Peut-on expérimenter sur le vivant ?
Publié le 09/04/2009
Extrait du document
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L'expérience ne se connaît pas d'avance.
« Il fallait se l'entendre dire », constatera l'un de ces couples qui,expérience faite, comprit enfin ce qu'impliquait le protocole.
Si le consentement est indispensable, il n'est passuffisant.
Toute expérience comporte des risques et des effets qui sont loin d'être toujours prévisibles.Il existe d'ailleurs bien des expériences faites sur des êtres humains qui ne portent pas ce nom, ne relèvent pas dela recherche, ignorent donc l'obligation du consentement.
Sans aller jusqu'aux lavages de cerveau des camps derééducation, de vastes laboratoires d'expérimentation humaine fonctionnent en milieu naturel, hors statut et hors detout contrôle.
J'évoque ici toutes les techniques psychologiques utilisées pour modifier un état de conscience,conditionner un comportement, façonner une opinion, traiter la souffrance psychique.
Nous sommes quotidiennementsoumis à la « persuasion clandestine » (V.
Packard, 1958) de la publicité et à la mise en forme des événementschoisis par les médias.
De multiples « thérapies » corporelles ou psychiques, auxquelles la justification de « faire dubien » sert de sauf-conduit, manipulent la personnalité des individus, en provoquant des réactions émotionnellesmassives, en mettant les sujets en situation de dépendance ou en convertissant leurs adeptes à leur foi par lasuggestion la plus ordinaire.
Où sont les limites ? Si l'on décide de s'opposer aux abus, il faut préalablement définirles usages et leurs règles.
Qui le fera ? Qui peut le faire ? S'il est facile de condamner les caricatures, il reste quetoute thérapeutique comporte une part d'innovation, de non-savoir, d'erreur.L'inquiétude pointe avec l'introduction des techniques puissantes et sophistiquées que l'homme a inventé et qui luipermettent de pénétrer — peut-être transgressivement — dans un monde qui lui aurait été sinon inaccessible.
Enréalité, en face des « possibilités illimitées de la science », scandées comme un programme d'éternité, il y a lespossibilités limitées de la nature et de l'esprit humains.
Songeons un instant aux zones d'ombre qu'entourent, parexemple, les mécanismes de l'infertilité humaine, les guérisons spontanées, l'alternance de troubles physiques etpsychiques chez une même personne, les liens entre l'esprit et le cerveau...
Notre ignorance est encore grande.L'Homme n'occupe qu'une place très relative dans l'Univers ; il reste vulnérable aux phénomènes naturels quiaffectent périodiquement sa planète.
Si l'être humain peut se modifier, et toutes les variations culturelles leprouvent, il est beaucoup plus douteux qu'il puisse changer.
Nous sommes très proches des hommes du passé quiont laissé les premières oeuvres culturelles.
L'homme qui s'est formé au cours des millions d'années qu'a durél'évolution ne peut supporter sans dommage, c'est-à-dire sans trouble ou inadaptation, les changements rapidesqu'il provoque lui-même parce que ceux-ci dépassent les limites de sa capacité d'adaptation telle qu'elle s'estlentement façonnée au cours de l'évolution.
C'est l'hypothèse de Bowlby (1969) qui semble plausible.
Elle engage laquestion suivante : L'homme a-t-il le droit d'expérimenter sur lui-même ?2 / La question du droit suppose qu'il y ait capacité (être capable de) et possibilité, c'est-à-dire faisabilité.
Dès lors,certains se conforment aux lois existantes, d'autres les transgressent.
En cas de « vide juridique » ou pré tendu tel,quelques-uns font régner leur loi tandis que d'autres s'autonomisent en créant des normes auxquelles ils sesoumettent.
L'anarchie actuelle peut expliquer l'appel pathétique et ambigu au droit, comme s'il pouvait répondre àla question précédente, qui est celle du désir qu'il aurait en quelque sorte fonction de légitimer.
Ainsi, au désir dechercher répondrait le droit à l'investigation, au désir de savoir le droit à l'information.
Des désirs se font mêmepasser pour des droits, comme ce fameux « droit à la parentalité », qui n'est pas un droit, pour personne, mais laréalisation d'un désir.Cependant, le brouillage a atteint toute la société.
Des droits fantaisistes circulent, comme le droit à l'enfant ou à lasanté, alors que seul existe le droit aux soins et que c'est l'enfant qui a des droits.
La confusion engendre lacontradiction : on exhume des morts au nom du droit de l'enfant à connaître son père et on autorise le don desperme anonyme ; on signe la Convention internationale des droits de l'enfant (1990) dont le préambule indique quel'épanouissement de sa personnalité exige la vie dans un milieu familial, et l'on avalise simultanément le choix de lamaternité célibataire qui s'accompagne parfois d'un rejet violent du père.
Certains psychanalystes, pointilleux surl'importance de la sexualité et la fonction symbolique des repères générationnels, soutiennent des positions niant ladifférence des sexes, justifient l'anonymat des donneurs.
Un député' soutient l'idée d'une pluriparentalité – soitl'éclatement de la parentalité : mère génitrice, mère porteuse, mère éducatrice, de même pour les pères.
Le modèledit « naturaliste » qui est celui d'un homme et d'une femme qui procréent et élèvent ensemble leurs enfants,largement majoritaire, en devient presque suspect.
Dans ce brouillage, l'appel au droit paraît s'imposer.Mais le droit n'est que le droit, c'est-à-dire « un système de normes qui règle la conduite d'êtres humains, et lanotion de "norme" contient l'idée qu'un homme "doit" se conduire d'une certaine façon », écrit Marcela Iacube(1998), en réponse à ceux qui veulent faire jouer au droit un autre rôle comme, par exemple, celui d'être un ordresymbolique donnant signification aux sociétés humaines ou structurant psychiquement les individus.
Le droit neconstitue pas une référence pour l'homme désorienté ou désaffilié.
Il laisse intacte la question de l'être.
Le droitrègle les conduites mais n'a pas pour fonction d'éclairer les consciences, même si, écrit-elle, il peut le faireindirectement par les significations qu'il produit du fait des contraintes qu'il impose.Cet affichage contemporain du droit et des droits évoque une quête de légitimité.
Peut-être parce que l'énoncé deces droits n'est pas pondéré par celui des devoirs qui y sont liés.
Peut-être aussi parce que les systèmes juridiquesne sont ni universels, ni transcendants : interdit en deçà des Flandres, permis au-delà ; une femme recevra desovocytes d'une donneuse à Bruxelles puisque c'est interdit à Paris.
Où est le problème ? Du côté du droit ou du côtédu don d'ovocytes ? L'énoncé net et plat d'un système de règles résout-il la question du sens ou des valeurs ? Etpourrions-nous choisir entre la chaleur de la solidarité humaine (le don d'ovocytes) et la grandeur du renoncement(l'acceptation de l'infertilité) ?3 / La question de l'expérimentabilité de l'humain n'est donc pas résolue par la mise en place d'une législation.
Il vafalloir trouver une légitimation interne, celle qui pourrait se fonder sur une certaine idée de l'humain.
L'humain,définissent les dictionnaires, c'est « ce qui est propre à l'homme, ce qui réalise la nature humaine, dans ce qu'elle ad'essentiel et d'universel », avec, pour antonymes : artificiel, inhumain, surhumain.
L'expérimentable concerne-t-il la transplantation d'organes permettant de sauver, au moins provisoirement, une viehumaine ? L'invention des concepts et méthodes qui ont permis de décrypter le génome humain ? La possibilité de.
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