Peut-on convaincre autrui de la beauté d’une œuvre d’art ?
Publié le 05/03/2011
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Nous avons tous fait l’expérience de ressentir un puissant sentiment de beauté face à une toile, un film, une photographie, un poème ou un morceau de musique. Lorsque l’on trouve une œuvre belle –au sens fort, il est fréquent que nous voulions en faire part aux autres, comme s’il était crucial qu’autrui partage le même sentiment. La question est de savoir si, réellement, il est possible de convaincre l’autre de la beauté d’une œuvre d’art dans tous les cas possibles, c'est-à-dire avec n’importe quel individu, et n’importe quelle œuvre. Peut-on vraiment appréhender la beauté par la raison ? En d’autres mots, a-t-on besoin de quelque chose d’autre que notre âme pour ressentir la beauté ?
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L'évêque Monseigneur Michel Pansard, actuellement assigné au diocèse de Chartres, proclame : « frères et sœurs catholiques, il ne fautpas oublier que si nous étions nés dans les campagnes chinoises, il y a de fortes chances pour que vous et moi soyons aujourd'hui deconvictions shintoïques.
» Il est vrai que nous sommes extrêmement déterminés par notre éducation première - celle de nos parents,appelée aussi « socialisation primaire ».
En effet, une partie des gouts de nos parents (en matière d'art du moins) se transmetinévitablement via l'éducation ; un enfant qui, presque par contrainte, a écouté Franz Schubert depuis sa plus tendre enfance, serad'autant plus « bridé » à la musique romantique lors de son adolescence, et il sera plus facile de le convaincre de la beauté d'une musiqueproche (Schumann par exemple).
De même, un individu grandissant dans un foyer qui affiche dans le salon une véritable apologie de lapeinture abstraite, aura des facultés plus développées que son entourage à entretenir un dialogue constructif et argumenté sur la beauté(ou la laideur) des œuvres de Jackson Pollock.
C'est pourquoi, si nous sommes vraiment motivés pour convaincre quelqu'un de la beautéd'une œuvre d'art, il est judicieux, pour assurer peu ou prou le succès de cette tentative, de choisir une « cible » susceptible de comprendreet d'être sensible à nos arguments, grâce à son éducation, sa culture.
La preuve en est qu'il est souvent difficile de rendre un métalleuxpro Slipknot friand de chants grégoriens !
Enfin, il arrive que l'on soit pleinement convaincu de la beauté d'une œuvre d'art par pur mimétisme.
En effet, si je suis fol amoureux dema future fiancée, et que celle-ci m'emmène faire un tour dans la basilique Saint Pierre à Rome car elle trouve le lieu magnifique, il esttrès possible –même si je ne suis pas à proprement parler un fanatique de Michel-Ange - que je découvre tout à coup une profondebeauté dans ses fresques, et ce, exclusivement parce que mon amie m'a argumenté son admiration pour cet art.
Mais peut-être qu'uneautre personne n'aurait pas pu m'en persuader autant ! De même, quelqu'un que je hais peut tout à fait me faire changer brusquementd'avis quant à la beauté de l'enregistrement le plus mythique de mon jazzman préféré, précisément parce que, pour des raisons qui sontles miennes, je ne suis – par défaut - jamais d'accord avec cet interlocuteur.
II) La beauté peut s'accroitre par la connaissance de l'œuvre.
L'artiste crée selon des règles et des techniques qu'il a, au préalable, apprises.
Il est important, pour mieux apprécier l'œuvre et les messages qu'elle véhicule, d'apprendre ces « règles de l'art ».
Par exemple, lorsque l'on écoute les variations Goldberg de JeanSébastien Bach, on a l'impression que cette musique coule mystérieusement, comme si la beauté et la virtuosité de cette œuvre nerésultaient que d'un coup de hasard.
En réalité, maitriser l'art de la fugue, de l'imitation et du contrepoint de l'œuvre de Bach est untravail digne des plus grands musicologues.
Certaines personnes sont insensibles à la musique baroque.
Mais si on leur explique lesbases de l'harmonie pianistique baroque, l'interaction entre main gauche et main droite selon le respect de la basse harmonique, leprincipe contrapuntique et les quelques règles basiques de la fugue et de l'imitation, il est possible que le ressenti de ces personnes face àla musique de Bach change, et que ces quelques connaissances fassent naitre en eux une toute nouvelle sensibilité, et un sentiment debeauté devant l'œuvre.
Lorsque l'on a assimilé la théorie de la musique classique dans son ensemble –cela demande environ neuf annéesde travail, on écoute toute musique en l'analysant dans ses détails, par réflexe, et on perçoit avec facilité l'ensemble des points de vue del'artiste, et les difficultés techniques qu'il a rencontré lors de la composition.
Cela permet, en plus d'écouter la musique, de la comprendresous tous ses angles.
L'auditeur est alors plus sensible à la musique, et peut finalement la trouver belle, car il est à même d'en ressentirplus de choses.
Cela est vrai pour toutes les formes d'art.
L'artiste, en plus de bien manier sa plume ou son pinceau, est souvent un maitredans son domaine, et il faut, pour convaincre autrui de la beauté de son œuvre, transmettre les techniques et les facultés de l'artiste, ainsique l'histoire de l'art.
Malheureusement, ce n'est pas la priorité politique dans notre système éducatif actuel, mais on peut penser quel'apprentissage de l'art permettrait de convaincre la quasi-totalité de la société de la beauté (et de l'importance) de l'art en général.
Ainsi,pour convaincre autrui de la beauté d'une œuvre d'art, il peut être question de transmettre un savoir.
III) Le fait de « convaincre » passe par le langage.
Pour convaincre, persuader, ou délibérer, il faut d'abord parler.
Le fait que notre interlocuteur soit convaincu (ou non) est avant tout le résultat de la manière dont il pense, mais aussi la résultante de la qualité du dialogue entre le convaincant et le convaincu.
Leproblème est que le langage est un procédé faillible : le fait que ce langage convainque ou non dépend de plusieurs facteurs.
Premièrement, cela dépend de la qualité du langage de celui qui parle ; dans le cas d'une conversation d'art, il peut prendre la parole avec diverses intonations, une certaine « musique » dans sa voix, ou quelques expressions du langage qui peuvent à la foischarmer ses interlocuteurs, introduisant chez eux le mimétisme expliqué dans le deuxième paragraphe, ou au contraire les dérangervoire les choquer, et il est alors peu probable que l'orateur ait réussi à convaincre quiconque de la beauté de l'œuvre dont il parle.
On peutdonc parler d'une même œuvre avec des discours divergents, et logiquement, la même personne peut être convaincu ou non de la beautéd'une même œuvre, uniquement en fonction de la personne qui argumente, de ses savoirs, de son langage, de son charisme, de sonintonation.
L'interlocuteur peut aussi écouter de différentes manières ; il est évident que s'il est concentré, d'une oreille intéressée voire passionnée, il aura plus de chances d'être convaincu de la beauté de l'œuvre que s'il écoute le dialogue « d'une seule oreille », ou s'ilentend la conversation sans vraiment l'écouter.
Enfin, cela dépend du statut de celui qui parle.
Devant une toile contemporaine estimée mystérieusement à quelques millions de dollars, le professeur des Beaux Arts, ou l'artiste lui-même auront plus de facilités à rendre compte de la prétendue beauté de l'œuvre quele quidam lambda, même s'il utilise un discours similaire.
Aujourd'hui, bien souvent, si l'on écoute parler une personne grandementreconnue par les hautes sphères de la société, on peut se laisser convaincre par sa forme, par son statut, et en oublier le fond de sondiscours, ses arguments premiers ; cela explique que certaines œuvres –laides unanimement mais reconnues par les plus grands- sontvendues à des prix mirobolants, complètement détachées de leur valeur intrinsèque (comme les excréments de Piero Manzoli mis enboites de conserves et appelées « merda d'artista », dont une boite fut vendu en 1961 pour la somme record de soixante et onze millionsde dollars ! ).
Convaincre autrui de la beauté d'une œuvre d'art est difficile.
Par le dialogue, on peut donner des clés pour mieux lire une œuvre, ou la comprendre ; on peut aussi user de notre charisme pour en quelque sorte, amadouer l'autre ; ou l'on peut, avec quelqu'un dela même culture artistique, converger vers une même opinion à propos d'une œuvre- la trouver plus ou moins belle, intéressante.
Maisest-ce vraiment important ? Peut-être sommes nous simplement faits pour être différemment sensible les uns et les autres.
Si l'on pouvait.
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