Peut-on croire à la science?
Publié le 19/03/2005
Extrait du document
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Enfin, Galilée en vient à soutenir que Copernic avait raison : la Terre n'est pas au centre du monde ; elle n'est pas immobile.
C'est le soleil qui est au centre du monde, et la Terre tourne autour de lui et sur elle-même.
De plus, le monde n'est certainement pas fini, mais infini.
Avec toutes ces découvertes, c'en est terminé du monde tel que l'Antiquité puis le Moyen-Age se le représentaient.
Galilée ouvre une crise extrêmement grave : toute une vision du monde s'écroule.
L'homme perd sa place au centre du monde.
Il n'a plus de fonction définie au sein du monde hiérarchisé et fini : il est sur une planète comme une autre, perdu dans uneinfinité.
Il n'a plus de monde à imiter : la nature n'est plus qu'un livre froid, désenchanté, accessible à l'abstraction mathématique.Pour les anciens, le monde était « plein de dieux » (Héraclite ), pour les chrétiens médiéval, il chantait la gloire de Dieu par sa beauté, son ordre, sa perfection.
Pour les savants de XVII ième siècle, il est « écrit en langage mathématique », dans la froide abstraction des figures géométriques.
Il ne parle plus au coeur de l'homme, il ne l'entretient plus de la gloire de Dieu, il faut, au contraire, péniblement le déchiffrer grâce à la langue la plus rationnelle et la plus glacée qui soit : les mathématiques.
Un accusateur de Galilée le dira ; si celui-ci a raison, nous ne sommes plus le centre du monde mais « comme des fourmis attachées à un ballon » : des êtres insignifiants sur une planète comme les autres. Ce sont Descartes & Pascal qui tireront les conséquences philosophiques et théologiques de cette révolution dans les sciences.
Ce sont eux qui comprendront qu'il faut absolument redéfinir la place de l'homme dans ce monde infini et glacé où rien ne lui indique ni son lieu ni sa fonction.II.
Une nouvelle religion?Si la référence à la science a pu étayer une critique efficace de la religion, le besoin de croire n'a pas pour autant disparu des consciences et la science elle-même a pu devenir objet d'idolâtrie.• La science porteuse de salutL'accumulation des connaissances scientifiques et la prolifération des applications techniques possibles incitent à voir dans la science la source de tous les espoirs humains pour vaincre la misère,la maladie, la guerre et les limitations de notre condition - quitte à oublier que la science peut aussi bien aboutir à des applications inhumaines ou criminelles.• La science, nouvel absolu?Cette confiance absolue est renforcée par la représentation de « la science » comme une quasi-divinité, servie par des hommes mais ayant une vie et des projets autonomes.
On prête alors àla science une toute-puissance devant laquelle l'homme n'a qu'à s'incliner.
Paradoxalement cette « religion de la science » rejoint les cultes archaïques dans lesquels on vénère un dieu capableaussi bien de détruire que de créer et d'aimer.• Le culte des profanesLa croyance en la science peut prendre la forme d'une religion d'autant plus qu'elle reproduit souvent la coupure traditionnelle entre le clergé et les profanes.
Malgré les efforts d'initiation ou devulgarisation scientifiques, la complexité des théories élaborées par la science contemporaine et la sophistication des techniques utilisées peuvent donner à la pratique scientifique l'aspect d'unculte devant lequel le profane ne peut que rester bouche bée et dont il ne peut discuter les résultats.III.
Croire et savoir.Face à cette attitude « pieuse » à l'égard de « la science » transformée en absolu, il convient de rappeler quelques aspects qui invitent à une attitude plus nuancée.• La science faillible.Il convient tout d'abord de souligner le fait que les sciences ne progressent pas d'un mouvement continu et infaillible comme le ferait un projet divin : souvent les scientifiques avancent entâtonnant, bien des idées apparemment prometteuses se révèlent stériles et à l'inverse bien des découvertes majeures sont dues au hasard.
Les nouvelles théories naissent souvent de larévision radicale d'une théorie précédente.Une hypothèse scientifique qui ne se heurterait à aucune contradiction est une hypothèse inutile.
De même, une expérience scientifique qui ne rectifie aucune erreur ne sert à rien.
Uneexpérience ne peut être scientifique que si elle contredit l'expérience commune.
La pensée scientifique se caractérise par une succession d'erreurs rectifiées, à la différence de l'expériencecommune, qui ne se contredit jamais, mais se contente d'établir de plates équivalences.
"C'est en termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la connaissance scientifique." Ces obstaclesne sont pas seulement et simplement externes, ils ne relèvent pas de la naturelle complexité du monde et de ses phénomènes, mais procèdent de l'acte même de connaître.
Les obstaclesépistémologiques qui motivent et font progresser la connaissance, sont inhérents à l'esprit de connaissance.
Jamais on ne peut connaître pleinement et de manière immédiate la réalité.
Cen'est pas tant que celle-ci se cache ou résiste à nos efforts d'appréhensions, mais c'est que la lumière que projette la connaissance sur les choses comporte une part d'ombre inévitable.
Lavérité se donne toujours après coup, une fois que se sont dissipées toutes les erreurs et les opinions fausses, premières dans l'ordre de la connaissance, car immédiates et spontanées : "Le réeln'est jamais ce qu'on pourrait croire, mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser." Au premier abord, la pensée empirique se donne comme opaque, trouble et obscure.
La mise en oeuvred'un appareil de raisons est nécessaire pour la clarifier, l'analyser, la dépouiller de l'inessentiel.
On ne peut trouver la vérité qu'en retournant sur un passé d'erreurs.
Dans le domaine de l'histoiredes sciences, on peut voir que la connaissance vraie ne s'établit qu'en s'opposant à une connaissance antérieure qu'elle corrige, et ce faisant, surmonte les obstacles qui nous en interdisaientl'accès.• Une pratique humaine.Ces irrégularités du progrès des sciences nous rappellent que « la science » n'existe qu'à travers la pratique scientifique des hommes et la pluralité des disciplines scientifiques.
La croyance quel'on peut porter à cette pratique doit donc tenir compte de ce facteur humain.• Raison et science.Dans La Vie de Galilée, Brecht montre un Galilée qui professe sa croyance non pas en la science, mais en la raison.
C'est peut-être cette croyance que les hommes peuvent partager avec leplus de profit : celui qui croit en la science risque de remettre son destin entre les mains de scientifiques dont la compétence ne consiste pas à savoir ce qui est bon pour les autres hommes;celui qui croit en la raison croit au dialogue entre les hommes et à la force de la réflexion.
Une telle croyance concerne aussi bien le domaine des sciences que celui de la morale ou de lapolitique et risque moins de tourner à la superstition.ConclusionIl faut par conséquent bien distinguer la pratique scientifique, empreinte de rationalité, et la place que l'on accorde à la science et à ses résultats dans notre représentation du monde : s'enremettre à elle comme à une Providence pour résoudre tous les problèmes auxquels l'humanité est confrontée constitue une attitude naïve que les faits viennent souvent démentir.
Mais ilserait tout aussi superstitieux et irrationnel de diaboliser la science et de s'enfermer dans un discours de condamnation du progrès.
Le travail de la raison consiste à tenter sans relâched'humaniser les instruments dont l'homme se dote..
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