Peut-on ne pas être soi-même ?
Publié le 17/01/2022
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«Etre soi même«. A première vue, une expression tout à fait anodine, et qui semble absolument évidente. Mais, en réfléchissant, que signifie «être soi-même«, posséder une identité ? Il nous arrive souvent, pour parler d'une situation que l'on n'a pas pu maîtriser totalement, qui nous a échappé, de dire «je n'étais plus tout à fait moi-même.« Mais est-ce vraiment possible de ne «plus être soi-même«? A priori, c'est une question qui paraît totalement absurde, c'est un non sens : Que pourrais-je ou qui pourrais-je être d'autre que moi-même ? Il est donc intéressant de se demander, en premier lieu, ce que c'est que d' «être soi-même«. Puis, au contraire, nous pouvons nous interroger sur ce qui peut faire que je ne sois plus moi-même, que «je« soit un autre que moi. Enfin, nous nous demanderons si l'on peut réellement être pleinement soi-même, ou si, au contraire, nous ne serions pas des êtres sans cesse en projet, en construction, inachevés ?
- 1. Le verbe «pouvoir« recouvre différentes significations: A-t-on le pouvoir de...? Est-il possible que...? Est-il concevable que...? A-t-on le droit de...? Est-il légitime que...? etc. Quel(s) sens faut-il donner ici au verbe «pouvoir« pour que le sujet présente un enjeu pertinent?
- 2. On pourrait répondre qu'on est toujours soi-même: on est ce qu'on est... On n'est pas autre chose... Que dit-on de plus quand on dit que quelqu'un est «lui-même«? En particulier: qu'est-ce qu'être «authentique«? Analysez et illustrez cette notion d'authenticité.
- 3. Inversement: en quel sens pourrait-on ne pas être soi-même? Qu'est-ce qu'être «aliéné«? Donnez des exemples et montrez en quoi ils s'appliquent à des situations où l'on n'est pas soi-même.
- I) On peut ne pas être soi-même.
a) Je ne gouverne pas l'ensemble de ma vie psychique. b) Les autres peuvent m'empêcher d'être moi-même. c) La folie montre la dépossession de soi.
- II) Je ne peux pas ne pas être moi-même.
a) Tant que je pense, je suis. b) Même fou, je suis encore moi. c) Je suis toujours le même.
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[Introduction]
Lorsque Rimbaud écrit : « Je est un autre », il constate que le prétendu moi est (au moins) double : je suis moi-même et autre que moi-même.
S'agit-il là d'une affirmation simplement « poétique », sans réalité dans la vie dechacun, ou faut-il au contraire admettre qu'elle constitue un véritable constat, concernant chacun d'entre nous ?Peut-on, et de façon très normale sinon ordinaire, ne pas être soi-même ? Faut-il même aller jusqu'à considérer qu'ily a là beaucoup plus qu'une possibilité : une nécessité véritable pour l'être humain ?
[I.
Les formes sociales de l'aliénation]
« Ne pas être soi-même » : cette expression, par sa forme négative, semble d'abord désigner ce que l'on nommesouvent « aliénation ».
En n'étant pas moi-même, je me trouve sous la domination d'un autre, ou d'autre chose, jedeviens autre que ce que je « devrais » authentiquement être.
Mais le concept d'aliénation est complexe, ilprésente des significations différentes selon les contextes dans lesquels on l'utilise. Rousseau, par exemple, a souligné combien l'existence dans la société de sonépoque est aliénante pour l'homme.
Son point de vue est alors cri-tique ounégatif : pour l'homme « social », l'apparence se substitue à l'être.
Je nebénéficie que d'un être en quelque sorte fictif, puisque je vis toujours « horsde moi », dans mes biens, ma réputation, ou le regard des autres et la façondont j'attends qu'ils me considèrent.
Une telle situation, métaphysiquementou
ontologiquement désastreuse, résulte d'une histoire mal orientée.
Ce n'est pasla société en soi qui m'aliène, c'est la société mal organisée : Rousseauaffirme, d'un point de vue complémentaire, que les relations originelles avecautrui (celles qui auraient existé pour l'homme « naturel ») ont été positives,constituées de collaboration efficace, de travail équilibré et de propriétélégitime.
Dans ces conditions si l'on veut édeniques, l'homme était bien lui-même, son être et son apparence coïncidaient, et une telle absence d'écartsignifiait une harmonie, tant morale que sociale, assurant le bonheur.À partir de ces thèmes, dont Rousseau affirme lui-même qu'ils constituent unehistoire seulement hypothétique, mais suffisante pour comprendre l'hommemoderne, la philosophie a produit ensuite de nombreuses variantes, dont lesorientations sont diverses.
Marx évoque ainsi l'aliénation dans et par letravail, pour insister sur la déshumanisation qu'y subit le travailleur industriel,qui ne se récupère comme être humain que dans ses rares moments de loisir. Mais surtout, en substituant une conscience de classe à ce que l'on nommait classiquement conscience individuelle,Marx suggère que, si je suis « moi-même », c'est en étant simultanément autre chose que moi, dans la mesure où jetraduis, dans les formes et contenus de « ma » conscience, une appartenance sociale : ce que « je » suis, la façond'être que je m'attribue, est loin de m'appartenir en propre ou exclusivement ; on n'est ainsi soi-même qu'en étantaussi de l'autre, qu'en participant à une classe de référence qui définit ses membres bien davantage qu'ils ne ladéfinissent.Ultérieurement, la mise en cause de l'importance excessive que l'homme peut attribuer à sa production ou à sesbiens aboutit, chez un Gabriel Marcel, à une importante distinction entre l'être et l'avoir.
Tant que je me préoccupeen priorité de mon avoir, je perds mon être, et tombe dans l'inauthenticité.Si l'inauthenticité est un thème important dans l'existentialisme français, c'est aussi parce que Sartre y voit laconséquence des dissimulations du pour-soi, de sa chosification, soit par les autres, soit en fonction de ce qu'ilsattendent.
Comme le garçon de café qui joue au garçon de café, on emprunte un rôle de convention, on n'est plussoi-même, ou du moins ce que l'on devrait être (un pour-soi libre et indéterminé), parce qu'on accepte —momentanément ou non — de renoncer à assumer sa liberté pour se plier à des normes que l'on ne choisit pas.
Dansde telles situations, l'autre m'aliène, et il faut admettre que cette aliénation est fréquente — sinon constante —pour tout un chacun, puisque la société définit des rôles, des emplois, des fonctions dans lesquels s'efface lapossibilité des choix individuels.
[II.
L'aliénation du sujet psychologique]
Ne pas être soi-même, c'est être « hors de soi », mais dans un sens éventuellement plus simple que chez Rousseau: c'est ce qui transparaît dans la colère, dans la passion ; le sujet, affirme-t-on, ne se maîtrise plus, il se méconnaîtou on ne le reconnaît plus — c'est donc bien qu'il est devenu autre.
D'où les critiques classiques de la passion et les.
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