peut on convaincre autrui qu'une oeuvre d'art est belle ?
Publié le 15/04/2021
Extrait du document
Peut-on convaincre autrui qu’une œuvre d’art est belle ?
Analyse rapide du sujet :
Le sujet porte sur le jugement esthétique et sa nature.
On entend par « jugement esthétique » le jugement de gout qui consiste à juger de la beauté d’une œuvre
Il semble possible de s’accorder, selon une première lecture, sur le caractère purement subjectif d’un tel jugement. En disant qu’une œuvre d’art est belle, on énonce en fait ce que Hume appelle un sentiment.
Dès lors une contradiction immédiate surgit, dans l’énoncé, entre le verbe « convaincre » et l’affirmation « cette œuvre est belle ».
En effet convaincre signifie obtenir l’adhésion de l’interlocuteur, obtenue par la seule force de la raison. A l’aide d’arguments rationnels, il s’agit de faire apparaître le bien-fondé d’une thèse, dont la légitimité, voire la vérité, peut être ainsi partagée par tous.
Si l’on convainc à l’aide de preuves irréfutables, alors on dira même que l’on a démontré. La démonstration étant le degré le plus haut, le plus élevé, de la conviction.
Dans convaincre, il y a vaincre : mais vaincre avec (Cum – vincere) au sens où il n’y a pas un vainqueur et un vaincu dans une seule logique de force, mais au sens où la force de l’argumentation a permis de mettre d’accord les interlocuteurs, qui se rendent à la raison.
Or, dans le cas du jugement esthétique, quelle place accorder au pouvoir de la raison ?
Hume propose de distinguer les sentiments et les déterminations de l’entendement.( texte 1 en annexe)
Comme il le dit, tout sentiment est juste, dès l’instant où il exprime l’effet que produit un objet, ici l’œuvre d’art sur un sujet.
De ce point de vue, il semble impossible de convaincre, d’entrainer l’adhésion du jugement d’autrui en s’appuyant sur des arguments rationnels.
D’où la conséquence qui semble s’imposer : l’affirmation du caractère purement relatif du jugement esthétique, (thèse relativiste) qui rend vaine toute discussion pour essayer de se mettre d’accord sur la beauté d’une œuvre.
Pourquoi d’ailleurs chercher à convaincre autrui ? Ne serait-ce pas une tentative pour l’amener à se ranger derrière mon appréciation, mon évaluation de la beauté d’une œuvre, et donc à ériger mon opinion, mon sentiment en jugement qui devrait être valable pour tous ?
Mais alors l’expérience esthétique doit- elle s’enfermer dans une subjectivité repliée sur elle-même, impuissante à s’ouvrir à autrui dans une expérience commune ? L’émotion esthétique ne peut-elle être l’objet de discussion, d’échanges, visant non pas seulement à prendre acte de la diversité des appréciations subjectives, mais à parvenir à une forme de reconnaissance commune de la beauté d’une œuvre ? Quel pourrait être alors l’objet de cette discussion et ses modalités ?
Discuter du goût ne signifierait pas ici décider du goût (car il n'y a pas de critère objectif pour cette décision), mais dialoguer dans l'espoir de trouver un accord. Ce verbe « discuter » se distinguerait alors du verbe « disputer » qui signifie débattre en vue d’établir la vérité d’une thèse. cf texte 3 de Kant en annexe
Position du problème
S’il est vrai que le jugement esthétique, par lequel nous affirmons qu’une œuvre d’art est belle, est subjectif et exprime notre sensibilité particulière, faut-il pour autant s’en tenir au simple constat de la diversité, ou de la divergence d’appréciations, et se contenter d’admettre que « tous les gouts sont dans la nature » selon l’expression consacrée ?
L’expérience esthétique, en nous mettant en présence de ce qui nous apparaît comme beau, ne nous invite-t-elle pas à tenter de communiquer notre sentiment, et à viser un accord possible, qu’il ne s’agirait certes pas d’imposer mais de partager, dans une expérience commune ?
«
Position du problème
S’il est vrai que le jugement esthétique, par lequel nous affirmons qu’une œuvre d’art est
belle, est subjectif et exprime notre sensibilité particulière, faut-il pour autant s’en tenir au
simple constat de la diversité, ou de la divergence d’appréciations, et se contenter
d’admettre que « tous les gouts sont dans la nature » selon l’expression consacrée ?
L’expérience esthétique, en nous mettant en présence de ce qui nous apparaît comme beau,
ne nous invite-t-elle pas à tenter de communiquer notre sentiment, et à viser un accord
possible, qu’il ne s’agirait certes pas d’imposer mais de partager, dans une expérience
commune ?
TEXTES pour étayer le travail d’argumentation
1) texte de HUME ( extrait de La norme du goût)
« Tout sentiment 1
est juste, parce que le sentiment ne se rapporte à rien qui le dépasse
et qu’il est toujours réel, dès lors qu’on en a conscience.
Mais toutes les déterminations de
l’entendement 2
ne sont pas justes, parce qu’elles se rapportent à quelque chose qui les
dépasse, à savoir la réalité des faits, et qu’elles ne sont pas toujours conformes à ce modèle.
De mille opinions différentes qui sont formées sur le même sujet par des hommes différents, il
y en a une, et une seule, qui est juste et vraie ; la seule difficulté est de l’établir et de la rendre
certaine.
Au contraire, les mille sentiments différents que cause un même objet sont tous
justes, puisqu’aucun ne représente ce qui est réellement dans l’objet.
Chaque sentiment
exprime seulement une certaine conformité, un certain rapport, entre l’objet d’une part, les
organes et facultés de l’esprit d’autre part ; et sans une telle conformité le sentiment ne
pourrait jamais avoir de réalité.
La beauté n’est pas une qualité qui est dans les choses elles-
mêmes ; elle existe seulement dans l’esprit qui les contemple ; et tout esprit perçoit une beauté
différente.
L’un peut même percevoir de la laideur là où l’autre perçoit de la beauté ; et
chacun doit se ranger à son propre sentiment sans prétendre régler celui d’autrui.
Vouloir
chercher la beauté réelle 3
, la laideur réelle, est une étude aussi vaine 4
que de prétendre
déterminer avec certitude ce que sont en réalité le doux et l’amer.
Selon la disposition des
1 Feeling en anglais (le mot peut aussi se traduire par « sensation »).
2 L’entendement est l’esprit en tant qu’il est capable de comprendre la réalité, de formuler des jugements à son
propos.
3 Réelle signifie ici « en soi », telle qu’elle existerait indépendamment de nous.
4 Inutile, condamnée à l’échec..
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