Peut-on et comment dénir la « religion » ?
Publié le 21/04/2024
Extrait du document
«
Religion
I-
Peut-on et comment dénir la « religion » ?
Dénir le mot « religion », de façon rigoureuse soulÚve une diculté majeure :
elle nâest pas un phĂ©nomĂšne naturel, mais culturel.
Il y a donc autant de religions quâil
y a de cultures.
Comme élément culturel, elle est indissociable des autres aspects de
la culture dâun peuple.
On distingue les religions monothéistes dites du livre (le christianisme, le
judaĂŻsme, lâislam) qui considĂšrent la religion comme Ă©tant la croyance en un dieu
crĂ©ateur de la terre et des ĂȘtres vivants.
On peut reprocher à cette dénition
dâexclure les religions animistes qui peuplent la nature dâesprits, bienfaisants ou
malfaisants, des religions qui vouent des cultes à des créatures de la nature.
Elle
écarte également les nombreuses religions polythéistes ou le panthéisme qui
considĂšre que dieu existe, immanent au monde et non transcendant 1.
Etymologiquement, lâorigine du mot « religion » revĂȘt deux sens : dâune part, le
mot, signiant « relier », donne lâidĂ©e dâun lien, celui qui unit des hommes entre eux
autour de croyances communes, et celui qui sâĂ©tablit entre ces hommes et leur
divinité par le culte qui lui est rendu.
Dâautre part, le mot a le sens de « rassembler »,
« redoubler dâattention », sens que lâon retrouve quand on dit que lâon rĂ©alise quelque
chose religieusement, c'est-Ă -dire avec un soin extrĂȘme et le plus grand respect.
Ces deux pistes étymologiques nous révÚlent le double aspect de toute religion :
elle est, tout à la fois, un ensemble de pratiques rituelles qui se déploient lors des
cĂ©rĂ©monies dans les lieux sacrĂ©s, et une croyance spirituelle, expression dâune foi
intime.
Les raisons profondes dâune croyance sont toutes subjectives, mais la
rĂ©fĂ©rence Ă un Dieu sâexprime dans les pratiques collectives, des cĂ©rĂ©monies, des
rites, des fĂȘtes, et des rĂšgles de conduite marquĂ©es tout autant par des
recommandations (5 priÚres par jour chez le musulman) que par des interdits (« Tu ne
tueras point »)
Au fondement des religions, des mythes qui sont des discours sacrés qui
racontent plus quâils nâexpliquent lâorigine du monde (le mythe biblique de la crĂ©ation
du monde).
Ils rendent compte de la condition humaine en donnant des rĂ©ponses Ă
des questions fondamentales portant, par exemple, sur le sens de la sou7rance ou de
la mort.
Ces récits symboliques assurent la cohésion des croyants qui y trouvent une
justication Ă lâordre du monde.
Conception de la religion selon certains philosophes
Henri BERGSON : « Lâhomme sait quâil mourra, Ă©crit le philosophe Henri Bergson,
dans Les deux sources de la morale et de la religion⊠Constatant que tout ce qui vit
autour de lui nit par mourir, il est convaincu quâil mourra lui-mĂȘme ».
Pour Bergson,
1
Est « transcendant » ce qui est supérieur, plus grand.
Les religions monothéistes attribuent la
transcendance Ă Dieu (qui sâĂ©crit par consĂ©quent avec D majuscule).
Ce qui signie que Dieu Ă©tant
dâune autre nature que celle des hommes, il leur est absolument extĂ©rieur, supĂ©rieur et antĂ©rieur.
Immanent sâoppose Ă transcendant comme intĂ©rieur sâoppose Ă extĂ©rieur.
Dans les religions
panthĂ©istes, Dieu nâest pas transcendant, mais immanent au monde quâil nâa pas crĂ©Ă© : Ă©tant partout, il
se confond avec ce monde.
cette conscience de la mort explique lâorigine de la religion qui est au nal une
réaction contre la pensée de la mort.
« A lâidĂ©e que la mort est inĂ©vitable, poursuit
Bergson, elle oppose lâimage dâune continuation de la vie aprĂšs la mort ».
La religion
se prĂ©sente donc comme le moyen utilisĂ© par lâhomme pour dĂ©passer la mort.
Emile DURKHEIM : Selon le philosophe et sociologue Emile Durkheim, « une
religion est un systĂšme solidaire de croyances et de pratiques relatives Ă des choses
sacrées, c'est-à -dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une
mĂȘme communautĂ© morale, appelĂ©e Eglise, tous ceux qui y adhĂšrent »2 DâaprĂšs cette
dénition, croyances et pratiques sont complémentaires.
On ne peut concevoir une
religion qui ne serait que croyance sans pratique, et vice-versa.
Karl Marx : Ce qui importe pour Marx, ce nâest pas une philosophie qui
« interprÚte » le monde, mais qui le transforme.
La religion, dans cette perspective,
est pour lui un obstacle politique : elle constitue une « idéologie » qui favorise le
renoncement et qui empĂȘche lâaction.
Elle aliĂšne lâhomme en ce sens oĂč, dans sa
relation Ă lui-mĂȘme, elle le prive de ses facultĂ©s devenant ainsi Ă©tranger Ă lui-mĂȘme.
La religion est une illusion produite par la détresse et la crédulité.
Elle « est le soupir
de la crĂ©ature opprimĂ©e, la chaleur dâun monde sans cĆur⊠Elle est lâopium du
peuple3.
Abolir la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, câest exiger son
bonheur rĂ©el »4 La position de Karl Marx est claire : lâhomme doit sâa7ranchir de la
religion pour progresser dans ses actions et dans ses pensées.
Remarque :
Le fait religieux est universel : il nâest pas une sociĂ©tĂ© oĂč lâon ne puisse
observer, sous une forme ou sous une autre, une expression de la vie
religieuse.
Partout, les hommes Ă©prouvent le dĂ©sir de croire, parce quâil y a
des questions auxquelles ils nâont pas de rĂ©ponse.
« Il nây a donc pas au
fond, Ă©crit Emile Durkheim, de religions qui soient fausses.
Toutes sont
vraies Ă leur façon : toutes rĂ©pondent, quoique de di/Ă©rentes maniĂšres, Ă
des conditions donnĂ©es de lâexistence humaine »5
II-
Religion et vérité ; religion et science ; religion et raison
Peut-on prouver la vĂ©ritĂ© dâune religion ? Quelle diffĂ©rence y a-t-il entre
vĂ©ritĂ© dâordre religieux et vĂ©ritĂ© scientifique ? Peut-on opposer science et
religion ? La religion est-elle un obstacle Ă lâexercice de la raison ? Religion
et raison : un rapport de rivalité ?
2
Les formes élémentaires de la vie religieuse, 1912
Ce concept chez Marx désigne la religion qui permet au peuple de se réconforter.
Parce quâelle
conforte le pauvre dans sa pauvretĂ©, la religion bloque le passage Ă lâaction.
Elle est le garant du statu
quo.
Par le terme dâopium, Marx dĂ©nonce lâe7et anesthĂ©siant de la religion qui est une force de
lâaliĂ©nation.
Lâopium est une drogue, un stupĂ©ant qui a une fonction analgĂ©sique c'est-Ă -dire qui
soulage la douleur.
4
Karl Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel, Intro., Etudes philosophiques, in F.
Engels, K.
Marx, Etudes philosophiques, Etudes sociales, 1974.
5
Ibidem
3
Il y a de nombreux dĂ©bats ây compris Ă lâintĂ©rieur des religions elles-mĂȘmes- sur les
relations entre la religion et la raison.
Certains ont marquĂ© lâhistoire de la philosophie,
comme la question des preuves de lâexistence de Dieu dans les trois monothĂ©ismes
(Anselme, AverroĂšs).
Dieu peut-il ĂȘtre objet dâune connaissance rationnelle ? Ou estce par dâautres facultĂ©s que lâon peut le rencontrer ? (Pascal) Dieu nâest-il connu que
par une révélation et par des textes sacrés ou peut-on le connaßtre par le sentiment
naturel (Rousseau).
ï· St Anselme de CantorbĂ©ry (1034-1109) : JusquâoĂč peut-on faire des
démonstrations quand on sort du champ mathématique ? En tout cas, St
Anselme a eu lâambition de prouver lâexistence de Dieu par la raison et de
maniÚre déductive.
Câest ce quâon a appelĂ© la preuve ontologique de lâexistence
de Dieu.
Dieu est « quelque chose dont on ne peut rien concevoir de plus
grand ».
MĂȘme lâinsensĂ© comprend cela dans son intelligence.
Ce « quelque
chose » existe non seulement dans notre intelligence, mais aussi dans la réalité.
ï· AverroĂšs (1126-1198) : Philosophe arabe du Moyen-Age, AverroĂšs construit
une connaissance rationnelle de Dieu qui sâaccorde Ă la rĂ©vĂ©lation.
Pour lui, la
philosophie a le droit de participer Ă lâĂ©tude des textes sacrĂ©s et religieux.
AverroĂšs cherche Ă concilier la foi et la raison, voies qui seraient
complémentaires pour connaßtre Dieu.
Il pense que la raison logique peut ĂȘtre
utilisée, en accord avec le Coran, pour connaßtre Dieu à partir de ses créatures.
Dans lâexposition philosophique du problĂšme, AverroĂšs a recours Ă une
analogie : Dieu est comparĂ© Ă un Artisan (Etre suprĂȘme) qui fabrique des
rĂ©alitĂ©s naturelles (Ă©tants), comme lâhomme fabrique des objets (artefacts).
AverroĂšs conclut son raisonnement ainsi : il est obligatoire de raisonner Ă partir
des créatures pour connaßtre le créateur.
La philosophie et le raisonnement
logique sont utiles pour connaĂźtre Dieu.
ï· Blaise Pascal (1623-1662) : « Câest le cĆur qui sent Dieu et non la raison.
VoilĂ ce que câest que la foi, dit Pascal.
Dieu sensible au cĆur, non Ă la raison.
Le cĆur a ses raisons que la raison ne connaĂźt point ; on le sait en mille
choses » (fragment 424, éd.
Lafuma.
Pour Pascal, il existe des vérités qui
Ă©chappent Ă la raison et qui relĂšvent de lâintuition, du sentiment, de la foi.
« La
derniĂšre dĂ©marche de la raison est de reconnaĂźtre, dâaprĂšs Pascal, quâil y a une
innité de choses qui la surpassent.
Câest cette partie dominante de lâhomme,
cette maĂźtresse dâerreurs et de faussetĂ©s⊠cette superbe puissance, ennemie
de la raison qui se plaĂźt Ă la contrĂŽler et Ă la dominerâŠ, Ă Ă©tablir dans lâhomme
une seconde nature....
»
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