Peut-on dire que la conscience règne mais ne gouverne pas ?
Publié le 05/01/2005
Extrait du document
Un président de séance, à l'ouverture dit « Je déclare la séance fermée « au lieu de dire « Je déclare la séance ouverte «. Personne ne peut se méprendre sur ses sentiments ; il préférerait ne pas être là. Mais ce désir (ne pas assister au colloque) ne peut s'exprimer directement, car il heurterait la politesse, les obligations sociales, professionnelles, morales du sujet. Notre président subit donc deux forces contraires : l'une parfaitement en accord avec les obligations conscientes, l'autre qui ne l'est pas et qui ne peut s'exprimer directement, ouvertement. Il y a donc conflit, au sein du même homme, entre un désir conscient, conforme aux normes morales et un autre désir plus « gênant «. Or, dans notre exemple, ce second désir, malgré la volonté de politesse du président, parvient à s'exprimer, mais de façon détournée, anodine : on dira que « sa langue a fourché «. Ici, l'exemple est simple dans la mesure où le président a sans doute parfaitement conscience qu'il ne veut pas être là. Mais dans bon nombre de cas, quand ma langue fourche, je ne sais pas pourquoi, c'est-à-dire que j'ignore moi-même ce qui me pousse à dire tel mot plutôt qu'un autre. Or pour Freud le cas est exactement identique et s'interprète de même, comme le conflit entre deux désirs dont l'un est gênant et peut être ignoré par le sujet. Il n'y a pas d'actes innocents ou anodins.
«
Le symptôme est donc un compromis entre le désir inconscient et inavouable que je subis, et les normesconscientes et morales que j'accepte.
« Le moi n'est pas maître dans sa propre maison » signifie que je n'aipas conscience et que je ne maîtrise pas, ne contrôle pas une bonne part de ce qui se passe en moi-même,ce conflit, ce symptôme.L'hypothèse de l'inconscient est donc qu'une bonne partie de ce qui se passe en moi (dans mon âme, mapsyché) ne m'est pas connu, m'échappe, et cependant influe sur moi.
C'est ainsi qu'il faut comprendre notrepassage : la psychanalyse se propose de « montrer au moi qu'il n'est seulement pas maître dans sa propremaison, qu'il en est réduit à se contenter de renseignements vagues et fragmentaires sur ce qui se passe, endehors de sa conscience, dans sa vie psychique ».
La plupart des choses qui se passent dans l'âmeéchappent à la conscience.Pour Freud, o a surestimé le rôle de la conscience dans la vie de l'âme, et ainsi on s'est privé des moyens :• De comprendre bon nombre de phénomènes comme les lapsus et les rêves ;• De soigner un certain nombre de maladies, qui ne peuvent s'expliquer que par le conflit psychique qui agitele patient.Adopter l'hypothèse de l'inconscient permet de comprendre et de guérir, c'est un gain de sens et de pouvoir.Le but de la psychanalyse est alors de faire en sorte que l'individu, au lieu de subir les forces qu'il ignore et necontrôle pas , puisse recouvrer sa liberté.En effet, la psychanalyse découvre que « Je est un autre » pour reprendre Rimbaud.
Il y a en moi un autre ,un ensemble de forces, un inconscient qui me pousse à agir malgré moi.
Je subis un conflit dont je n'ai pasconscience, qui est souvent la trace d'un choc vécu durant l'enfance.
En ce sens je suis un être passif et agi,qui n'a ni le contrôle de lui-même, ni de son passé, un être scindé.
Le but de la cure est de faire en sorte queje prenne conscience de ce conflit, que je reprenne la maîtrise de mon histoire.
Au lieu de subir ce que je neconnais pas, je choisirai en toute conscience.
Au lieu de la « politique de l'autruche » de l'inconscient, il yaura le choix d'un sujet maître de lui-même.Enfin, notre passage est important en ce que Freud y explique les résistances à la psychanalyse.
« Dans lecours des siècles, la science a infligé à l'égoïsme naïf de l'humanité deux graves démentis ».
Avec Copernic,elle a montré à l'homme qu'in n'était pas au centre de l'univers.
Avec Darwin, elle est en train de montrer quel'homme est un animal comme les autres, qu'il y a en lui une origine animale.Ces deux sciences ont blessé l'orgueil humain, ont montré à l'homme que son sentiment de supériorité étaitnaïf et erroné.
C'est pourquoi les thèses de Copernic valut un procès à Galilée, devant l'Inquisition en 1633.C'est pourquoi les thèses de Darwin sont jugées à l'époque scandaleuse.
Les hommes refusent ce qui lesblesse et y opposent une farouche résistance.
Or, continue Freud : « Un troisième démenti sera infligé à lamégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu'il n'estseulement pas maître dans sa propre maison.
»L'individu est pluriel : il n'est pas seulement une conscience maîtresse d'elle-même ; il subit un inconscient quile pousse à agir malgré lui.
Redécouvrir et explorer cette zone d'ombre en nous, cette force qui nous rendpassif, ce déchirement de l'homme reste le principal acquis de la psychanalyse.
La connaissance de soi assure la maîtrise de soiA côté, en effet, de la maîtrise sur les choses, du pouvoir politique et social, ne peut-on parler d'une maîtrisede soi et d'un pouvoir sur soi? Et que désignent-ils exactement ?Maîtriser un processus, c'est organiser une stratégie vitale pour soumettre à une force ce processus.
Or,qu'est-ce que le « soi» ? C'est le sujet lui-même, la conscience du sujet.
Ce sujet, cette conscience exigentune maîtrise ou un pouvoir, l'exercice d'une force.
Pourquoi? Parce que le « soi », s'il n'est pas maîtrisé, nepeut que se perdre dans le chaos ou le vide, dans l'écoulement incessant des pulsions, des désirs ou despassions.
Si je n'agis pas sur le « soi », alors je me perds moi-même, je m'égare.
Le soi s'écoule, pris dans unflux et un flot irrationnels.
Qu'est-ce donc qu'être maître de soi ? N'est-ce pas d'abord se saisir, se connaître,appréhender ses passions, mesurer leur impact et leur sens, les interpréter et les comprendre? N'est-ce pasparcourir le champ qui va de l'opaque au transparent? Spinoza nous le dit fort bien: une passion cesse d'êtreune passion quand nous en formons une idée claire et distincte.
Dès lors, être maître de soi, n'est-ce pas seconnaître de mieux en mieux, forger des idées adéquates du soi, interpréter le sens de nos conduites, commed'ailleurs le montre Freud, rejoignant Spinoza?
La conscience est unifiantePar-delà la multiplicité de ses affections, la conscience est ce qui se présente comme quelque chose d'unique.Le vécu peut se présenter sous des formes multiples, les réactions devant des situations diverses, voireidentiques, peuvent être différentes, mais en dépit de ces différences, il s'agit de mon expériences, de monvécu.
La multiplicité ne prend sens que sur fond d'unité de la conscience.
Ainsi Descartes, dans la « DeuxièmeMéditation » reconnaît qu'il existe des facultés diverses et multiples : l'entendement, la volonté, l'imagination,la sensibilité.
Mais ces facultés sont toutes déduites à partir de l'unité du cogito.
La conscience s'apparaît.
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