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Peut-on être libre en restant fidèle ?

Publié le 25/01/2004

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► 2. Rester fidèle à ce qu'on reconnaît être une erreur provient d'une obstination, qui est libre au sens d'un libre choix, mais non au sens de la «liberté morale« (ci-dessus, sujet 1), ni même de la liberté joyeuse, créatrice, décrite par Aristote, Spinoza Bergson. Renan a cru un jour que sa croyance primitive reposait sur des erreurs, mais il remplacera terme à terme les objets de ses élans émotifs de catholique par les objets de la mythologie grecque (Prière sur l'Acropole, où il va jusqu'à dire à la déesse Athéna ce que saint Augustin disait à Dieu : «Tard je t'ai connue, beauté parfaite« ; et même : «O Salutaire, aide-moi, ô toi qui sauves !... «).Aussi affirmera-t-il sa propre fidélité envers lui-même : «J'ai très peu changé« (Souvenirs d'enfance et de jeunesse).Qu'est-ce donc que la fidélité à soi-même? Pour Renan, c'est la jouissance romantique d'émotions, d'abord tournée vers des entités religieuses, ensuite vers la science et même vers des représentations mythologiques. Souvent la fidélité à soi-même domine facilement la crainte de changer ses croyances : il est plus rare de se remettre en question soi-même que de renoncer à ce qu'on appelle «idées «, et qui ne sont qu'opinions, au sens que Platon donnait à ce mot (croyances adoptées par entraînement, alors que la vérité est saisie par l'esprit). En effet, si l'on a vu (intellectuellement) ce qui est vraiment, on sait en même temps qu'on ne le possède pas comme quelque chose que l'on pourrait alors changer contre autre chose : «Aller au vrai de toute son âme« (Platon) c'est se donner soi-même à l'être ainsi connu, quoi qu'il en coûte. La fidélité à soi-même, qui conduit à remettre en question ses opinions, ses désirs, et même son mode de vie, pose le problème de la vérité : quel est le vrai soi-même ?

  • I) On peut être à la fois fidèle et libre.

a) Toute liberté renvoie à la volonté. b) Tout homme est libre d'être fidèle. c) L'esprit est fidèle à lui-même.

  • II) On ne peut pas être libre et fidèle.

a) La fidélité contredit la liberté. b) La fidélité contredit notre puissance créatrice. c) La fidélité peut se transformer en fanatisme.

.../...

« 3.

A cela une réponse est parfois apportée : il faut se faire violence, se contraindre à la fidélité.

On pourrait direde même pour le «fidèle» d'une religion dont l'ardeur se refroidit.

C'est le lieu de rappeler la maxime de LaRochefoucauld : «La violence qu'on se fait pour demeurer fidèle à ce qu'on aime ne vaut guère mieux qu'uneinfidélité.» Oserait-on avouer cette violence? Aime-t-on vraiment encore? Ferait-on part à cet être de l'état de sessentiments à son égard ? Maintenir une apparence, c'est aussi tromper.

Celui qui «pratique» une religion parce qu'ilconserve une appartenance sociologique est-il réellement un « fidèle » ? 2.

Liberté et infidélité 1.

Si être fidèle c'est avoir peur de changer, persister obstinément dans une attitude passée, que l'onn'adopterait plus aujourd'hui, c'est effectivement aliéner sa liberté ; pourra-t-on s'y maintenir ?Quand il s'agit d'opinions (politiques, religieuses) on peut craindre que la remise en question ne fasse perdre unesécurité, qui est d'ordre social, et non intime.

Mais se contraindre à aimer quelqu'un pour qui on n'a plus desentiment est une situation doublement fausse : d'abord parce qu'il est contradictoire d'être dans l'obligation d'aimer(Kant ; voir sujet 1) ; ensuite parce que la personne concernée sentira que l'on se fait violence : mille petits détailsquotidiens la peineront et lui ouvriront les yeux.

Que se passera-t-il? Le soupçon va se lever peu à peu.

Au XVIIesiècle un auteur d'épigrammes, Antoine Louis Le Brun, disait : Un soupçon d'infidélitéFait quelquefois une infidèle. Il faudrait ajouter que si le soupçon naît dans une âme, l'autre l'ayant ressenti, devenant infidèle, fera naître unsoupçon réciproque...

Double soupçon ! Alors, le penseur moderne dépassera l'ancien constat de Le Brun pour dire :« Libérez-vous donc!».Au nom de l'existentialisme, on entend ainsi souvent affirmer que la liberté n'est possible que si aucun engagementn'est pris «pour toujours ».

La fidélité serait soit le contraire de la liberté, soit le masque qui cacherait une mauvaisefoi profonde. 2.

Le mot latin fidelitas a pour racine fides, qui signifie foi.

La Rochefoucauld décelait une «infidélité» profondedans la violence qu'on s'impose pour rester fidèle.

Aujourd'hui, on dirait «mauvaise foi ». Dans L'Être et le néant, Sartre introduit cette notion de «mauvaise foi»: elleest «essentielle à la réalité humaine », comme une négation inévitabletournée vers soi (Ie partie, chap.

2) ; la conscience, n'étant pas une chose,«néantise » et «se néantise» (« néantiser» : pouvoir nier même ce que l'onpose).

Le premier exemple qu'il prend est significatif pour la notion de fidélité ;il s'agit d'une femme «qui s'est rendue à un premier rendez-vous» ; ellen'ignore pas ce qui est en jeu ; cependant, elle «refuse de saisir le désir pource qu'il est (...) Mais, voici qu'on lui prend la main...

».

Sartre la décrit faisantsemblant de ne pas s'en apercevoir, tournant son attention vers autrechose...

«Nous disons que cette femme est de mauvaise foi.

» Son présentrefuse de penser à l'avenir...

De cette analyse, Sartre conclura que, si la«bonne foi» est une vaine recherche d'être comme 1«< en-soi » (inerte etimmuable comme une chose), la mauvaise foi témoigne du risque permanentinhérent à la conscience, parce qu'« elle est ce qu'elle n'est pas et n'est pasce qu'elle est »,sa liberté étant absolue ; Sartre exprime aussi cette condition humaine endisant que «l'existence précède l'essence », l'essence (la nature de ce qu'onest ici et maintenant) pouvant toujours être remise en question : «Pour laréalité humaine il n'y a pas de différence entre exister et se choisir» (ibid., 4epartie, chap.

2).

La toute-puissance du choix étant la condition fondamentale(au sens d'origine, de principe) de l'homme, elle conduit inévitablement à lamauvaise foi : impossible de s'engager pour l'avenir, puisqu'on ne peut pas renoncer à cette puissance.

Sartre décrit la «femme au rendez-vous» s'enfermant dans l'instant, ne voulant paspenser à ce qui va arriver.

Quand on lit le texte, on constate que cette femme «tombe» soudain dans cetterencontre : on ne sait rien d'elle, elle n'a ni passé, ni relations personnelles ; la description souligne le fait qu'il n'y apas d'avenir pour elle.

Elle est réduite à l'instant présent.La conscience étant pur pouvoir de choix, tout instant est arraché de la durée vivante de l'existence : il est unpoint géométrique.

Il ne peut pas y avoir de fidélité ; aussi toute prétendue «foi» est-elle en réalité «mauvaise foi ».Que reste-t-il à l'être humain? Tenir des rôles, qu'il peut toujours changer.

Dans Les mots, Sartre se reconnaîtcomme étant dès l'origine simulateur : il a tenu des rôles.

Pour reprendre le célèbre exemple du «garçon de café »,qui suit celui de la «femme au rendez-vous », cet homme n'est pas garçon de café, il en joue le rôle : «Il joue à êtregarçon de café» (p.

99).

De même, Sartre a joué à être Sartre ! (p.

99-100). 3.

La notion sartrienne de toute-puissante liberté n'est pas conforme à notre expérience réelle : dans l'instant duserment d'amour il y a rarement «mauvaise foi », présence effective du pouvoir de «néantiser» ce qui se passe.

Etmême, quand on est dans la forme suprême du «pour toujours» (qui rime avec «amour ») on vit une fusionpassionnelle : à ce moment les amants sont si absolument unis qu'ils peuvent reprendre l'exclamation de Saint-Preux: «O mourons, ma douce amie ! Mourons la bien-aimée de mon coeur ! » (La Nouvelle Héloïse, I, lettre 55) ; plus. »

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