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Peut-on connaître le vivant sans le dénaturer ?

Publié le 06/02/2004

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Du point de vue de l'ensemble, l'être vivant semble "fait pour" se perpétuer. Se perpétuer lui-même, du moins le temps nécessaire à la reproduction, et perpétuer son espèce. Du point de vue de chacune des parties, ces dernières semblent "faites pour" accomplir telle ou telle fonction. L'oeil est "fait pour" voir, la langue du fourmilier "pour" attraper les fourmis ... comme si une fin à réaliser était à l'origine de chaque organe, comme si la fonction créait l'organe.Le second critère retenu par Monod est la morphogenèse autonome (du grec morphé : forme et genesis développement). L'être vivant est en relation constante avec un milieu extérieur ; néanmoins, le processus de formation et de développement d'un être vivant est indépendant du milieu extérieur. Même si, pour son entretien et sa croissance, un organisme vivant a besoin d'assimiler des substances étrangères (nourriture, oxygène, gaz carbonique, etc.), même si, sans ce type de relations la vie ne pourrait ni exister, ni se développer, toujours est-il que sa forme et sa croissance sont régies par une programmation interne qui n'est pas le résultat des forces extérieures qui s'exercent sur l'être vivant. Par exemple, un poisson rouge ne peut survivre sans eau et daphnies, mais aucune force physique ne peut transformer ce dernier en éléphant.

« «Il appartient au naturaliste de parler de l'âme et d'en avoir la science, sinonde toute l'âme, du moins de ce qui fait de l'animal ce qu'il est.» Aristote, Desparties des animaux (Ive siècle av.

J.-C.). • Pour Aristote, ce qui fait la spécificité des êtres vivants par rapport à lamatière inerte, c'est ce principe qu'il appelle l'âme et qui assure la cohésionde ses parties et son mouvement.

Ce principe permet de distinguer le vivantdu mort: mourir, c'est perdre son âme, et laisser sa matière se dissoudre.• Il ne faut pas concevoir ici l'âme de manière religieuse, mais comme unconcept scientifique (qui ressemble à ce que l'on appelle aujourd'hui le«programme génétique»), qui permet à Aristote de penser le vivant et d'enpenser les différentes formes: aux végétaux l'âme végétative (principe decroissance); les animaux y ajoutent l'âme sensitive (sensation etmouvement); l'homme y ajoute l'âme intellective (facultés intellectuelles).• Connaître le vivant, c'est donc connaître, dans chaque être, son âme, sa«cause finale» (son telos), son principe organisateur. [B.

L'animal-machine]Le corps humain, comme le corps de l'animal, est une machine perfectionnéecréée par Dieu.

Bien qu'infiniment plus complexe que nos machines, sonfonctionnement se laisse expliquer de la même manière.

Les corps sont composés de nerfs et de muscles, comparables à des petits tuyaux, dans lesquels circule une matière subtile : lesesprits animaux.

Lorsque nous touchons un objet par exemple, nous en prenons une conscience tactile par l'effet deces esprits animaux qui remontent jusqu'au cerveau par l'entremise des nerfs, et viennent heurter la "glandepinéale", siège de l'âme.

Il en est ainsi de tout le système sensorimoteur.

Si je veux me mouvoir, un grand nombred'esprits animaux seront canalisés vers les muscles qui seront sollicités pour accomplir ce mouvement.

La lumière,les odeurs, les sons, les goûts, la chaleur se propagent jusqu'à notre esprit par l'intermédiaire de nos nerfs quicanalisent ces particules.

La faim, la soif, le sommeil, la veille, le rêve se produisent de la même manière : undéplacement d'esprits animaux à l'intérieur des canalisations de la machinerie complexe de notre corps.

Il existecependant une différence de mille entre un corps humain et un corps animal.

Aucun animal n'use jamais de signes,ou d'un quelconque langage pour exprimer une pensée.

On peut concevoir un automate qui réponde par la parole àcertains messages simples : crier si on le touche, ou prononcer quelques phrases simples, mais aucun automate nesera jamais en mesure d'agencer une parole qui réponde au sens de ce qu'on lui dit.

Enfin, si un corps animal ou unautomate peut accomplir un nombre limité de tâches, parfois même mieux que nous, il ne peut aller au-delà.

Ce quimontre qu'ils agissent par la disposition de leurs organes, et non par connaissance.

Ils sont dépourvus de pensée oud'esprit.

Il n'y a que l'homme à disposer de cet instrument universel qu'est la raison et qui lui sert en touteoccurrence afin d'agir comme il convient.

Chaque organe de la machinerie animale, tout au contraire, est spécialisé.Il lui faudrait - ce qui est impossible - un nombre infini d'organes pour faire autant de choses que notre raison nousle permet. [C.

La force formatrice]Réduire le vivant à un fonctionnement mécanique ne semble pas possible à Kant : il manque à une montre –considérée comme exemplaire de la machine – des qualités qui sont présentes dans le vivant : elle ne peut produireune autre montre (pas plus qu'un de ses rouages ne peut produire ou générer un autre rouage), elle est incapablede se réparer elle-même, ou d'améliorer son propre fonctionnement.

Ce qui oblige à distinguer la simple forcemotrice, bien présente dans la machine, de la force formatrice, qui est caractéristique des êtres organisés.La tentative cartésienne de connaître le vivant en l'intégrant dans le champ d'une discipline scientifique (lamécanique) est donc vaine : en fait, Descartes simplifie le vivant, le « dénature » en l'approchant à la façon d'unsimple objet.

Toute tentative pour connaître le vivant par une méthode scientifique se retrouve-t-elle dans la mêmesituation ?. »

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