Peut-on ne pas savoir ce que l'on veut ?
Publié le 19/12/2005
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Qu'est-ce que vouloir? C'est de toute évidence avoir en soi une certaine impulsion dirigée vers un certain objet: on veut ainsi telle ou telle chose, on sent en soi un élan, quelque chose qui s'élance de nous-même, pour se diriger vers une fin particulière (telos). Mais cette impulsion peut-elle s'originer dans une partie de nous que nous ne connaissons pas, une partie dont nous n'avons aucune exacte représentation? Mais peut-il exister une instance qui tout en étant en nous, demeure hors de notre attention? Il y aurait ici un paradoxe compliqué, puisque cela implique qu'une partie de moi ne soit pas réellement moi, qu'elle ne tombe pas sous mon contrôle. Mais comment puis-je ne pas être moi? Et qu'est-ce que le moi d'ailleurs? On peut le penser comme l'image que nous avons de nous-même, une image que j'ai. Le moi est en ce sens ce dont j'ai conscience, ce que je parvient à me représenter me concernant, et pour utiliser un terme du philosophe anglais John Locke, mon identité. Mais si le moi n'est qu'une image que je me fais de ma propre personne, cette image, on le devine, peut être plus ou moins exacte, plus ou moins fiable. L'image que j'ai de mon « je «, peut en effet (comme l'image d'un appareil photo) être le reflet plus ou moins fidèle de ce que je suis réellement. En ce sens, ne pas savoir ce que l'on veut suppose qu'une partie hors du moi, hors de l'image que nous avons de nous-même, génére des impulsions dont la cause nous échappe. Comment dès lors récupérer alors un pouvoir, une connaissance sur ce qui se passe à la fois en soi et à la marge de soi?
«
II.
Si je prends le verre qui est posé face à moi sur cette table, tout près demon ordinateur, je peux dire, avec Sartre, que son être est en soi .
Qu'est-ce que cela signifie? Tout simplement qu'il a été décidé, à une certain moment,dans un bureau d'étude, quelle serait sa forme, sa fonction, son être ensomme.
Il sera toujours et seulement un verre: il demeure enfermé dans cemode d'être, il colle à son être pourrions nous dire en ce sens que sans cesseil correspond à ce mode d'être déterminé, parfaitement défini.
Dans l' Être et le Néant , Sartre nous rappelle qu'il en va ainsi de l'être des objets qui m'entourent, soit que leur essence précède leur existence: avant d'exister, ila été statuer ce qu'ils sont, et leur existence n'est que le déploiement, ledéveloppement de cette décision primordiale.
A contrario , l'être humain n'est pas seulement un être en soi , mais il est également un être pour soi .
Bien évidemment, certains facteurs chosifient notre être, c'est à dire qu'ils le réduisent à quelque chose d'inerte, de fixe,d'en soi.
Par exemple, nous ne pouvons que très difficilement changer notrepassé qui leste ainsi d'une manière ou d'une autre toutes les démarches quenous entreprenons.
Dans un cas extrême, il est assez dure, pour illustrer ceproblème, de refaire sa vie lorsqu'on a connu la prison, que notre passé estmarqué par des faits traumatisant...
Mais, les déterminismes, qu'ils soientsociologiques, psychologiques, ethnologiques, en nous conditionnant, nouschosifie de la même manière: ils entravent notre démarchent, nous rendreprévisibles.
Mais l'homme jouit de ce privilège rare, à savoir qu'il est aussi un être pour soi .
Ceci signifie qu'il n'adhère pas pleinement à son être en soi , que par sa conscience, il a une capacité réflexive, c'est à dire une capacité de retour sur soi.
Cela fait qu'il n'est pas pleinement ce qu'il est, que son être n'est pas fixé puisqu'il peut toujoursprendre conscience de ce qu'il est et être tout autre.
On peut dire fondamentalement, qu'il y a un jeu en l'hommeentre son être pour soi et son être en soi.
Sartre prend l'exemple du garçon de café qui, sous la pression du regard des clients de terrasse, joue au garçon de café, tente maladroitement d'en prendre les postures typiques.
On peut dire que le regard d'autrui participelargement a scléroser notre être, à l'encourager à se fixer dans une posture déterminée.
En somme, le garçon decafé table sur ce que Sartre appelle autrement la facticité (être en soi ): il agit selon ce que l'on attend de lui.
Il laisse de côté la liberté seule de l'être pour soi qui fait que nous ne sommes jamais vraiment ce que nous sommes.
Atout instant nous pouvons être autre, et jamais nous ne pouvons nous réduire à notre appartenance sociale, ànotre situation professionnelle: nous ne sommes pas notre profession, nous ne sommes pas notre confessionreligieuse, nous ne sommes pas les habits que nous portons.
Mais l'homme est foncièrement désir d'être en soi: ilrefuse cette position angoissante d'une liberté qui fait que notre trajet est toujours à tracer et non déterminéd'avance.
C'est cela la mauvaise foi , à savoir le fait de se prendre au jeu que nous jouons sans cesse, lorsque nous refusons ce néant au sein de notre être qui fait que nous ne sommes rien de déterminé, lorsque nous croyons quenous sommes ceci ou cela de précisément déterminé.
Or pour Sartre, la conscience, celle-là même qui caractérisenotre être pour soi , est toujours conscience de quelque chose .
Cela signifie qu'elle est toujours en direction d'un en dehors de nous, qu'elle n'a aucune intériorité propre.
Ainsi s'élance-t-elle vers l'arbre à travers ma fenêtre, ou encore sur mes mains qui pianotent sur le clavier.
Elle est toujours portée en avant, elle est un aller-vers .
Elle ne cache rien en elle, et nous n'ignorons que volontairement ce que nous désirons, ce que nous voulons, car laconscience est par cette posture dynamique, claire à elle-même, transparente.
C'est encore un procédé demauvaise foi par lequel nous tentons de nous déjouer parfois nous-mêmes.
Je sais ce que je veux, mais je préféreme prétendre ignorant, victime, car je suis submergé, angoissé, par cet impératif qui vient du plus profond de monêtre, celui qui fait que je suis « condamné à être libre ».
L'esprit est pure ouverture, il ne dissimule rien que nous ne connaissions déjà.
La psychanalyse et l'instance de l'inconscient III..
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