Peut-on juger objectivement la valeur d'une culture ?
Publié le 18/03/2009
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dépasser ses particularités et rejoindre tous les autres par la pensée, en lui donnant la forme de l'universalité.
Unpeuple a de même une culture lorsqu'il poursuit une fin qui intéresse tous les autres, pas seulement lui-même, et aune signification universelle.
Cette analyse fournit ainsi un critère permettant de juger objectivement de la valeurd'une culture.
Elle est au peuple ce que la conscience est à l'individu : elle en est l'esprit et l'élément subjectif.
Sil'on ne peut en juger directement, en raison de sa nature immatérielle, on le peut indirectement par l'intermédiaire deses réalisations particulières : sa valeur est proportionnelle à leur contenu spirituel.
Elle en acquiert en dépassantses particularités pour faire de ses ½uvres singulières des manifestations de l'esprit universel.
Ce dépassementgaranti du même coup la neutralité et l'objectivité du jugement que l'on porte sur elle, car il n'exprime pas unesubjectivité particulière mais porte le sceau de l'universel.
Mais la production de biens culturels témoigne-t-elleeffectivement du sens d'une culture ? En est-elle une expression authentique, ou un dévoiement tragique ? Permet-elle de juger objectivement de sa valeur ? Ou l'objectivité n'est-elle ici qu'une illusion, dont il convient de faire lacritique pour comprendre ce qu'est la culture avant les biens culturels ? II.
Il faut distinguer la culture et les biens culturels
On ne peut juger objectivement de la valeur d'une culture nous dit Simmel.
Ce serait la confondre avec les biensqu'elle produit en commettant une erreur qu'il qualifie de « tragique », car elle est, selon lui, fatale.
Pour Simmel, laculture est en effet le chemin de l'esprit vers lui-même.
L'objectivation est une étape nécessaire de cet itinéraire :l'esprit, qui est sujet, ne peut se connaître qu'en devenant lui-même un objet, car toute connaissance réside dansle rapport sujet/objet.
Or c'est justement ce qui a lieu dans la culture : l'esprit, qui est immatériel, produit des½uvres matérielles qui témoignent de sa nature et de ses potentialités.
Ces ½uvres qui rendent visible l'invisible ontune valeur spirituelle.
L'esprit en est le contenu objectif.
Il s'aperçoit lui-même en les contemplant et peut ainsirevenir à lui-même après s'être déployé en elles, pour acquérir par réflexion une connaissance objective de son être.La culture dépasse ainsi l'opposition du sujet et de l'objet : elle opère leur synthèse et accomplit l'esprit dans laproduction d'½uvres concrètes appelées « biens culturels ».
Simmel remarque cependant que ce circuit dialectiqueest toujours dévoyé par la pratique.
« Il se produit dans la culture une faille, nous dit-il, qui fait que la synthèsesujet/objet se mue en paradoxe, voir même en tragédie » (La Tragédie de la culture).
Selon lui, l'esprit ne peutjamais revenir à lui-même en se réappropriant le contenu objectivé des produits culturels, car leur objectivité lesrend indépendants et les fait relever d'une autre juridiction que la sienne.
C'est ainsi que les ½uvres qui sont àl'origine issues d'une subjectivité particulière sont réinterprétées par le public qui les reçoit, de différentes façons enfonction des époques, si bien que leur sens ne coïncide plus avec l'intention de leur auteur.Généralement, les produits culturels sont en outre instrumentalisés, c'est-à-dire mis au service d'autres fins quecelles de la culture, à laquelle ils finissent par faire obstacle, au lieu d'en favoriser le développement.
La matièredont les ½uvres sont faites obéit enfin à d'autres lois que celles de l'esprit et leur contenu spirituel finit toujours parse dissoudre en elle au cours du temps pour disparaître finalement.
Ces dévoiements conduisent donc Simmel àdistinguer la culture et les biens culturels en affirmant l'autonomie de chacune de ces sphères.
Leur rapport estselon lui comparable à celui d'un cercle à ses tangentes : ils se confondent bien en un point, mais divergent ensuite.Le « paradoxe » veut donc que les produits culturels ne servent pas nécessairement la culture, parce qu'ils sontrégis par une logique immanente à la sphère de l'objectivation, qui les rend étrangers à ses fins.
C'est une « tragédie» selon notre auteur, car cela signifie que la culture ne peut éviter de s'objectiver dans des ½uvres qui la vouent àsa perte.
Il est donc absurde de vouloir juger « objectivement » de la valeur d'une culture, car son objectivation estjustement sa dénaturation.
Les produits culturels font obstacle à la culture.
On ne la comprend qu'en serapprochant des sujets qui la font, car il ne s'agit pas ici de juger, mais d'agir et de créer.Faut-il pour autant renoncer à toute objectivité ? À quoi peut-on se référer, si une culture ne s'évalue pas à sesproductions ? La diversité condamne-t-elle forcément le jugement que l'on porte sur elles à la relativité et à lasubjectivité ? Ne peut-elle en fournir au contraire un critère d'évaluation objectif ? N'est-elle pas une richesse ? III.
La diversité des cultures en fait la valeur
Une culture a d'autant plus de valeur qu'elle est diversifiée et tolérante, nous dit Lévi-Strauss.
La diversité est pourlui un facteur de progrès qui permet de juger objectivement de la valeur culturelle d'une société.
Le but del'ethnologue est de lutter contre l'ethnocentrisme, le racisme et le faux évolutionnisme.
Il montre que l'on ne doitpas se représenter le progrès de l'humanité comme une échelle où chaque barreau serait une culture, dont le degréd'élévation dépendrait de sa ressemblance avec celle que l'on situe au sommet.
Cet évolutionnisme culturel hérité duXIXe siècle n'affirme pas la différence, en la tenant pour une réalité et une richesse, mais la nie au contraire en laconsidérant comme une apparence à dissiper au sein d'une hiérarchie prédéfinie.
Il ramène la diversité des cultures àl'unité, en les subordonnant à l'une d'entre elles, sur le chemin de laquelle elles ne sont finalement que des étapes.L'évolutionniste veut ainsi échapper au relativisme culturel, en définissant un critère permettant de jugerobjectivement la valeur d'une culture.
Elle se mesure selon lui soit à son degré de développement, de façon relative,en fonction de sa ressemblance à celle située au sommet de l'échelle, soit au nombre d'inventions dont l'humanité luiest redevable, de façon absolue, sans qu'on ait à la comparer à d'autres.
La notion de progrès devrait ainsipermettre de juger objectivement de la valeur d'une culture.
Or c'est justement ce que critique Lévi-Strauss.
Il voitdans cet évolutionnisme un effet de l'ethnocentrisme et l'humanité en progrès ressemble moins, selon lui, à unhomme gravissant un escalier qu'à un joueur dont la chance est répartie sur plusieurs dés.
Il remarque avec lesarchéologues et les anthropologues du XXe siècle que les progrès que les hommes ont faits au cours de l'histoiresont moins échelonnés dans le temps que répartis dans l'espace.
Ils ne sont pas linéaires et ne sont pas le fait d'uneseule civilisation, mais se font par bonds et changements de sens, au gré des échanges entre les peuples.
Lerenouvellement des sciences historiques alliées à celles de la vie l'amène à proposer une nouvelle image de.
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