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Peut-on concevoir une société sans art ?

Publié le 17/01/2022

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D'un côté, il s'agit d'un art qui produit une image ressemblante, comparable (eikastos), du modèle, c'est-à-dire «qui reproduit les proportions (longueur, largeur, profondeur) et donne à chaque partie les couleurs appropriées ». De l'autre côté, il s'agit d'un art qui a renoncé « à reproduire les proportions véritables des belles formes ». Il ne reproduit pas « les proportions véritables, mais celles qui paraissent belles ».Il repose sur l'illusion ou sur l'imagination (phantastikos). Alors que l'art grec est soumis à la doxa, c'est-à-dire à l'opinion, qui se contente de l'apparence, relevant ainsi de l'art du simulacre, l'art de la copie respecte l'essence du modèle; il le reproduit tel qu'il est en lui-même, sans se soucier de l'aspect sous lequel il apparaîtra. Cet art ne cherche pas à tromper. Il a souci de l'eïdos primordial. Il cherche le vrai et non pas le vraisemblable ou le plaisant. Tel est l'art égyptien, hiératique, dédaigneux du spectateur, et qui a gardé pendant des millénaires les mêmes canons. Platon exalte dans les « Lois » l'immuabilité de l'art égyptien: « Ils ont exposé les modèles (des belles figures) dans les temples, et ont défendu aux peintres [ ] de rien innover en dehors de ces modèles [ ] En visitant leurs temples, tu y trouveras des peintures et des sculptures qui datent de dix mille ans [ 1 et qui ne sont ni plus belles ni plus laides que celles que les artistes font aujourd'hui, mais procèdent d'un art identique » (656 d-657 a).

L'art est une activité superflue. Il n'est nullement nécessaire pour assurer notre survie. Mais, l'art est aussi nécessaire à l'homme en ce qu'il est une manifestation de la liberté et de la culture humaine. Sans art, notre vie serait pauvre et dénuée d'idéal.

« quoi ils parlent.

Ils seraient incapables de « rendre raison » de ce qu'ils imitent.

Ainsi, dit Platon, Homère traite de laguerre, du commandement des armées, du gouvernement des cités, de l'éducation des hommes, mais si onl'interrogeait sur ces techniques, il ne pourrait nous donner aucun principe de ces diverses activités, nous dire parexemple pourquoi une cité est bien ou mal gouvernée.

L'imitation artistique et poétique ne repose sur aucuneconnaissance.

Le poète, l'artiste, n'ont « ni science ni opinion droite » des choses qu'ils imitent (602 a).

Ils seraientincapables d'en exposer les qualités ou les défauts.

Ce sont des ignorants ! Ce réquisitoire, qui exclut l'art de la citécomme inutile, comme incapable d'enrichir tant la pratique que la théorie (l'art ne peut rien enseigner, parce qu'il nerepose sur aucune véritable connaissance), se termine par ce que Platon appelle « le plus grave des méfaits de lapoésie » (il entend ici par la poésie surtout la poésie tragique).

La tragédie, qui nous fait éprouver du plaisir auspectacle du malheur, affaiblit l'élément raisonnable en nous; elle ne nous apprend pas à rester calmes et courageuxsi le malheur nous frappe.

Les poètes flattent l'élément déraisonnable de l'âme et non seulement ne nous apprennentrien sur le monde, mais ne nous apprennent pas à devenir meilleurs.

C'est au nom du réalisme et du bon sens quePlaton condamne l'art en le rattachant à l'inutilité en l'homme («L'imitation n'est qu'une espèce de jeu d'enfant,dénué de sérieux », 602 b - la poésie relève de « cet amour d'enfance qui est encore celui de la plupart des hommes», 608 a ; « Est-il beau, dit-il, d'applaudir quand on voit un homme auquel on ne voudrait pas ressembler ? » 605 c).L'art tragique nous fait aimer l'immoralité, les passions, les crimes, au lieu de nous en donner le dégoût.

Cettecondamnation morale de l'art a pesé plus lourdement dans la tradition que sa condamnation comme ignorance etfabrication d'illusions.L'acharnement antiartistique de Platon est sans doute lié, comme le suggère Nietzsche dans la « Naissance de laTragédie », au chap.

XIV, à une sorte de jalousie et à sa volonté de créer avec ses dialogues une forme littérairenouvelle qui aurait pu éclipser la tragédie... Sans doute Platon veut-il rivaliser avec l'art de son temps.

Mais il veut d'abord lutter contre son orientation qui luisemble aberrantes.

En effet il le voit, surtout dans le domaine des arts plastiques, s'engager de plus en plus sur lechemin du perspectivisme, c'est-à-dire viser à une restitution illusionniste des apparences.

Cela revient à faire duregard du spectateur la mesure de la beauté et de la vérité.

L'art grec du V ième siècle recherche la vraisemblanceet se soumet aux déformations de la vision; il corrige les formes et les proportions suivant le point de vue duspectateur.

Ainsi pour que, vues d'en bas, les parties supérieures d'une statue placée au fronton d'un temple neparaissent pas plus petites, on les agrandit par rapport aux parties intérieures.

L'artiste fait ainsi passer l'apparencepour le spectateur avant la vérité intrinsèque de la figure représentéesAinsi encore l'anecdote célèbre concernant un concours où se mesurèrent Phidias et un sculpteur plus jeune etinexpérimenté du nom d'Alcamène.

Deux statues d'Athéna étaient à exécuter qui devaient figurer au sommet dehautes colonnes.

Phidias sut tenir compte de l'effet d'éloignement et grossit pour cela fortement les traits du visagede la statue.

Quand les statues furent terminées, mais non encore hissées en hauteur, la statue faite par Phidiasparut si grossière qu'elle provoqua les quolibets de l'assistance.

Mais les deux une fois montées, celle de Phidiasparut seule réussie et Alcamène perdit le concours.Ces déformations destinées à compenser les effets d'optique étaient courantes dans l'architecture, la sculpture et lapeinture grecques: ainsi le renflement vers le bas des colonnes des temples qui, si elles avaient été des cylindresréguliers auraient paru s'évider; ainsi les formes elliptiques pour remplacer les formes circulaires et maintenir malgréla distance l'illusion de cercles.

La tendance illusionniste de la peinture grecque (dont très peu d'oeuvres nous sontparvenues) était célèbre, comme en témoigne l'anecdote des raisins peints par Zeuxis: ils auraient eu uneapparence si naturelle qu'ils auraient trompé les pigeons qui seraient venus les picorer.Platon veut lutter contre cette tendance, de plus en plus relativiste et naturaliste en même temps, de l'art.Opposant sans les nommer dans ce dialogue l'art égyptien et l'art grec, il distingue dans le « Sophiste » (235 d-236c) deux formes de « l'art imitatif »: d'un côté «l'art de la copie » (eikastikè technè), de l'autre « l'art du simulacre »(phantastikè technè).

D'un côté, il s'agit d'un art qui produit une image ressemblante, comparable (eikastos), dumodèle, c'est-à-dire «qui reproduit les proportions (longueur, largeur, profondeur) et donne à chaque partie lescouleurs appropriées ».

De l'autre côté, il s'agit d'un art qui a renoncé « à reproduire les proportions véritables desbelles formes ».

Il ne reproduit pas « les proportions véritables, mais celles qui paraissent belles ».Il repose sur l'illusion ou sur l'imagination (phantastikos).

Alors que l'art grec est soumis à la doxa, c'est-à-dire àl'opinion, qui se contente de l'apparence, relevant ainsi de l'art du simulacre, l'art de la copie respecte l'essence dumodèle; il le reproduit tel qu'il est en lui-même, sans se soucier de l'aspect sous lequel il apparaîtra.

Cet art necherche pas à tromper.

Il a souci de l'eïdos primordial.

Il cherche le vrai et non pas le vraisemblable ou le plaisant.Tel est l'art égyptien, hiératique, dédaigneux du spectateur, et qui a gardé pendant des millénaires les mêmescanons.

Platon exalte dans les « Lois » l'immuabilité de l'art égyptien: « Ils ont exposé les modèles (des bellesfigures) dans les temples, et ont défendu aux peintres [ ] de rien innover en dehors de ces modèles [ ] En visitantleurs temples, tu y trouveras des peintures et des sculptures qui datent de dix mille ans [ 1 et qui ne sont ni plusbelles ni plus laides que celles que les artistes font aujourd'hui, mais procèdent d'un art identique » (656 d-657 a).L'art égyptien ne vise pas à flatter de façon sophistique le point de vue du spectateur.

Ce n'est pas l'homme qui estla mesure des choses représentées, mais ce sont les choses mêmes.

L'artiste égyptien s'efforce de s'identifier avecles figures peintes ou sculptées qui sont représentées dans une proximité sans distance.

Il ne cherche pas à rendrele naturel, l'apparence de la vie et du mouvement, le relief pictural, ce que les Grecs appelaient skiagraphia (c'est-à-dire dessein ou peinture avec ombres) ou bien le modelé, la perspective.

L'artiste égyptien néglige cette donnéeélémentaire de la perception qui fait qu'un corps est toujours vu d'un certain point de vue.

Aussi n'introduit-ilaucune déformation, aucun raccourci.

Les corps sont présentés au repos, trônant dans une immobilité auguste etéternelle.

Ils sont soumis à une loi de symétrie invariable, étant le plus souvent rigoureusement divisés en deuxparties égales par une ligne idéale partant du front et aboutissant à l'entre-jambe.

Les poses, car il n'y a pasvéritablement de mouvement, sont limitées et figées.

Ce sont des attitudes, stéréotypées, mécaniques, quin'affectent pas l'ensemble du corps.

Les figures sont vues soit totalement de face, soit totalement de profil, ou bien. »

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