoulement dutemps comme « le nombre du mouvement selon l'antérieur et le postérieur » : ceci signifie que notre pensée saisit letemps en le mesurant par le mouvement.
Dans le mouvement, qui produit lui aussi un changement, nous distinguonsun avant, un après, et un intervalle entre les deux.
De même, dans le temps, nous distinguons un passé et un futurqui sont comme des parties du temps, où les événements sont contenus comme dans un lieu et qui forment desrepères.
L'écoulement du temps peut ainsi être pensé comme un temps mesuré par notre esprit, divisible etmathématisé.
Cependant, doit-on penser que cette manière de nous rapporter au temps nous permet vraiment denous rapporter à son écoulement, dans la mesure où nous pensons le temps à partir de l'espace, alors même quel'espace n'a pas d'écoulement ? Si le temps est une réalité de notre esprit, ne faut-il pas penser justement qu'il fautabandonner le modèle spatial, qui renvoie à la réalité externe, pour pouvoir saisir sa durée ?
3° L'écoulement du temps renvoie à la durée vécue, non au temps spatialisé
Bergson critique la conception aristotélicienne, selon laquelle la seule manière de penser l'écoulement du temps consiste à en faire un phénomènespatial, où les événements sont juxtaposés les uns à côté des autres : cecirevient à perdre ce qui fait la réalité de l'écoulement du temps, sa durée.Bergson oppose ainsi le temps mesuré, tel que nous nous y rapportons par nosconcepts mathématiques, et par notre action, qui ont besoin de dégager desinstants dans l'écoulement du temps et de se représenter ces instants dans unesuccession, à la durée telle qu'elle est vécue par notre esprit.
Cette durée n'estpas une juxtaposition d'événements, elle mêle tous les éléments de notre vieintérieure, et est en perpétuelle évolution.
Cette durée ne peut être pensée parnos concepts, car ceux-ci sont stables et ne peuvent saisir cette intrication deschoses dans le devenir.
Bergson est sur ce point d'accord avec Platon, maisrenverse sa perspective : l'impossibilité de penser la durée avec nos conceptsne signifie pas que nous devons renoncer à cette durée, mais au contraire quenous devons la saisir par un autre mode, car elle est la réalité même du temps.Nous devons la saisir par une intuition, qui ne consiste pas à faire du temps unlieu où les événements mesurés arrivent, mais à se rapporter directement etimmédiatement à notre vécu psychologique de la durée, pour saisir l'écoulementdu temps comme le devenir qui est créateur de nos états psychologiques eux-mêmes.
Conclusion
Le paradoxe du temps consiste à penser que nous pouvons le saisir soit par la mesure, qui réduit l'écoulement à une succession de moments tous égaux, soit comme durée, qui par son changement résiste à notre pensée qui abesoin de s'appuyer sur des objets stables.
On peut alors penser que le caractère insaisissable de l'écoulement dutemps fait que nous ne pouvons penser que l'éternité immuable du monde intelligible.
Cependant, il est possible desoutenir que nous pouvons penser le temps sensible en mesurant son écoulement sur le modèle de la division quenous effectuons dans l'espace pour nous y repérer.
Mais l'écoulement même du temps semble alors disparaître danscette mesure, qui fait du temps une succession d'instants sans penser ce qui fait le passage entre ces instants, etdonc son écoulement.
On peut alors penser que l'impossibilité pour notre intelligence conceptuelle de saisirl'écoulement du temps appelle une nouvelle méthode de pensée, destinée à saisir la véritable nature du temps, quiest sa durée, son devenir, dans lequel tous les événements sont mêlés et agissent les uns sur les autres..
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