Peut-on haïr la raison ?
Publié le 30/01/2004
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raison, c'est haïr la réflexion, mais également la morale, puisque c'est la raison qui donne la faculté de considérer lebien et le mal.
Haïr la raison, ce serait donc également haïr l'homme.
Transition : Cependant, n'est-ce pas uniquement lorsqu'on se place déjà dans la perspective de la raison comme valeur supérieure que l'on estime qu'il n'est pas légitime d'haïr la raison ? En effet, c'est du point de vue de la raisonque l'on peut dire que la raison est une valeur supérieure, c'est déjà être raisonnable que de dire qu'il faut êtreraisonnable.
Mais si l'on sort de ce point de vue, peut-on affirmer que se passer de la raison, être irrationnel etdéraisonnable est un mal ? Ne peut-on au contraire trouver des motifs de haïr la raison ?
II – Contre la raison
• On peut avoir d'autres valeurs ou principes dominants que la raison : c'estuniquement lorsque l'on juge depuis le point de vue de la raison que l'on voitdans son abandon un danger ou une déshumanisation.
D'autres valeurs donc,comme c'est le cas pour Nietzsche qui fait de la vie, de la volonté de puissance et du corps des principes plus importants que la raison.
• Dès lors, on peut haïr la raison, c'est-à-dire haïr ce qui s'oppose et chercheà nier ces valeurs.
Si l'on estime par exemple que suivre ses passions est unbien, que c'est cette voie qui doit être la notre, la raison apparaît alorscomme un danger.
Plus encore, c'est ce qui cherche à nier ce que l'on estimeêtre la vérité.
Ainsi, pour Nietzsche, la vraie morale est celle de l'instinct :c'est instinctivement, en suivant sa volonté de puissance, que l'on est moral,en se positionnant par rapport à soi et non par rapport à des instancesextérieures.
Telle est la morale des maîtres.
Se servir de la raison, c'estcourt-circuiter cette morale, chercher à l'abolir au profit de la morale desesclaves.
• Dans cette perspective, Nietzsche voit en Socrate et dans son usage de ladialectique une décadence : car la vertu et le bonheur pour Socrate doiventpasser par la raison, s'éloignant de la vie.
La raison au contraire brime la vieen nous, cherche à la contrôler, à l'asservir.
• Sans aller jusque là, on peut voir un danger dans le culte de la raison, lorsque l'on fait de celle-ci notre principalevaleur et ce qui doit nous diriger.
La raison, opposée au coeur, détachée des sentiments, devient une machinelogique et froide.
Il peut ainsi être raisonnable de ne pas s'occuper des plus faibles afin d'être plus efficace ; maisnos sentiments peuvent nous dire le contraire.
On peut donc haïr la raison en ce qu'elle s'oppose à une moraleinstinctive ou à une morale du coeur.
• Enfin, la raison s'interpose entre nous et le choses, elle forme un écran qui nous empêche de percevoir plusimmédiatement ce qui nous entoure.
La raison nous fait percevoir les choses rationnellement : ce qui est utile ounon, comme les choses fonctionnent, ce que l'on peut en faire.
Mais elle ne nous informe pas sur le sens de ce quinous entoure.
C'est également au nom d'une vision plus poétique ou spirituelle des choses que l'on peut haïr laraison.
III – Raison et passion : les deux tendances de l'homme
• Mais est-ce vraiment là l'explication de la haine de la raison ? Tous ces arguments que nous avons exposéspeuvent être réunis par une même idée (qu'on estime qu'elle soit vraie ou fausse) : la raison, d'une manière ou d'uneautre, s'oppose au bonheur.
• C'est l'analyse que Kant fait de la misologie (misologie signifie « haine de la raison ») :
Plus une raison cultivée s'occupe de poursuivre la jouissance de la vie et du bonheur, plusl'homme s'éloigne du vrai contentement.
Voila pourquoi chez beaucoup, et chez ceux la même quiont fait l'usage de la raison la plus grande expérience, il se produit pourvu qu'ils soient sincèrespour l'avouer, un certain degré de misologie, c'est à dire de haine de la raison.
En effet aprèsavoir fait le compte de tous les avantages qu'ils retirent, je ne dis pas de la découverte de tousles arts qui font le luxe ordinaire, mais même des sciences (qui finissent par leur apparaître aussicomme un luxe de l'entendement), toujours est il qu'ils trouvent qu'en réalité ils se sont imposésplus de peine qu'ils n'ont recueilli de bonheur: aussi à l'égard de cette catégorie plus communed'hommes qui se laissent conduire de plus près par le simple instinct naturel et qui n'accordent àleur raison que peu d'influence sur leur conduite, éprouvent ils finalement plus d'envie que dedédain.
Et en ce sens il faut reconnaître que le jugement de ceux qui limitent fort et mêmeréduisent à rien les pompeuses glorifications des avantages que la raison devrait nous procurerrelativement au bonheur et au contentement de la vie n'est en aucune façon le fait d'une humeurchagrine ou d'un manque de reconnaissance envers la bonté du gouvernement du moment maisqu'au fond de ces jugements gît secrètement l'idée que la fin de leur existence est toutedifférente et beaucoup plus noble..
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