Peut-on croire en l'homme après Auschwitz ?
Publié le 03/03/2004
Extrait du document


«
plus représentatifs de l'humanité que tous les autres.
Ainsi le barbare, le non civilisé c'est toujoursl'autre; l'autre au sujet duquel on raconte toute sorte d'horreurs ou d'atrocités ainsi des Vikings, desHuns, des Goths, des Tartares, Mongols, des Chinois..., sans parler de tribus sauvages au fin fond del'Afrique ou de l'Amazonie, etc.
Or, peut-être commence-t-on à ne plus être un barbare, ou commence-t-on à être un homme civilisé, le jour où l'on reconnaît qu'on est le premier, peut-être, à être capable dese comporter en barbare.Le mot "barbare" - barbaros en grec- signifie à l'origine "l'étranger qui ne parle pas grec" : on pouvaitêtre étranger à Athènes, venir de Corinthe ou de Thèbes, on était alors un xénos, un étranger certes,mais un étranger qui parlait grec; en revanche les Egyptiens, les Perses, etc.
étaient appelés "barbares".Pour les Romains, de même, les barbares étaient ceux qui ne parlaient pas latin, ou ceux qui, malgré lacolonisation et la construction de l'empire romain, n'avaient pas été latinisés, et qui se situaient doncau-delà des frontières de l'empire.
Or ces peuples extérieurs ont fini par envahir l'empire romain etrenversé son ordre : c'est ainsi qu'on parle encore dans les livres d'histoire de l'invasion des barbares.
Laphrase de Lévi-Strauss est quelque peu dérangeante: car elle revient à condamner l'usage de motbarbare.
Celui qui accuse l'autre de barbarie est lui-même un barbare.
Mieux, c'est celui-là même qui estréellement un barbare.
Pourquoi ? Parce qu'accuser autrui de violences et d'atrocités, de cruauté, desauvagerie...
croire que l'autre est un barbare, c'est supposer que soi-même on ne serait pas capable demaux semblables.
Est civilisé celui qui admet bien plutôt que tout homme, à commencer par soi, estcapable du pire.
Lévi-Strauss
« Habitudes de sauvages», «cela n'est pas de chez nous», etc.
Autant de réactions grossières quitraduisent ce même frisson, cette même répulsion en présence de manières de vivre, de croire ou depenser qui nous sont étrangères.
Ainsi l'Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de laculture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuiteutilisé le terme de sauvage dans le même sens.
Or, derrière ces épithètes se dissimule un mêmejugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et àl'inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage,qui veut dire «de la forêt», évoque aussi un genre de vie animale par opposition à la culture humaine.Dans les deux cas, on refuse d'admettre le fait même de la diversité culturelle; on préfère rejeter hors dela culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit.
»
Montaigne
« Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à cequ'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ; comme de vrai,il semble que nous n'avons autre mire de la vérité et de la raison que l'exemple et idée des opinions etusances du pays où nous sommes.
Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait etaccompli usage de toutes choses.
Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruitsque nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits : là où, à la vérité, ce sont ceux que nousavons altérés par notre artifice et détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôtsauvages.
En ceux-là sont vives et vigoureuses les vraies et plus utiles et naturelles vertus etpropriétés, lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, et les avons seulement accommodées au plaisirde notre goût corrompu.
Et si pourtant, la saveur même et délicatesse se trouve à notre goûtexcellente, à l'envi des nôtres, en divers fruits de ces contrées-là sans culture.
Ce n'est pas raison quel'art gagne le point d'honneur sur notre grande et puissante mère Nature.
Nous avons tant rechargé labeauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions que nous l'avons du tout étouffée.
»
[Les camps de concentration nazis interdisent désormaistoute conception humaniste de l'homme et toute confianceen la nature humaine.
L'homme a démontré que la culture ne change rien à sa capacité de faire le mal.]
L'homme est responsable du malDans Le Concept de Dieu après Auschwitz, le philosophe Hans Jonas posait la question suivante: «Quel Dieu apu laisser faire cela ?» On pourrait toutefois se demander d'abord: «Quel homme a laissé faire cela ?» Pour unphilosophe athée, en effet, Dieu n'a rien à voir avec le mal absolu, puisqu'il n'existe pas.
L'homme est seulresponsable du bien et du mal..
»
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