Peut-on dire que, si les savants visent à définir les lois du réel, l'artiste, lui, ignore toute loi ?
Publié le 14/12/2005
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peut comprendre la proposition de Hegel selon laquelle l'art exprime l'« esprit d'un peuple ».
L'œuvre d'art est l'expression sensible de la conscience collective ou Espritd'un peuple (cf.
cours sur le sens de l'histoire).
L'artiste comme le grandhomme politique saisit cet Esprit et le porte à la claire conscience.
En retour,il permet à ce peuple de prendre plus clairement conscience de lui-même, desa manière de vivre, de sentir, de penser.
Par exemple, à la puissance del'esprit religieux au Moyen - Age correspond un art religieux qui représentel'humilité de l'homme devant Dieu et à cette représentation une esthétique oumanière de créer.
L'imitation fidèle de la nature n'est pas recherchée(pourquoi la rechercher puisque seul le message religieux importe ?), lesexpressions sont figées, le mouvement est absent (n'est-ce pas la meilleureimage de l'éternité ?).
L'histoire de l'art fait partie intégrante de l'histoirehumaine.
D'une part elle représente cette histoire, et elle le peut dans lajuste mesure où cette histoire est celle de l'Esprit, d'autre part l'histoire desformes et idées artistiques est une des expressions de cette histoire, histoirede l'Esprit qui se réalise progressivement dans l'histoire.
La thèse de Hegel estla suivante: toutes les manifestations culturelles d'un peuple à un momentdonné de son histoire sont les diverses manifestations dans des domainesdifférents ( politique, juridique, philosophique, artistique...) du degré dedéveloppement de l'Esprit.
Donc l'œuvre d'art est doublement inscrite dansl'histoire: par son contenu, par ses formes.
On sait toutefois qu'à s'inscrire trop fidèlement dans un courant déjà répertorié et organisé, l'artiste risque den'aboutir qu'à une production académique (cas des tragédies de Voltaire : se référant aux règles d'un genre qui n'estplus socialement nécessaire, il échappe aux demandes implicites de la mentalité de son temps, mais se condamne àne composer que des parodies).
Il est d'ailleurs notable que l'académisme guette également l'artiste lorsqu'il obéittrop servilement aux «lois» ou du moins aux exigences du pouvoir qui prétend le contrôler (cas des régimestotalitaires): c'est qu'alors la loi civile et politique entend bien interdire à l'artiste de produire sa loi propre, c'est-à-dire d'être législateur de son oeuvre.Tel est pourtant l'artiste au sens moderne : ce qui semble trop souvent n'être qu'une production débridée sinondélirante de son imaginaire est en fait la mise en place progressive d'une oeuvre qui, ignorant initialement ce qu'ellepourra être, ne peut découvrir ses propres règles qu'en cours d'élaboration.
Si l'art moderne et contemporain fontproblème (notamment par rapport au public), c'est parce qu'après avoir rompu avec toute réglementationtraditionnelle (des styles, de la hiérarchie des genres, de la composition et de la figuration, de la transmission dusavoir et du savoir-faire du maître au disciple ou à l'élève dans l'atelier), l'artiste doit inventer un système singulierdont les règles demeurent le plus souvent implicites.
Au lieu de prolonger une tradition dont les règles finissaient pardevenir ou paraître coutumières, l'artiste moderne veut innover : il brise les formes classiques (Rimbaud,Lautréamont), modifie l'espace de la représentation (l'impressionnisme) ou renonce à toute allusion au visible(Mondrian, Malevitch); il invente de nouveaux rapports sonores (École de Vienne, dodécaphonisme) en même tempsque de nouveaux matériaux (musique concrète).
Cela ne signifie aucunement qu'il fasse désormais «n'importe quoi»— bien au contraire: chaque artiste, retrouvant quelque chose de la définition kantienne du génie, organise unsystème qui ne pourra être repris tel quel et, ce faisant, expose simultanément ses oeuvres et les règles qui lessoutiennent.
L'exploration artistique, une fois balayée les règles traditionnelles, met en place un nombre indéterminéde règles singulières, dont l'application est en général limitée à une trajectoire personnelle.
Mais on aurait tort depenser qu'un invention sans contrainte s'effectue plus aisément: il semble que le contraire corresponde mieux à laréalité, et tout artiste définit les lois de son travail parce qu'il y trouve les conditions mêmes de sa productivité (voirpar exemples les travaux littéraires de l'Oulipo).
L'artiste «ignore» les lois précises du savant parce qu'il est son premier législateur.
Ce faisant, il donne à la formulekantienne du beau comme « symbole de la moralité » une actualité permanente: en travaillant selon des lois propres,il synthétise ses données dans l'espoir d'en faire l'énoncé d'une loi potentiellement universelle..
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