Peut-on être libre sans le savoir ?
Publié le 05/03/2005
Extrait du document
Le premier problème que nous rencontrons est celui du bien-fondé de la différence (implicite dans le sujet) entre une liberté véritable et une liberté seulement illusoire : sur le plan de l’action, il semble en effet qu’il n’y ait pas de différence entre ces deux types de liberté.
I – Faut-il différencier une liberté illusoire d’une liberté véritable ?
Un second problème se pose : que la différence évoquée ci-dessus soit légitime ou non, où trouver la preuve qui fondera notre simple croyance en la liberté en un véritable savoir de sa réalité ?
II – Peut-on prouver qu’on est libre ?
«
Transition :
Il est donc nécessaire de différencier la liberté véritable d'une liberté illusoire pour maintenir l'idée de responsabilité,sans laquelle aucune éthique n'est possible (du moins dans une perspective kantienne).
Celui qui a été mis devantses responsabilités sait qu'il est libre.
Du moins le ressent-il.
Il s'agit maintenant de déterminer s'il s'agit bien d'un savoir, c'est-à-dire d'une connaissance fondée par une preuve.
II – Peut-on prouver qu'on est libre ?
Référence : Fichte, système de l'éthique (édition PUF pp.
31-32)
« Que le vouloir apparaisse comme absolu, c'est un fait de la conscience ; chacun le trouvera en soi, et à celui qui ne le sait pas déjà, on ne peut pas l'introduire de l'extérieur.
Toutefois, il n'en résulte pas qu'il soit interdit depousser plus loin l'explication de ce phénomène et de le déduire ; ce faisant, ce serait l'absoluité même de cephénomène qui serait expliquée, et elle cesserait donc d'être absoluité, et son phénomène se transformerait enapparence [...].
Sans doute, personne ne sera jamais capable de donner une telle explication du vouloir à partir dequelque chose d'autre ni d'apporter à cet effet le moindre mot qui puisse être compris.
Si toutefois quelqu'un affirmeque ce vouloir pourrait malgré tout avoir un fondement, à vrai dire incompréhensible en dehors de nous, une telleexplication n'a certes pas la moindre raison en sa faveur, mais sur le plan théorique, il n'y a pas non plus d'argumentrationnel à lui opposer.
Si donc on se décide cependant à ne pas pousser plus loin l'explication de ce phénomène età le tenir pour absolument explicable, c'est-à-dire pour une vérité et pour notre unique vérité, vérité d'après laquelletoute autre vérité doit être critiquée et jugée – décision qui est précisément celle sur laquelle toute notre philosophie est construite – c'est par suite non une évidence théorique, mais un intérêt pratique : je veux être autonome, c'est pourquoi je me tiens comme tel.
Or un tel acte de tenir pour vrai est une croyance .
Notre philosophie part donc d'une croyance et elle le sait.
Le dogmatisme lui-même, qui, s'il est conséquent, affirme ceque nous avons dit, part aussi d'une croyance (à l'existence de choses en soi).
Seulement d'ordinaire, il ne le saitpas.
Dans notre système, on fait de soi-même la base de la philosophie, et c'est pourquoi elle apparaît commedépourvue de base à celui qui est incapable d'accomplir cet acte.
»
Fichte montre qu'on ne peut pas démontrer la réalité de la liberté, mais qu'on ne peut pas non plus la réfuter.
Noussommes obligés de nous en tenir au fait que nous semblons être libres.
Être libre procède donc d'une décision (philosophique et pratique).
A nouveau nous sommes implicitement reconduit à l'idée de responsabilité : si nous nedécidons pas d'être libres, alors il est impossible de fonder une quelconque responsabilité, et par conséquent uneéthique.
C'est pourquoi Fichte écrit que le choix de la liberté (contre le déterminisme absolu) possède « non uneévidence théorique, mais un intérêt pratique ».
Cet intérêt pratique est comme on l'a remarqué la possibilité del'éthique.
Transition :
Dans cette perspective, on peut bien être libre sans le savoir.
Plus précisément, il est impossible de savoir qu'on estlibre.
En revanche, on ne peut pas être libre sans le décider.
Toute liberté qui tente de se fonder, c'est-à-dire, dese savoir, devient pétition de principe.
Ne faut-il pas alors disqualifier la question même du savoir de la liberté ?
III – Nietzsche par delà déterminisme et libre arbitre :
Référence : Nietzsche, par delà le bien et le mal
« La causa sui est la plus belle contradiction interne qui ait jamais étéinventée, une sorte de viol et d'attentat à la logique.
Mais l'orgueilextravagant de l'homme l'a conduit à s'empêtrer de plus en plus dans lesprofondeurs redoutables de cette absurdité.
Le désir du "libre-arbitre",entendu au sens superlatif et métaphysique qui règne encore,malheureusement, dans les cerveaux à demi cultivés, le besoin de porterl'entière et ultime responsabilité de ses actes et d'en décharger Dieu, lemonde, l'hérédité, le hasard, la société, n'est en effet rien de moins que lebesoin d'être soi-même cette causa sui.
Plus hardi que le baron de Crac, ontente de se saisir soi-même aux cheveux pour se tirer du marécage du néantet se hisser enfin dans l'existence.
Et si quelqu'un venait à éventer la niaiserusticité de ce fameux concept du "libre-arbitre", au point de le rayer de sonesprit, je le prierais de faire un pas de plus dans la voie des "lumières" etd'effacer aussi de son cerveau le contraire de ce pseudo concept, je veuxdire le "serf arbitre" qui aboutit à un même abus des notions de cause etd'effet.
Il ne faut pas concrétiser la "cause" et "l'effet", comme le font à tort les savants naturalistes, et tous ceux qui comme eux pensent en termes de nature, en se conformant à la balourdise dumécanisme régnant, qui imagine la cause comme un piston qui pèse et pousse jusqu'au moment où l'effet est obtenu; il ne faut user de la "cause" et de "l'effet" que comme de purs concepts, c'est-à-dire comme de fictionsconventionnelles qui servent à désigner, à se mettre d'accord nullement à expliquer quoi que ce soit.
Dans "l'en-soi"il n'y a nulle trace de "lien-causal", de "nécessité", de "déterminisme psychologique" ; "l'effet" n'y suit pas la "cause",.
»
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