Peut-on être heureux sans le savoir
Publié le 16/10/2022
Extrait du document
«
Le bonheur, étymologiquement « évènement bon qui m’advient », est cependant
défini comme un état de satisfaction profond et durable qui peut ressembler à une paix
intérieure, une réconciliation ou encore à un dynamisme de vie.
Comment un terme aussi
important pour l’Homme peut-il ainsi trouver des définitions presque opposées ? Si le
bonheur semble être un objectif universel, la conception que l’on se fait de celui-ci varie
énormément en fonction des individus.
Le savoir soit l’idée d’être au courant des choses ou posséder des connaissances, fait
aussi l’objet d’une des quêtes majeures de l’humanité.
On en vient donc à se questionner
sur la corrélation entre ces deux piliers de l’espèce humaine : Est-il possible d’atteindre
l’un sans autre, c’est-à-dire peut-on être heureux sans le savoir ?
Pour répondre à cette question il est nécessaire d’étudier le problème de plusieurs points
de vue.
Le savoir peut-être considéré comme la conscience, mais cette conscience a-t-elle
un rôle à jouer dans la recherche du bonheur ? Il peut aussi signifier posséder des
connaissances, dans ce cas, ces connaissances ne sont-elles pas néfastes à l’atteinte
d’un état de bonheur ? Ou au contraire ne lui sont-elles pas absolument nécessaires ?
Nous considérerons dans un premier temps dans l'expression « Peut-on être
heureux sans le savoir », le terme ‘savoir’ comme un verbe, qui signifierait alors ici être au
courant de, être informé de l'existence de quelque chose.
Nous pouvons alors interpréter
le sujet d’une telle façon ; Serait-il possible d’être heureux, sans en avoir conscience ? La
conscience étant définie comme « avoir la pleine connaissance de quelque chose ».
Nous
allons pour tenter de répondre à cette question, baser notre réflexion sur l’exemple de
Julien Sorel, héros de l’œuvre Le rouge et le Noir de Stendhal.
A l’aube de son salut, alors
qu'il s’attelle à faire le bilan de l’entièreté de sa vie, Julien prend alors conscience qu’il a
sacrifié ses jours heureux pour son ambition.
Cette réalisation suppose qu’il est donc
effectivement possible d’être heureux sans le savoir.
En effet, il compte qu'il était en fait
empli de bonheur lorsqu’il était aux côtés de madame de Rénal, et regrette amèrement
son temps passé à Verrières.
Notre héros n’avait donc pas, pendant tout le temps durant
lequel il a côtoyé madame de Rénal, -relativement long d'ailleurs, ce qui appuie le fait que
ce qu’il vivait à cette époque était un sentiment de bonheur, puisqu'il était durable-, pris
conscience de son état.
Cela implique qu’il n’est pas nécessaire, pour être heureux, de
savoir que le bonheur est bien présent.
S’il semble qu’il n’est pas nécessaire d’être conscient de notre bonheur, on peut
alors étirer notre raisonnement pour aller jusqu’à émettre l’hypothèse qu’il est même
nécessaire de ne pas le savoir.
Nous nous appuierons ici sur les écrits de Nietzsche dans
Considérations inactuelles.
Le philosophe entend dans ce texte, que l’obstacle principal de
l’homme à l’accès à son bonheur serait en fait son incapacité à oublier, à délaisser sa
capacité de pleine conscience.
Il écrit notamment « Observe le troupeau […] étroitement
attaché par son plaisir et son déplaisir au piquet de l’instant.
».
Ici, les animaux sont, selon
Nietzsche, heureux car ils ne sont pas conscients.
Ils n’ont la pleine connaissance de rien,
et donc ne peuvent avoir conscience de leur propre bonheur.
La seule chose qui les
importe est en fait l’instant présent, et la satisfaction de leurs instincts primaires durant
celui-ci.
Les animaux semblent donc tout à fait en capacité d’être heureux sans même le
savoir.
Par l’abandon de leur conscience, ils atteignent un état de satisfaction pur.
Mais
cette nécessité « d’oublier » pour atteindre le bonheur est-elle applicable à l’homme ?
D’après Nietzsche, absolument.
En effet, le philosophe affirme par la suite que le bonheur
n’est accessible que d’une façon : « il est toujours une chose par laquelle le bonheur
devient le bonheur : la faculté d’oublier ».
Si l’homme est trop conscient de ce qu’il est, de
ce qu’il ressent, de ce qu’il désire, il ne pourra être heureux.
Il est alors naturel de dire que
l’on peut être heureux sans le savoir, car si pour être heureux, l’on doit « oublier »,
abandonner notre conscience, il est alors évident que nous ne saurons pas que nous
sommes heureux.
Cependant, le bonheur est soumis à des caractéristiques précises, qui semble tout
à fait incompatibles avec l’inconscience.
En effet, nous avons défini précédemment le
bonheur comme un état de satisfaction profond et durable qui peut ressembler à une paix
intérieure, une réconciliation ou encore à un dynamisme de vie.
Cet état de satisfaction
implique que pour être heureux le sujet a assouvi tous ses besoins et désirs.
Or, comment
peut-on même satisfaire un désir dont nous n’avons pas conscience ? Le « bonheur »
évoqué par Nietzsche serait alors uniquement illusoire et l’absence de conscience serait
donc un obstacle majeur à l’atteinte du bonheur.
L’exemple fourni dans le premier
paragraphe semble aussi présenter des défaillances.
Effectivement, il va de soi que pour
en venir à fantasmer sur un « bonheur » perdu, il faut se trouver dans un état de malheur
profond.
On définit le malheur comme un état de déracinement total.
Il semble donc
normal qu’un homme sombrant dans un état si terrible tente de retrouver une certaine
stabilité à tout prix et en vienne par extension à confondre un réel bonheur et de simples
plaisirs auxquels il ne peut plus goûter.
Le bonheur tel que nous l’avons défini semble
uniquement accessible que si l’on a conscience de celui-ci, ou du moins ne peut être
qualifié de bonheur que dans ce cas.
Le savoir semblerait alors sous certains aspects
nécessaires au bonheur.
Au vu des arguments utilisés, il semble impossible de répondre
de manière claire à la question posée.
On peut par conséquent dire que cette approche
nous mène à une aporie et qu’il est nécessaire de se pencher sur un nouveau point de
vue.
Si maintenant nous interprétons le sujet grâce une autre définition du savoir, soit
comme la connaissance, ou comme la recherche d’une vérité, quelconque soit elle, on en
vient au questionnement « Peut-on être heureux sans avoir de connaissances ? ».
On
pourrait alors tout à fait imaginer qu’il est possible d’atteindre le bonheur en l’absence de
savoir.
On peut pour appuyer cette idée reprendre « L'allégorie de la caverne » de Platon,
qui met en scène des hommes enchaînés dans une sorte de grotte, dos à l'entrée, qui ne
voient que leurs ombres et celles d'objets derrière eux.
Cette conception expose
métaphoriquement la pénible accession des hommes à la connaissance de la réalité, les
images projetées représentant les illusions des hommes, et la lumière extérieure à
l’inverse, la connaissance.
Ces hommes, malgré une absence de connaissances semblent
vivre de façon tout à fait épanouie, et l’on pourrait aller jusqu’à dire qu’ils sont heureux
sans savoir.
Il est par ailleurs acquis dans cette théorie que si l’on enlève les chaînes de
l’un des hommes, et qu’on le tire de force vers la sortie, il souffrira terriblement, non
habitué à la lumière de la vérité, ayant passé sa vie dans l’obscurité réconfortante des
mensonges.
On peut même imaginer que la plupart des hommes seraient incapable de
résister à la violence de ce changement.
Ainsi on se doit de se demander si les hommes
du fond de la caverne, quand bien même enchaînés à un bonheur illusoire, ne sont pas
bien plus épanouis, plus heureux, que celui qui s’obstine à vouloir faire face à la lumière
du jour.
Si l’on poursuit dans ce sens, il paraît évident que la recherche d’un savoir, d’une
vérité, n’est synonyme qu’en fait de grand fleuve de douleur, et que l’ignorance, au
contraire, est la meilleure voie vers une paix intérieure.
Si l’on approfondi ce qui précède, on pourrait dire qu’il peut peut-être devenir
même nécessaire d’abandonner la recherche de vérité pour trouver le bonheur.
Comme
évoqué précédemment, la recherche de savoir, pourrait n’être en fait qu’un long fleuve de
douleur.
La réponse à la question posée serait donc alors indubitablement positive.
Si l’on
considère que notre bonheur se trouve dans l’atteinte du savoir parfait, nous sommes
condamnés à un état d’insatisfaction éternel, c’est-à-dire damné à ne jamais atteindre le
bonheur.
En effet la quête de la vérité absolue est vaine.
Socrate lui-même affirmait « Tout
ce que je sais c’est que je ne sais rien ».
Le philosophe entendait par cette citation que
l’homme ne peut accéder à la vérité puisque sa perception du monde et de lui-même
déforme la réalité.
Ce qui reviendrait alors à dire que oui, l’on peut être heureux sans
savoir, puisqu'il est en fait impossible d’atteindre cet état grâce....
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