Peut-on dire qu'il existe des passions inutiles ?
Publié le 14/12/2005
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La question « peut-on « met en jeu ou bien une capacité physique (est-on capable de ?) ou bien un droit (est-on autorisé à ?). L’objet interrogé ici, c’est l’affirmation selon laquelle « il existe des passions inutiles «. On entend par passions toute force susceptible de saisir l’homme sans que celui-ci puisse la contrôler (« passion « et « passivité « ont la même racine étymologique). Est inutile ce qui ne sert à rien. L’objet de cette inutilité est ici l’homme, sa pensée, les processus dans lesquels il est pris. On peut considérer comme inutile ce qui n’aide aucun processus à avancer ; mais ne pourrait-il pas exister une utilité paradoxale, au sens où on pourrait s’appuyer sur un objet qui nous est inutile pour le repousser et fonder sur cette répulsion une attitude active et constructrice ? On se demandera si l’idée même d’une inutilité des passions est fondée, en examinant les caractères prêtés aux passions ; on pourra alors décider des types d’utilité et/ou d’inutilité que l’on peut attribuer aux passions, et surtout, décider s’il existe des types de passions utiles et des types de passions inutiles, ou bien si cette utilité ou inutilité dépend de l’usage que l’on fait des passions.
«
disait Descartes, dans l'utilisation de ce dynamisme passionnel aveugle qui est tantôt inefficace, tantôt utilisé, selonle sentiment au service duquel il est et selon qu'il exclut ou intègre le discernement des valeurs.
II.
L'efficace propre aux passions
On ne peut pas nier pourtant la force de l'efficace des passions ; Hegel montre ainsi l'utilité de la force de la passiondans le processus historique.
C'est une passion d'un certain type, une passion active, constructrice.
Ce caractèreactif des passions pourrait servir de premier moyen pour distinguer passions utiles et passions inutiles.
Hegel
Dans l'histoire universelle nous avons affaire à l'Idée telle qu'elle se manifestedans l'élément de la volonté et de la liberté humaines.
Ici la volonté est labase abstraite de la liberté, mais le produit qui en résulte forme l'existenceéthique du peuple.
Le premier principe de l'Idée est l'Idée elle-même, dans sonabstraction ; l'autre principe est constitué par les passions humaines.
Lesdeux ensemble forment la trame et le fil de l'histoire universelle.
L'Idée en tantque telle est la réalité ; les passions sont le bras avec lequel elle gouverne.
Ici ou là, les hommes défendent leurs buts particuliers contre le droitgénéral ; ils agissent librement.
Mais ce qui constitue le fondement général,l'élément substantiel, le droit n'en est pas troublé.
Il en va de même pourl'ordre du monde.
Ses éléments sont d'une part les passions, de l'autre laRaison.
Les passions constituent l'élément actif.
Elles ne sont pas toujoursopposées à l'ordre éthique ; bien au contraire, elles réalisent l'Universel.
En cequi concerne la morale des passions, il est évident qu'elles n'aspirent qu'à leurpropre intérêt.
De ce côté ci, elles apparaissent comme égoïstes etmauvaises.
Or ce qui est actif est toujours individuel : dans l'action je suismoi-même, c'est mon propre but que je cherche à accomplir.
Mais ce butpeut être bon, et même universel.
L'intérêt peut être tout à fait particuliermais il ne s'ensuit pas qu'il soit opposé à l'Universel.
L'Universel doit se réaliserpar le particulier.
Nous disons donc que rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont collaboré.
Cet intérêt, nousl'appelons passion lorsque refoulant tous les autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière se projette sur unobjectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentre dans ce but ses forces et tous ses besoins.En ce sens, nous devons dire que rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion.
« RIEN DE GRAND NE S'EST ACCOMPLI DANS LE MONDE SANS PASSION .
»
La passion a souvent été méprisée comme une chose qui est plus ou moins mauvaise.
Le romantisme allemand et, en particulier, Hegel restituent à la passion toute sa grand eur.
Dans une Introduction fameuse (« La Raison dans l'histoire ») à ses « Leçons sur la philosophie de l' histoire » - publiées après sa mort à partir de manuscrits de l'auteur et de notes prises par ses auditeurs -, on peut lire (trad.
Kostas Papaioannou, coll.
10118):
« Rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont participé.
Cet intérêt nous l'appelons passion lorsque, écartant tous les autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière se projette sur un objectif avec toutesles fibres intérieures de son vouloir et concentre dans ce but ses forces et tous ses besoins.
En ce sens, nousdevons dire que rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion .
»
L'histoire est en apparence chaos et désordre.
Tout semble voué à la disparition, rien ne demeure : « Qui a contemplé les ruines de Carthage, de Palmyre, Persépolis, Rome, sans réfléchir sur la caducité des empires et deshommes, sans porter le deuil de cette vie passée puissante et riche ? Ce n'est pas comme devant la tombe desêtres qui nous furent chers, un deuil qui s'attarde aux pertes personnelles et à la caducité des fins particulières:c'est le deuil désintéressé d'une vie humaine brillante et civilisée.
»L'histoire apparaît comme cette « vallée des ossements » où nous voyons les réalisations «les plus grand es et les plus élevées rabougries et détruites par les passion s humaines », «l'autel sur lequel ont été sacrifiés le bonheur des peuples, la sagesse des États et la vertu des individus ».
Elle nous montre les hommes livrés à la frénésie despassion s, poursuivant de manière opiniâtre des petits buts égoïstes, davantage mus par leurs intérêts personnels que par l'esprit du bien.
S'il y a de quoi être triste devant un tel spectacle, faut-il, pour autant, se résigner, y voirl'œuvre du destin ? Non, car derrière l'apparence bariolée des événements se dévoile au philosophe une finalitérationnelle : l' histoire ne va pas au hasard, elle est la marche graduelle par laquelle l'Esprit parvient à sa vérité.
La Raison divine, l'Absolu doit s'aliéner dans le monde que font et défont les passion s, pour s'accomplir.
Telle est: « la tragédie que l'absolu joue éternellement avec lui-même: il s'engendre éternellement dans l'objectivité, se livre souscette figure qui est la sienne propre, à la passion et à la mort, et s'élève de ses cendres à la majesté». Ainsi, l' histoire du devenir des hommes coïncide avec l' histoire du devenir de Dieu.
Etats, peuples, héros ou grand s hommes, formes politiques et organisations économiques, arts et religions, passion s et intérêts, figurent la réalité de l'Esprit et constituent la vie même de l'absolu ..
»
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