Peut-on parler d'une nécessité de l'Etat ?
Publié le 24/10/2009
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L'un des credo du libéralisme pouffait s'énoncer de la manière suivante: «Moins il y a de politique, plus il y a de liberté. «. Selon cette conception, la liberté se déploie dans le domaine des affaires individuelles, qu'elles soient économiques, culturelles ou religieuses. Le rôle de l'Etat doit, de ce fait, être extrêmement limité. Il suffit qu'il maintienne la sécurité des citoyens et qu'il garantisse la propriété privée. L'Etat, ainsi compris, est un moyen, un moyen au service des fins individuelles. Dans cette perspective, il est légitime de se demander: l'Etat est-il nécessaire aux hommes ? En effet, si l'Etat n'est qu'un moyen, ne peut-on le remplacer par un autre moyen ? De même que pour produire une sculpture on peut préférer le bois (plus tendre et plus souple) a la pierre, ne peut-on envisager de substituer à l'Etat une autre forme d'organisation qui respecte davantage la liberté? Cependant, le problème est peut-être mal posé. Du moins rencontrons-nous ici une réelle difficulté sur quelle idée de l'homme pouvons-nous fonder ce rejet ou cette limitation extrême de l'Etat ? Car, se demander si l'Etat est nécessaire aux hommes exige que l'on s'interroge sur ce que représente ce pluriel : les hommes. Or, il n'est pas impossible que la perspective d'une communauté des hommes ne soit pensable que sur un horizon universel. Or, qu'est-ce qui peut garantir cet horizon, si ce n'est un Etat ? Pourtant, l'Etat est aussi source d'arbitraire et de violence faite aux hommes. Nous nous trouvons alors confrontés à une nécessité extrêmement problématique de l'Etat. Si nous partons du principe que la liberté réside dans l'initiative individuelle, alors, nous pouvons légitimement estimer que l'Etat n'est pas nécessaire. Tout au plus il est un moindre mal, un « mal nécessaire «.
«
Par différence, dans un Etat on n'obéit pas à une personne mais à la loi.
La loi est une production objective deshommes.
Elle est objective au sens où elle est écrite, publique et applicable à tous les citoyens de l'Etat.
Elle sesubstitue à la subjectivité du chef et au caractère flottant et imprécis de la coutume non écrite.
Bien sûr, une loiécrite peut être injuste, elle peut favoriser les intérêts d'une classe sociale donnée (ce que reprochera Marx au droit« bourgeois ») ; en ce sens elle n'est pas objective au sens de « impartiale ».
Mais elle l'est au sens d'objet fixe etdéterminé, connu de tous, visible par tous et aussi soumis à la critique et au perfectionnement.
Si nous suivonsHegel lorsqu'il caractérise le monde de la culture comme une « seconde nature » produite par l'homme, nouspouvons souligner que le droit positif est une production humaine concrète, observable, déposée dans des texteslégislatifs.
Par conséquent, l'homme qui obéit à la loi se soustrait à l'emprise d'une personne particulière.
Or, iln'existe pas de droit positif hors d'un Etat doté d'un pouvoir législatif pour édicter les lois et d'un pouvoir judiciairepour punir les infractions.
Une hypothèse se présente alors à nous : l'émergence de l'individu comme tel ne va-t-ellepas de pair avec l'émergence de l'Etat au sens moderne (en laissant de côté la conception antique de l'Etat) ? Maisalors, les critiques radicales de l'Etat oublieraient une partie de la réalité.
Elles s'appuieraient sur l'émergence del'individu sans remarquer combien elle est liée à celle de l'Etat.
Max Stirner souligne que l'Etat engendre la «limitation du moi ».
Nous pourrions lui objecter que c'est aussi dans l'Etat que s'opère le développement du moi.
Direexactement ce qu'est le moi au sens d'« individu » est une tâche très complexe.
Nous pouvons cependant esquisserquelques traits généraux.
L'individu est d'abord celui qui a conscience de lui-même comme d'une unité ou d'un moiséparé des autres.
Mais cette conscience, il l'a acquise peu à peu, et elle repose sur une série « d'arrachements»qui est intimement liée à son existence dans l'Etat.
Dans sa famille, l'homme est d'abord « l'enfant », et il ne sort decette condition qu'en allant à l'école où il devient « l'élève ».
Enfin, il dépasse cet état en devant majeur et «citoyen ».
Combien ce double arrachement, d'abord à la famille puis à l'école, est-il lié à l'existence de l'Etat ? Nouspensons que c'est en très grande partie.
Dès lors, cependant, l'Etat n'est-il pas davantage qu'un mal nécessaire etqu'un instrument? A partir du moment où nous avons mis à jour un rapport complexe entre l'individu et l'Etat, nousnous trouvons devant la nécessité de l'Etat pour garantir la liberté des individus, et ce bien au-delà d'une simpleliberté de « faire ce que l'on veut ».
Cependant; l'Etat n'apparaît-il pas souvent comme un « monstre froid »commel'écrit Nietzsche, ne produit-il pas la négation des individus? Que signifie « faire ce que l'on veut»? Que veut-ondans ce cas? S'il s'agit de revendiquer la satisfaction de nos besoins, notre volonté se heurte à une doubledifficulté.
D'un côté, le besoin est lié à notre particularité : il s'oppose nécessairement à celui des autres comme lesouligne Spinoza dans le Traité politique : « dans la mesure où les hommes sont soumis aux passions, ils sontcontraires les uns aux autres ».
D'un autre côté, le besoin humain est quelque chose de complexe : le besoin humainest culturel et en ce sens il est lié à la société dans laquelle les hommes vivent.
Hormis le besoin vital d'une certainequantité de calories et de repos par jour, tout besoin est structuré par les conditions socio-culturelles de sonapparition.
En ce sens, nous retrouvons le lien fondamental entre l'individu et la société : l'individu croit que sesbesoins le caractérisent en propre alors qu'il ne fait qu'exprimer des besoins culturels dans lesquels le déterminantsocial est prépondérant.
C'est ce que nous apprennent notamment la psychologie et la sociologie.
La première nousindique à quel point notre comportement est influencé par nos parents et nos proches, qui interviennent dans lamise en place des structures de notre personnalité (Moi et Surmoi chez Freud).
La seconde souligne combien noscomportements collectifs sont marqué par les valeurs et les stéréotypes de notre société.
Alors, qu'est-ce que «faire ce que l'on veut» ? N'est-ce pas faire ce qu'ont voulu de nous nos parents, ou faire ce que veut de nous lasociété dans son ensemble pour assurer sa conservation ? L'individu des anarchistes et des libéraux n'est-il pas naïfen oubliant les causes qui le poussent à agir ? N'est-il pas ridicule de croire que nous disposons d'une volontépropre, individuelle? Nous en arriverions alors à une situation paradoxale.
D'une part, l'Etat est nécessaire auxindividus, puisqu'il les fait accéder à la conscience d'eux-mêmes et structure leur personnalité.
D'autre part il sembleles réduire à des rouages dans un système où la liberté semble céder le pas au déterminisme.
Cependant, nousavons peut-être assimilé trop vite Etat et société.
Prenons la distinction que fait Hegel dans les Principes de laphilosophie du droit entre « société civile » et Etat.
La société civile c'est le monde économique et social, l'ensembledes rapports entre les particuliers.
A ce niveau de compréhension, les hommes sont considérés comme des atomesépars, chacun recherchant son propre intérêt.
Au niveau supérieur, nous trouvons l'Etat, qui incarne l'universel.
Lesinterprétations de cette distinction sont multiples et complexes.
Pourtant, dans la perspective qui est ici la nôtre,nous pouvons en tirer un élément de réflexion important.
Dans la société civile, dans le monde économique, leshommes obéissent essentiellement à la nécessité; en cherchant à assouvir leurs besoins particuliers, ils s'insèrentdans le système économique et social où ils sont nés.
C'est peut-être l'erreur majeure du libéralisme que de voir là lapossibilité d'exprimer la liberté.
Sans parler de cette étrange conception d'une « main invisible », qui viendraitautomatiquement régler le système économique.
C'est donc bien dans l'Etat, et en tout cas grâce à la politique, quel'homme peut faire preuve de liberté.
C'est ce que souligne la remarquable analyse d'Hannah Arendt, dans La crisede la culture.
Elle affirme ceci : « La raison d'être de la politique est la liberté, et son champ d'expérience estl'action.
».
A l'inverse du credo évoqué en introduction, nous pourrions suggérer que c'est peut-être seulement parl'action politique que les hommes sont libres et véritablement hommes.
Seule en effet une action accomplie pour lebien de tous s'affranchit des particularismes et vise l'universel.
Ce n'est peut-être qu'en remettant en cause l'étatde la société telle qu'il le trouve que l'homme n'est pas l'esclave de celle-ci.
Et cela implique qu'il cherche àtransformer l'état de fait, à«commencer » quelque chose de nouveau Or, il est possible que cette remise en causene nous soit offerte que dans un Etat qui assure à la fois l'éducation nécessaire à toute remise en cause et lesmoyens politiques de sa mise en oeuvre.
C'est l'une des manières de comprendre la phrase suivante d'Arendt :«Sans une vie publique politiquement garantie, il manque à la liberté l'espace mondain où faire son apparition.
».Cependant, et peut-être de façon dramatique, l'Etat est aussi «monopole de la violence légitime » comme le dit MaxWeber.
Nous trouvons-là toute l'ambiguïté du mot « légitime ».
Lorsque la force au service de l'Etat permet d'assurerle maintien des lois justes et reconnues par tous, nous pouvons parler de légitimité véritable (quoique toujoursimparfaite) car la force est au service du droit, au service de l'universel.
En revanche, il existe des cas où c'est ledroit qui est au service de la force, où le droit est imposition déguisée d'un intérêt particulier.
C'est ce qui se produit.
»
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